«J’ai tout essayé. J’ai acheté une dizaine de billets d’avion, tous annulés, j’ai contacté l’ambassadeur suisse au Maroc, et même Alain Berset… Cela fait cinq mois que je n’ai pas vu ma compagne marocaine, c’est désespérant! Mais je ne suis pas le seul dans cette situation, nous sommes des milliers à avoir été séparés à cause du coronavirus!» Il s’anime, Kacey Mottet Klein, dans ce restaurant près de la gare de Lausanne. Parler de sa vie privée, ce n’est pas trop son truc, les jardins secrets doivent demeurer secrets, mais témoigner d’une réalité qui touche de nombreux couples binationaux, comme le sien, semble important aux yeux de l’acteur vaudois qui fêtera ses 22 ans en octobre.
Il nous montre la mobilisation, sur les réseaux sociaux, des amoureux séparés depuis la fermeture des frontières. Plusieurs pages ou comptes sur Facebook et Twitter dont #Loveisnottourism recensent des centaines de témoignages plus ou moins poignants. Familles séparées, étudiants, retraités, le mouvement est international, et plusieurs pétitions circulent sur le web à destination des gouvernements des pays de l’UE, dont une, à peine lancée, signée par près de 30 000 internautes. Des anonymes, mais aussi une célébrité, le chanteur français Benjamin Biolay, séparé d’une petite fille en Argentine dont il avait tu jusqu’ici l’existence. L’artiste a confié à Paris Match passer un tiers de l’année en Amérique du Sud, désespérant de ne pas savoir quand il pourra de nouveau serrer sa gamine dans ses bras.
En Suisse, les Verts ont soutenu la campagne #Loveisnottourism. L’administration, quant à elle, planche sur une solution pour autoriser l’entrée dans notre pays de personnes issues d’Etats tiers qui vivent en partenariat avec un habitant de notre pays. «Mais tant que les frontières du Maroc restent fermées, cela ne changera malheureusement rien pour nous», se désole l’interprète de «Home» et de «L’adieu à la nuit», long métrage où il avait Catherine Deneuve comme partenaire en grand-mère tentant de retenir son petit-fils attiré par le djihad.
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On pourrait d’ailleurs se croire dans un film, avec cette histoire de virus tue-l’amour. Un bon scénario. Sauf que Kacey Mottet Klein joue tout simplement son propre rôle sur ce coup-là. La seule référence au 7e art, c’est le fait d’avoir rencontré son amoureuse sur le tournage du film «Continuer» avec Virginie Efira, l’histoire d’un road trip à cheval tourné au Maroc, sorti sur les écrans en 2018.
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«Tam était assistante réalisatrice. A l’époque, nous étions tous les deux engagés chacun de notre côté, mais on a eu un véritable coup de foudre!» Son regard dit le reste… Depuis trois ans, il collectionne ainsi les miles entre Genève, Paris et Casablanca. Amoureux d’une Marocaine mais aussi de son pays, de ses couleurs, de sa cuisine, de la chaleur de ses habitants, même s’il n’est pas encore possible de vivre pleinement leur amour au grand jour en étant un couple non marié. De mariage, ils en parlent parfois, d’ailleurs. Elle l’a emmené visiter les lieux les plus emblématiques de l’Atlas, il a même appris des rudiments d’arabe.
«Je suis allé le 4 mars aux Rencontres 7e art à Lausanne et je devais rentrer à Casablanca le 13. Nous avions prévu d’emménager ensemble, on avait trouvé un appartement.» La suite est connue. Les frontières qui se ferment. L’attente, l’impatience, la peur que le temps et l’éloignement ne contaminent leur amour aussi sûrement qu’un virus.
L’acteur nous montre sur son portable un échange avec Alain Berset, qu’il avait eu l’occasion de rencontrer par le passé. Malheureusement, il n’y a qu’au cinéma que les ministres lâchent la cravate pour le costume de super-héros. On a fait au mieux et on fait ce qu’on peut, lui a signifié le conseiller fédéral.
Kacey aurait aimé un confinement plus strict, à la française, histoire de tordre encore plus vite le cou au virus et de pouvoir rejoindre son amoureuse. Lui, son semi-confinement, il l’a passé dans la maison familiale de Grandvaux. Il a un film qui sort début août, «Just Kids», et va filer quelques jours à Paris tourner dans le prochain film de la réalisatrice Audrey Diwan, «L’événement». «Un second rôle», précise-t-il.
Avec déjà douze ans de carrière derrière lui et des rôles particulièrement intenses, il reconnaît avoir apprécié la parenthèse du confinement pour réfléchir sur sa vie, faire un break. Aller chercher l’émotion en permanence au fond de ses tripes, on n’en ressort pas indemne. Surtout à cet âge-là.
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Il est 14h30, le visage de Tam, sa compagne, s’affiche sur l’écran de l’ordinateur. La jeune femme, plutôt discrète, espère que cette médiatisation de leur cas fera avancer la cause des amoureux séparés. «C’est difficile de s’aimer par écrans interposés. On se parle, on se voit, mais une fois l’écran éteint, la solitude est encore plus grande», dit-elle dans un triste, mais joli, sourire.
Dans «Roméo et Juliette», souvenez-vous, c’étaient les parents qui s’opposaient à l’amour des héros. Aujourd’hui, c’est un virus planétaire qui s’attaque aux corps, mais aussi, on le découvre, au cœur des individus.