Julien Perrot, souscrivez-vous à ces chiffres effrayants?
Hélas, oui! Etant né en 1972, j’ai donc assisté au dépeuplement de plus de la moitié de la vie sur terre. Et nous ne parlons pas des plantes, des insectes et autres grands ensembles vivants qui subissent un déclin comparable à celui des vertébrés.
Quel mot utiliser pour décrire cette catastrophe: biodiversité ou nature?
Si on privilégie la dimension émotionnelle, je préfère nettement le mot nature, c’est-à-dire la source et le fondement de notre vie, notre mère en quelque sorte. C’est ce que nous faisons dans La Salamandre. Nous nous efforçons de parler au cœur des gens et n’utilisons jamais ce terme, très technique, de biodiversité. Mais pour ceux qui sont étrangers à cette approche, ce mot permet de déployer des arguments utilitaristes en rappelant que la biodiversité rend des services écosystémiques indispensables pour l’espèce humaine.
La biodiversité fabrique le sol de nos terrains cultivés, l’air que nous respirons, elle épure l’eau que nous buvons. Et si nous monétarisons ces services gigantesques et vitaux, par exemple la pollinisation des cultures par les insectes, on comprend alors que notre modèle économique est en réalité en faillite, avec un modèle de croissance intenable sur une planète aux ressources limitées.
Les gestes individuels tels que ceux que vous nous proposez dans «L’illustré», c’est symbolique ou réellement efficace? D’autre part, le défi écologique est mondial et a donc besoin de solutions mondiales, non?
Si nous sommes très nombreux à agir positivement, ces gestes ont bel et bien un énorme impact. Quant à l’aspect international, la Suisse, pays plutôt riche, devrait montrer l’exemple. Comment faire la leçon au Brésil et à sa responsabilité vis-à-vis de l’Amazonie par exemple alors que nous avons détruit toute notre forêt primaire voici déjà plusieurs siècles et que nous sommes nous-mêmes à la traîne de l’Europe en matière de biodiversité? Il faut donc s’engager aussi d’urgence à un niveau plus large que sa vie quotidienne, notamment sur le plan associatif et politique. Les prochaines élections fédérales auront lieu en 2020.
Aujourd’hui, il n’y a qu’une poignée d’élus qui considèrent que la nature est importante, ce qui est dramatique. Il faut que cela change. Gauche, droite, cela me semble un peu dépassé… Au-delà des partis, la question fondamentale, c’est de savoir si et comment on va réussir à survivre sur cette planète. Il nous reste extrêmement peu de temps pour agir.
Quel est le plus grand problème pour la protection de la nature en Suisse?
C’est notre modèle agricole qui prend en otage la majorité des paysans en détruisant la nature à large échelle. Il faut produire un maximum de produits et ceux-ci doivent être exempts d’imperfection esthétique pour être achetés par les grands distributeurs. On utilise donc massivement des pesticides et des engrais de synthèse qui font crever les sols et les insectes pollinisateurs. Le Plateau suisse est devenu stérile. Et ce modèle tragique s’étend à l’agriculture de montagne.
La Confédération dépense environ 400 millions de francs pour encourager les agriculteurs à prendre des mesures pour la biodiversité. Le déclin accablant des insectes ou des oiseaux montre que c’est totalement insuffisant. Je salue donc l’initiative pour l’interdiction des pesticides lancée par de simples citoyens. Nous serons le premier pays au monde à avoir un vrai débat et à voter sur cette question fondamentale. Il peut donc se passer des choses positives quand on s’engage avec courage.