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EXPÉRIENCE DE MORT IMMINENTE

Jonathan Matile: «Dix à 15% des gens vivent une NDE après un arrêt cardiaque»

Il est un des premiers psychologues à avoir ouvert une consultation spécialisée pour les personnes ayant vécu une expérience de mort imminente. Jonathan Matile est persuadé qu’une NDE n’est pas liée à un dysfonctionnement du cerveau.

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Jonathan Mathile

Jonathan Mathile est psychologue à Pully et éclaire notre journaliste sur les expériences de mort imminente. Le docteur Mathile est persuadé qu’une NDE n’est pas liée à un dysfonctionnement du cerveau.

Julie de Tribolet

Au pays des sigles, NDE et EMI, pour near death experience et expérience de mort imminente, sont certainement parmi les plus connus du grand public. En 2021, on estime que 5% de la population aurait vécu une expérience de ce type au cours de sa vie. Ce qui fait du monde à l’échelle de la population mondiale. Sentiment de «décorporation» par exemple lors d’un arrêt cardiaque, d’un coma, vision récurrente d’un tunnel, d’une lumière blanche, de la présence d’un être de lumière ou de défunts à ses côtés, le décor des NDE est connu, surtout depuis le best-seller du Dr Raymond Moody en 1975. A cela s’ajoute le sentiment évoqué, par ceux qu’on appelle désormais des «expérienceurs», d’une paix, d’un amour omniprésent assorti de l’absence de toute douleur.

Il y a vingt ans, on hésitait à confier qu’on avait fait une NDE. Aujourd’hui, des groupes de parole existent et il n’est pas rare de parler de son expérience de mort imminente comme on le ferait de son opération des amygdales. Sans tabou.

Depuis dix ans, de nombreux articles scientifiques ont été consacrés à ce phénomène, relève Jonathan Matile, psychologue à Pully. Le plus connu restant l’étude du cardiologue néerlandais Pim van Lommel, en 2001, publié dans la prestigieuse revue The Lancet. Fort de son expérience, qui s’appuyait sur l’observation de 344 participants sur huit ans, le médecin était convaincu que la NDE existe bel et bien et n’est pas une hallucination produite par un cerveau malade. «Grâce à lui, les expériences de mort imminente sont passées du domaine du paranormal à celui de la science», relève le psychologue vaudois, qui a lui-même consacré son travail de master aux conséquences psychologiques des expériences de mort imminente et de leurs effets sur l’anxiété et la peur de la mort. Il a travaillé pendant deux ans avec 29 «expérienceurs» qui ont accepté d’être testés au laboratoire de psychologie de l’Université de Genève. Le praticien a utilisé pour ses analyses l’échelle de Greyson, un outil mis au point par un neuroscientifique de l’Université de Virginie, qui détermine à l’aide d’un questionnaire de 16 questions si le sujet a vécu une NDE ou pas. Il faut obtenir 7 points sur 32 pour la valider.

«Ce qui est frappant chez tous les sujets, note Jonathan Matile, c’est l’intensité du souvenir qui ne varie pas malgré les années. Son degré de réalité est même supérieur à celui de la réalité ordinaire.» Souvent, les sujets reviennent avec le sentiment que le monde d’ici n’est qu’une pâle copie de celui auquel ils ont eu brièvement accès. Revenir dans leur corps peut être très perturbant, observe encore le psychologue. Qui est un des premiers à avoir ouvert en Suisse une consultation et un groupe de parole dédié aux NDE mais aussi à toute expérience spirituelle ayant laissé des traces. C’est d’ailleurs après avoir vécu lui-même une montée de kundalini (l’énergie qui part du bas des reins et se diffuse le long de la colonne vertébrale), en 2009, qu’il s’est intéressé aux NDE. «Auparavant je n’étais pas du tout concerné par ces phénomènes, plus fan de rugby que de yoga», sourit-il.

Aujourd’hui, il a une dizaine d’«expérienceurs» dans ses consultations et il propose également un groupe de parole. «Une NDE peut bouleverser tout son système de valeurs, ses rapports familiaux, certains développent même des capacités inédites, magnétisme, capacité médiumnique, il faut pouvoir aider les personnes à les gérer.»

