D’aucuns prétendent qu’être adulte est un état d’esprit. Lovée dans l’un des superbes sofas de son salon, portant une chemise en jean qu’elle a elle-même raccommodée, Julie Ordon approuve: «Au fond de moi, je ne me sens pas adulte. J’ai gardé un côté très enfant, mais je suis aussi la maman d’une ado. Disons que je suis adulte quand il le faut.» Elle nous accueille dans sa maison de Champel, à Genève, où elle a emménagé il y a deux ans avec sa fille Mathilda, bientôt 15 ans.
Une belle bâtisse. «Pour pouvoir acheter ici, j’ai vendu l’appartement que j’avais à New York, où je n’allais plus.» La nomade s’est sédentarisée. «Je suis très casanière, très famille, et une vraie dingue de cuisine – c’est ma passion. J’adore recevoir, décorer la table, etc. Ma cuisine est un lieu vivant et, pour moi, le moment du repas est un rituel, où se mêlent échange et plaisir. Mes parents y tenaient beaucoup, j’ai pris le relais. Et je n’admets aucun téléphone portable à table!»
Bilan carbone à compenser
A 40 ans, Julie Ordon ne court plus la planète. «Je trouve qu’on voyage trop», dit-elle. Regard incrédule de Kiff, sa chienne. Plutôt gonflée comme remarque pour quelqu’un qui a survolé l’Atlantique comme d’autres prennent le bus. Elle en convient, précisant aussitôt voler de préférence en classe affaires. «Du coup, je voyage moins, mais mieux.» Cohérent.
Elle s’efforce de compenser le bilan carbone de son passé. «Depuis ma grossesse, j’évite au maximum les plastiques, je trie mes déchets, je cuisine moi-même des produits frais et locaux, je surveille ma consommation d’électricité, je filtre mon eau et je conduis une voiture hybride. J’encourage aussi ma fille à choisir ses fringues dans mon dressing, qui est digne de celui d’un magasin, ou alors à privilégier les boutiques vintage.» Responsable.
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Dans le vaste salon, l’art contemporain côtoie élégamment des meubles iconiques, comme une chaise longue signée Le Corbusier. Aux murs, des miroirs aux dorures rococo côtoient des photos de sa fille, une grande toile la représentant nue, des œuvres de sa propre main, dont ses fameuses poupées Barbie trash. Julie Ordon est une créatrice.
Désormais entrepreneuse, elle a ouvert en juin 2021, à la sortie du covid, sa propre boîte de gourmandises au nom joliment trouvé: Bretzel & Gretel. Une collection de douceurs haut de gamme déclinées en 13 parfums. Une aventure qu’elle a lancée seule, pendant la pandémie. «Mon ex-mari ne croyait pas à mon projet. Il pensait que c’était un caprice et ça m’a blessée.»
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Un homme et des femmes
Son équipe est exclusivement féminine. «Ce sont mes petites Gretel», sourit-elle. Actuellement en quête d’un nouvel investisseur, Julie Ordon espère atteindre un meilleur équilibre financier. Thomas, son amoureux depuis trois ans, Parisien, travaille dans l’immobilier, essentiellement sur Megève. Il a une fille de 8 ans dont il a la garde partagée. Il passe une semaine à Paris avec elle, une autre à Genève avec Julie, quand Mathilda est avec son papa. Un bon équilibre.
Sa carrière de mannequin continue. «Je n’ai pas tourné la page.» A 40 ans, poser l’amuse encore. Ce métier lui a permis de gagner gros. Elle a épargné, puis investi son argent dans la pierre. La belle histoire aurait pourtant pu s’arrêter net, après un accident survenu il y a dix ans sur le tournage d’une série pour TF1 intitulée «No Limit», produite par Luc Besson. Dans une scène en mer, la Genevoise incarnait un agent des forces spéciales sur le point d’arraisonner des trafiquants de drogue à bord d’un bateau. «J’étais à l’avant, l’arme à la main, raconte-t-elle. Il y avait de la houle. Ça secouait. Ce jour-là, j’ai vraiment pensé que j’allais mourir.»
Une première vague lui projette son arme au visage. Elle est sonnée. Une seconde vague la propulse en l’air. Lourde chute. Bilan: «Quatre opérations! Le choc a été tel que toute ma peau de la cheville au genou a bullé, comme après une brûlure. Le calcanéum a bougé, fracturé. Ma malléole interne était en copeaux. J’ai eu des barres à travers la jambe au niveau du tibia, des plaques, des vis, des broches externes. Mes tendons étaient presque sectionnés. Je ne suis pas une douillette, mais j’en ai bavé et, aujourd’hui encore, j’ai des douleurs constantes qui me tapent sur les nerfs.» Allergique à la morphine, la Genevoise a arrêté de carburer aux antidouleurs, pour préserver ses reins surtout.
