Qui est capable de battre Donald Trump? Joe Biden, son adversaire à la présidentielle du 3 novembre, ne manque certes pas de qualités, même s’il a un charisme proche du néant. Il bénéficie de cinquante ans d’expérience politique, dont huit comme vice-président de Barack Obama. Mais les jeunes électeurs et les non-Blancs auront de la peine à être séduits par ce monument démocrate de 77 ans. Il lui fallait quelqu’un qui parle à leurs émotions. Cet atout, Biden le tire aujourd’hui de sa manche, en la personne de la sénatrice californienne Kamala Harris, 55 ans, dont il veut faire sa vice-présidente.
Sa simple candidature écrit déjà l’histoire. D’une part, aucune femme noire n’avait jamais été running mate, candidate à la vice-présidence. Ensuite, s’il l’emporte en novembre, Biden aura de la peine à concourir pour un second mandat. Il est franchement trop âgé. Kamala Harris aurait donc de bonnes chances de devenir la première présidente des Etats-Unis d’Amérique en 2024.
Kamala Harris ne représente pas que les Afro-Américains. Elle est multiculturelle. Sa mère, Shyamala Gopalan, est née en 1938 à Madras, aujourd’hui Chennai, en Inde. Elle était censée épouser un homme choisi par sa famille. Mais lorsque l’Université de Californie à Berkeley accepte sa candidature, les parents de Shyamala la laissent partir. Sur le campus, elle fait la connaissance du Jamaïcain Donald Harris. Et en tombe amoureuse. Elle s’engage dans la recherche contre le cancer, il devient professeur d’économie à la célèbre Université Stanford. Leur première fille naît en 1964: Kamala, ce qui signifie en sanscrit «fleur de lotus». Trois ans plus tard naît une petite sœur, Maya. Quand Kamala atteint ses 7 ans, les parents divorcent.
Les fillettes fréquentent régulièrement l’église baptiste de leur père. «Nous avons appris à nous soucier des plus faibles, témoigne Kamala. Et au sein du chœur, je chantais que la foi et la détermination nous feraient toujours surmonter les temps difficiles.» En même temps, la maman l’emmène au temple hindou «afin que nous voyions que toute foi nous enseigne à rechercher la justice».
Après la mort tragique de George Floyd au terme de violences policières et les manifestations antiracistes qui ont suivi, le choix de Joe Biden est tactique. Trump, qui montre peu d’empathie pour le mouvement Black Lives Matter, ne peut pas s’attendre à rameuter une majorité parmi les Afro-Américains. Reste que, côté racisme, son concurrent Biden a lui aussi une tache sur son CV. En 1972, il devient sénateur du mini Etat du Delaware. Il s’exprime alors contre une mesure visant à stimuler le mélange entre Blancs et Noirs, le busing, qui consiste à transporter les écoliers et étudiants noirs dans les écoles des quartiers blancs. Or, la jeune Kamala Harris bénéficie précisément d’un tel programme. Lors des primaires démocrates, elle reproche publiquement à Joe Biden de s’être opposé à cette mesure d’intégration dans les années 1970 et 1980. Il semble qu’elle lui ait pardonné depuis. Et il espère que les électeurs noirs feront de même.
Elle commence par étudier les sciences politiques et économiques, puis elle achève son droit et devient procureure, puis procureure générale de l’Etat de Californie, première femme et première Noire à ce poste. Elle y acquiert une réputation de rigueur à l’encontre des pédophiles et des géants opaques de la technologie. Avec la crise financière de 2008, elle obtient que les banques dotent de 20 milliards de dollars, et non de 4 seulement, un fonds d’aide aux habitants qui ont perdu leur toit. C’est alors qu’elle établit un premier contact avec la famille Biden. Comme Beau, le fils aîné de Joe, est lui aussi procureur, il se noue une amitié qui aura peut-être été bénéfique dans le récent choix de Kamala pour la vice-présidence. Beau succombe, à l’âge de 46 ans, à une tumeur cérébrale. Sur son lit de mort, son père lui promet qu’après deux essais avortés, il tentera une troisième fois d’accéder à la Maison-Blanche.
La sénatrice tient sa vie privée à l’abri des regards. On lui prête plusieurs histoires d’amour, mais aucune ne se conclut devant l’autel. Jusqu’à ce qu’une de ses bonnes amies organise un blind date avec Douglas Emhoff, un avocat d’Hollywood, âgé de seulement sept jours de plus qu’elle. Et ça marche! En mars 2014, il s’agenouille devant elle avec une bague de platine sertie d’un diamant. Et quatre mois plus tard, ils échangent leurs alliances: c’est Maya, la sœur de Kamala, juriste elle aussi, qui préside la cérémonie en présence de Cole et d’Ella, les enfants d’un premier mariage de Douglas Emhoff. Kamala, pour sa part, n’a pas eu d’enfants mais elle s’entend merveilleusement avec eux. Ils la surnomment affectueusement «Momala».
Kamala Harris jouit d’un large soutien. L’ex-président Obama dit à son propos: «Je connais la sénatrice Harris depuis longtemps. Elle est plus que prête pour ce job.» Expatriée en Suisse, la militante démocrate Renée Rousseau le confirme: pour elle, Kamala Harris serait en outre parfaitement capable de remplacer Joe Biden, 78 ans en novembre, s’il devait lui arriver quelque chose. Et elle se réjouit que la sénatrice californienne incarne l’Amérique de demain, «une nation d’enfants de première et deuxième générations d’immigrés, souvent de culture mixte». Des people se disent également ravis du choix de Joe Biden, à l’instar de la chanteuse Pink qui en a versé des larmes de joie. Et le chanteur de soul John Legend se réjouit d’ores et déjà de voter pour le ticket Biden-Harris «afin de réveiller l’Amérique du cauchemar de l’actuelle présidence». A vérifier le 3 novembre.