Très affectée mais pas abattue, Judith Weber, 86 ans, était assise samedi après-midi devant une tasse de thé que Vera lui avait préparée. Nous sommes à Berne, au domicile de sa fille, où elle vit depuis quelque temps. Victime récemment d’une hémorragie cérébrale, celle qui partageait la vie et les combats de Franz Weber a besoin de quelques secondes pour préparer chacune de ses réponses, pour ciseler des phrases dans un français littéraire et châtié, comme l’était celui de son époux bâlois.
>> Lire le dossier publié à l'annonce de la mort de Franz Weber
- Comment avez-vous réagi à la triste nouvelle?
- Judith Weber: Ce fut un terrible choc quand Vera m’a dit avant-hier soir: «Mami, Papi n’est plus, il nous a quittées.» Non, non, non, non et non! Je ne peux pas accepter ça! Je savais pourtant son âge. Mais…
- Alors parlons des souvenirs heureux, comme votre première rencontre.
- J’ai compris de tout mon être, quand je l’ai vu pour la première fois, que c’était mon homme. C’était à la télévision. Je regardais une émission sur lui. Il se promenait dans Lavaux. Et je me souviens encore de ses dernières phrases dans l’interview qu’il avait prononcées avec une telle conviction, avec une telle assurance…
- Et votre première rencontre en tête à tête?
- C’était à Sempach, quand il faisait campagne contre le projet d’autoroute. Là, il m’a carrément ensorcelée.
- Ensorcelée mais aussi convertie à la protection de la nature?
- Non, car j’ai toujours eu un amour démesuré pour le monde vivant, en dehors du monde humain. Ce sont mes parents qui m’ont inculqué cet amour-là. Surtout ma mère, qui était une femme de conte de fées, une très belle femme, qui m’a beaucoup marquée.
- Et lui-même, est-il lui aussi tombé amoureux aussi vite?
- Avant que je reparte de Sempach, il m’a en tout cas dit: «On travaillera peut-être un jour ensemble.» Et cela m’a bouleversée. Dans ma voiture, j’étais comme un feu ardent qui ne s’est plus jamais éteint. Ma vie se réduisait soudain à une seule et unique question: est-ce qu’il va me téléphoner, cet homme-là?
- Et il l’a fait…
- Oui… Il m’a appelée pour m’informer qu’il organisait une campagne qui exigeait de constituer une équipe. «Est-ce que tu viens à Montreux tel jour?» Mais j’étais mariée, à l’époque. Ce n’était donc pas simple du tout, cette nouvelle situation. J’ai demandé au-dessus de mon épaule si je pouvais aller à Montreux et j’ai essuyé un refus catégorique. J’en ai informé Franz et il n’a pas fait mine d’en être affecté. Mais l’attraction mutuelle était si forte qu’il était impossible de résister. Il n’a pas cessé de me téléphoner. Et à chaque fois je percevais l’immense réserve de tendresse qu’il avait en lui et cela m’a finalement convaincue de le rejoindre.
- Et cela malgré votre situation familiale…
- Mon père, un notable, était très fâché. J’étais sa fille aînée et il estimait mon choix de vie inacceptable et irresponsable. Comment pouvais-je tomber dans les pattes de cet homme qui se prenait pour Dieu sait quoi? Je m’étonne encore de la fermeté dont j’ai fait preuve vis-à-vis de ma famille, notamment de mon père. Heureusement, ce dernier a fini par apprécier Franz. Et ma mère l’adorait.
- Et vous avez tout de suite commencé à collaborer aux combats de Franz Weber?
- Oui. Il recevait un courrier monstre. Il a simplement commencé en poussant vers moi une énorme pile de lettres et de papiers.
- Le mot-clé de cette rencontre fusionnelle, c’est le mot amour ou le mot nature?
- Les deux. C’était l’amour entre nous mais aussi l’amour de la nature, des animaux. Car je priais Dieu depuis l’enfance pour préserver les animaux, les forêts, tout ce que l’homme était en train de détruire. «Donnez-moi la chance de pouvoir donner tout ce qui est positif en moi pour préserver la Création!» Cette prière, je la faisais par exemple en promenant mon chien saint-bernard, Cyril, en forêt.
- Vous préparez actuellement un livre sur votre vie avec Franz Weber.
- En fait, je n’y aurais pas pensé moi-même. On me l’a proposé. Et finalement cela me plaît beaucoup. J’avais besoin d’exprimer tout ce vécu positif. Me remémorer certaines choses de nos débuts me procure un plaisir fou. Et je réalise plus que jamais, en revisitant toutes ces années, que trouver la femme, l’homme, l’être avec qui on veut passer sa vie, c’est quelque chose de très subtil, de très délicat. Il faut plusieurs rencontres avant. Avec Franz, nous nous sommes trouvés quand nous étions déjà tous les deux dans la quarantaine.
- Votre couple fonctionnait-il par l’identité ou la complémentarité?
- Nous étions totalement complémentaires!
- Complémentaires en quoi?
- J’ai d’abord et surtout une patience sans limites… Et j’ai une compréhension de mon partenaire ou de mon vis-à-vis qui est elle aussi presque illimitée. Il arrive qu’une personne fasse quelque chose de tout à fait contraire à mes convictions, mais je l’accepte. Ces deux qualités complétaient précieusement celles de mon mari.
- Le plus grand éclat de rire que vous ayez partagé avec lui?
- Un jour, il était à la cuisine et il me dit: «Toi qui te vantes avec ta Belesenheit, ta culture livresque, tu n’as même pas lu Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson, honte à toi!» Et il me crie cela en faisant une grimace atroce, imitant Mr Hyde. Il était à dévorer tout cru tellement il était drôle, tellement il était joli, tellement il était sublime!
- Et il savait aussi aimer les autres?
- Il aimait ceux qui savaient s’enthousiasmer pour une juste cause. Et il faisait tout pour les encourager, les protéger. Il attirait d’ailleurs ces gens-là. Son avocat, Me Rudolf Schaller, par exemple, était un ami à toute épreuve. Il se serait fait tuer pour mon mari.
- Une dernière chose à dire pour lui rendre hommage?
- Il avait un don pour allumer le feu chez les autres. On partait toujours de chez Franz avec un immense cadeau: celui de son propre feu. C’est unique au monde. On était touché par quelque chose de… überirdisch (extraterrestre, ndlr). Il avait une aura surnaturelle.
- Faites-vous confiance à votre fille pour poursuivre l’œuvre de votre couple?
- Elle a pris cette responsabilité que je n’aurais jamais pu endosser. Et vu sa manière de travailler, je n’ai pas d’inquiétude. C’est la digne fille de son père. Ah oui, honte à moi, j’allais oublier quelque chose: Franz était un très bel homme!
>> Lire également: l'hommage de Brigitte Bardot à son ami Franz Weber
>> Voir encore: la galerie de photos de la vie de Franz Weber