Sa carrière d’actrice est à l’arrêt depuis le tournage avorté d’une coproduction internationale en 2020 en Bulgarie. «Après deux mois de tournage, le producteur principal s’est tiré avec la caisse! Au moins, j’ai été payée, mais je suis bien la seule.»
La mode en pleine mutation
Julie Ordon est aussi l’unique Romande à s’être imposée comme top-modèle. Pas l’égale de Cindy, Naomi et Linda, ni même de Kate Moss ou Gisele Bündchen, mais dans le haut du panier. Elle a été le visage de Biotherm jusqu’en 2009, année de la naissance de sa fille. On se souvient de la campagne Le Rouge de Chanel – dont le film publicitaire, signé Bettina Rheims, s’inspirait du «Mépris» de Godard –, de la une de «Playboy» aussi, parmi des centaines de couvertures de magazines.
«J’ai vécu, je pense, les dernières plus belles années de ce métier», avoue-t-elle sans vraie nostalgie. «Tempus fugit». L’univers de la mode poursuit sa mutation. «L’apparition des réseaux sociaux, puis des influenceuses, a tout chamboulé. Les marques ont changé de stratégie de com, préférant miser sur ces nouveaux relais plutôt que sur les médias traditionnels. Le marché s’est adapté à la nouvelle génération, mais je pense que ça ne durera pas.»
Julie Ordon s’efforce de protéger sa fille des dangers des réseaux sociaux. Elle lui a interdit TikTok et l’incite à la plus grande prudence ailleurs.
Quand elle-même a débuté, la Genevoise n’imaginait pas faire de vrais sacrifices, hormis s’éloigner de sa famille. «En observant ma fille avec ses copines, je réalise maintenant que je n’ai pas vécu mon adolescence. J’ai été responsabilisée très jeune.»
On devine qu’elle préférerait que sa fille choisisse un autre chemin de vie. «Mathilda est une fille très studieuse, ce qui m’ébahit et me rassure ainsi que son père. Nous étions deux cancres.» Julie n’est cependant ni la grande sœur ni la meilleure copine. «Non, je suis une maman assez stricte. Je peux tout entendre, tout comprendre, mais je ne veux pas de mensonges. Au besoin, je menace de la priver de son téléphone. C’est radical.»
Pas de drogues
De sa carrière passée, Julie Ordon retient surtout des rencontres avec «des gens exceptionnels» comme les photographes Ellen von Unwerth, Paolo Roversi et le regretté Patrick Demarchelier. «Je n’aurais pas fait cette carrière sans eux, sans compter que cette deuxième famille m’a préservée de beaucoup de problèmes – je pense à la drogue, par exemple.» En pleine période «heroin chic», il y avait donc des mannequins sains? «J’en suis la preuve! Je n’ai même jamais essayé la cocaïne, par peur de me perdre. J’avais aussi promis à ma mère de ne jamais y toucher. J’ai tenu parole.»
A-t-elle jamais subi de pressions de photographes masculins? «Une seule fois, je me suis sentie hyper mal à l’aise sur un casting, avec Terry Richardson. C’était malsain, jusqu’à sa façon de dire les choses, genre «Fais-moi une pose sexy comme si tu jouissais». J’avais envie de lui dire: «Mais tu me castes pour quoi, un porno?» Je ne travaillerai jamais avec lui. J’ai aussi vécu un truc moche avec un coiffeur que je connaissais pourtant bien. Un type marié, avec des enfants, qui a tenté à deux reprises de me contraindre à l’embrasser. Je l’ai traité de sale porc. Il est parti vexé, en me lançant: «Tu sais, c’est quand même moi qui décide avec le client quelles filles auront le contrat.» Façon Harvey Weinstein. «Ce coiffeur-là, je lui ai fait sa réputation partout où je suis allée.»
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L’ancienne ambassadrice de Biotherm peut s’enorgueillir d’avoir encore une peau magnifique. Elle ne la nourrit cependant pas que d’amour et d’eau fraîche. «Rester belle à 40 ans exige des efforts, mais comme je ne peux plus faire de sport sans souffrir, je compense avec des soins, dont beaucoup de PRP.» Euh, en quoi ça consiste? «On prend ton sang qui passe dans une centrifugeuse, puis on te le réinjecte débarrassé de ses impuretés, ce qui régénère les cellules. Je le fais pour mes cicatrices, pour mon visage aussi.» Le tarif? «Comme j’assure la promotion de la clinique esthétique Cleage à Genève, je peux profiter de leurs soins. Sinon, c’est un vrai budget, mais c’est efficace.»
A 40 ans, Julie Ordon aborde un nouveau chapitre de sa vie, avec Thomas. Même si elle reste hantée par sa première grossesse qui fut loin d’être idyllique, dépression postnatale en prime, elle avoue qu’avec lui elle pourrait envisager d’avoir un autre enfant.