L’espace d’un instant, l’Amérique se fige. Nous sommes le dimanche 21 juillet, peu après 14 heures sur la côte Est. Le président américain, Joe Biden, 81 ans, se retire de la course à la présidence. Tout le pays est stupéfait. Jusqu’à ce qu’il recommande la vice-présidente, Kamala Harris, 59 ans, comme successeure.
Depuis, l’Amérique semble électrisée. Les tasses et les t-shirts portant l’inscription «Harris for President» se vendent comme des petits pains. Les tiktokeurs publient non-stop des vidéos de Kamala Harris. Et les démocrates ont fait don de plus de 100 millions de dollars en une seule journée en faveur de la campagne de la nouvelle candidate, car ils ont enfin retrouvé l’espoir. Parce que Harris dit: «Oui, je le veux» et parce qu’elle pourrait réussir là où Biden était en mauvaise posture: empêcher Donald Trump, 78 ans, d’être président.
Tout à coup, les républicains paraissent âgés et les démocrates jeunes. Si elle est élue en novembre, elle inscrira son nom sur une nouvelle page de l’histoire: ce sera la première femme à ne pas seulement habiter à la Maison-Blanche, mais à y gouverner. Une fille d’immigrés qui deviendra la personne la plus puissante du monde.
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Elle représente «un nouveau départ pour la politique américaine», dit l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton, 76 ans. «Kamala est talentueuse, expérimentée et prête à devenir présidente. Elle peut battre Donald Trump.»
Cela ne sera pas chose aisée, malgré l’euphorie. Trump est en tête des sondages. Et il investit les thèmes de l’économie, de l’armement et de l’énergie, chers aux habitants des «swing States» comme le Michigan, le Wisconsin ou la Pennsylvanie, là où l’élection se joue. Harris, quant à elle, privilégie les questions sociales, ce qui lui permet d’obtenir des résultats favorables à New York ou en Californie, deux Etats où elle gagne de toute façon la bataille. On ne sait pas vraiment ce qui l’anime. Elle est précédée d’une réputation controversée. En tant que vice-présidente, elle a fait fuir ses collaborateurs à plusieurs reprises. Lorsqu’elle a voulu devenir présidente pour la première fois il y a quatre ans, elle s’est retirée de la campagne avant qu’elle ne commence. Il lui manquait alors un message clair. Il y a peu, elle déclarait encore que Biden, visiblement affaibli par l’âge, était en pleine forme.
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Politiquement, elle se situe à gauche de Biden. Mais les élections américaines se gagnent au centre. Ce sont les buveurs de bière qui décident, pas les siroteurs de latte matcha. Et cela justement dans les «swing States» mentionnés plus haut, qui jouent un rôle clé. Là où les gens aiment les armes, conduisent de grosses voitures à essence et considèrent l’avortement comme une œuvre du diable. Le contraire des principes de Kamala Harris. La question primordiale est donc la suivante: peut-elle mobiliser suffisamment de démocrates au cœur du pays? Ce qui joue en sa faveur: elle fait revenir dans le camp démocrate un électorat féminin et jeune qui s’était détourné de Biden. Mais en sa défaveur: elle devrait mobiliser tout autant de républicains qui la considèrent comme un danger.
Ses beaux-enfants l’appellent «Momala»
Son prénom, Kamala, signifie «fleur de lotus» en sanskrit. Elle est née le 20 octobre 1964 à Oakland, en Californie. Elle a grandi dans la ville voisine, à Berkeley, au cœur libéral des Etats-Unis. Sa mère était une chercheuse américano-indienne spécialisée dans le cancer. Son père est un professeur d’économie américano-jamaïcain. Kamala et sa sœur Maya ont accompagné leur père lors de nombreuses manifestations pour les droits civiques. Cela a aiguisé son sens de la justice. Elle a étudié les sciences politiques à l’Université Howard de Washington et le droit à San Francisco. C’est à l’Université Howard, surnommée «la Harvard noire», qu’elle a commencé à s’identifier en tant qu’Afro-Américaine et qu’elle a tissé un réseau sur lequel elle s’appuie encore aujourd’hui. Cela lui a permis de faire une longue carrière dans le secteur public: procureure à San Francisco et en Californie, sénatrice américaine et vice-présidente.
En tant que procureure, elle a confondu plus d’un malfaiteur. «J’ai eu affaire à de nombreux criminels, a-t-elle déclaré il y a quelques semaines. Des prédateurs qui abusaient des femmes, des fraudeurs et des tricheurs.»
Elle tacle son adversaire avec une attaque frontale en lançant: «Oui, je connais le genre d’homme qu’est Donald Trump.» Mais ses années en tant que procureure lui valent aussi de nombreuses critiques. Elle a toujours refusé de requérir la peine de mort pour des crimes graves, elle s’y oppose absolument. Cela lui a valu des désapprobations sévères. En particulier lorsqu’elle a renoncé à la peine de mort pour le meurtre d’un policier.
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Il y a dix ans, elle a épousé l’avocat Douglas Emhoff, 59 ans, père de deux enfants d’une précédente union. Ella, 25 ans, et son frère aîné, Cole, 29 ans, appellent Harris affectueusement «Momala», une contraction de «mom» (maman) et de Kamala. Elle est baptiste et intègre certains éléments de l’hindouisme.
Son mari est juif et né à Brooklyn. Il a délibérément mis sa carrière entre parenthèses. Après l’ascension de sa femme au poste de vice-présidente, le deuxième gentilhomme des Etats-Unis a quitté son cabinet d’avocats afin d’éviter tout conflit d’intérêts. Il enseigne à présent le droit à Washington. S’il veut devenir le premier gentilhomme («first gentleman»), Kamala Harris doit faire un véritable sprint. Les Etats-Unis voteront dans moins de trois mois. D’ici là, le pays devrait savoir exactement qui elle est et ce qu’elle veut. Le simple fait de «ne pas être Trump» ne suffit pas. Le 22 août dernier, Kamala Harris a officiellement accepté l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle américaine à Chicago.
Une vice-présidence qui pourrait faire la différence
C’est également à Chicago que le parti choisit son vice-candidat. Le gouverneur du Minnesota Tim Walz a accepté l’investiture du Parti démocrate pour la vice-présidence des États-Unis. Cet ancien professeur et entraîneur de football est un homme discret, peu connu sur la scène américaine. Ses racines le rapprochent néanmoins du citoyen ordinaire, ce qui pourrait peser dans la balance et séduire un électorat plutôt conservateur.
Kamala Harris étant responsable de la sécurité à la frontière, Trump l’attaque violemment sur ce point. Et il la traite de «copilote de Biden», la rend coresponsable des prix élevés dans les supermarchés et à la pompe à essence, des guerres au Proche-Orient et en Ukraine.
Elle laisse glisser les attaques avec charme et coolitude. Cela rappelle Barack Obama, 62 ans. Comme l’ex-président, Kamala Harris doit maintenant faire tomber d’autres barrières. Qu’elle batte Trump ou non, son nom restera inscrit dans les livres d’histoire.