On sait aujourd’hui que 10 à 15% des gens qui survivent à un arrêt cardiaque vivent une expérience de mort imminente. La décorporation n’est pas systématique, ni le rembobinage des séquences de sa vie. Les croyances culturelles jouent un rôle également pour expliquer les différences de perception d’une NDE, explique le psychologue. «La notion de passage est plus liée à la culture occidentale avec l’image du tunnel, alors que les musulmans verront une porte et les Asiatiques une rivière.» Jonathan Matile cite aussi ce qu’on appelle des «NDE-like» qui correspondent à des EMI vécues en dehors de situations de danger pour la vie, suite à une séance de méditation intensive ou à un choc émotionnel. Fait étonnant: le tout premier répertoire de NDE a été fait en Suisse à la fin du XIXe siècle et concerne une trentaine d’alpinistes du Club alpin suisse qui ont vécu une telle expérience après des accidents de montagne. Leur témoignage figure dans les annales du club.

Si Pim van Lommel est arrivé à la conclusion que les NDE sont la preuve de l’indépendance de la conscience par rapport au cerveau, sa thèse n’est de loin pas partagée par ses collègues neurologues les plus cartésiens qui rangent toujours une NDE au rayon du dysfonctionnement neurologique, de type hallucinatoire. Si Jonathan Matile est, lui, d’avis que le cerveau est bien concerné, il pense, au contraire, que celui-ci fonctionne normalement dans une NDE. Et que l’hypothèse que la conscience puisse être délocalisée tient la route. Mais que peu de scientifiques, soucieux de ne pas ruiner leur carrière, oseraient la soutenir, même si en privé beaucoup se montrent intéressés par la question. «Nous manquons de courage scientifique par rapport notamment aux Etats-Unis bien plus en avance que nous sur ce plan-là. Ce qui est dommage, car nous avons tous les outils nécessaires chez nous, notamment avec le Human Brain Project, pour étudier l’hypothèse de cette conscience délocalisée.»

Notamment en étudiant des sujets comme Nicolas Fraisse, cet infirmier français capable de sorties du corps à volonté et qui peut décrire des images projetées dans une pièce autre que celle où il se trouve ou aller dans un endroit qu’on lui désigne au hasard et raconter ce qu’il s’y passe (L’illustré lui avait consacré un article, ndlr). Un garçon aux capacités étonnantes suivi depuis des années par l’Issnoé (l’Institut suisse des sciences noétiques) à Genève, sous contrôle d’huissiers et de médecins. Jonathan Matile: «Aux Etats-Unis, on a dépensé des millions de dollars pour étudier les sorties du corps sur un plan militaire, comme dans le projet Stargate entre 1970 et 1995, avec la technique du remote viewing qui a permis à des sujets particulièrement performants de visualiser à distance des cibles ennemies et d’en tracer des croquis étonnants de précision. Je reste persuadé que ces techniques sont toujours utilisées par des unités secrètes!»

Lire encore notre ancien (2017) sur Nicolas Fraisse: L'homme qui sort de son corps à volonté 

Renverser la vapeur. Postuler que la conscience (on ne parle jamais d’âme, terme trop connoté religieusement) a une existence indépendante du cerveau et tenter d’en faire la preuve, c’est le credo de Sylvie Déthiollaz, directrice de l’Issnoé, dont le livre sur les états modifiés de conscience en est à sa sixième édition*. Cette scientifique de formation (docteure en biologie moléculaire) constate que les recherches en neurosciences qui se targuent de chercher la conscience dans le cerveau sont actuellement dans une impasse. «Pourquoi le matérialisme scientifique n’utiliserait-il pas les outils du matérialisme pour prouver le contraire, soit l’indépendance de la conscience?» Et la Genevoise de citer les travaux de Christof Koch, un neuroscientifique américain spécialisé dans les recherches touchant la conscience, président et CSO du Allen Institute for Brain Science de Seattle, la Mecque des neurosciences. «C’est un adepte du panpsychisme, l’idée que la conscience serait partout, apparue en même temps que l’univers. Il y a même des mathématiciens qui travaillent sur le calcul d’unités de conscience propres à tout ce qui est vivant.»

Croire que la conscience ne peut être indépendante du cerveau sans réussir à le prouver, on reste dans le domaine de la croyance, renchérit Jonathan Matile, alors que la curiosité et l’ouverture doivent être l’apanage de la science. Evidemment, si on pouvait prouver la délocalisation de cette conscience, ce serait un véritable tremblement de terre, reconnaît le spécialiste, «puisqu’on arriverait enfin à répondre à la question: qu’y a-t-il après la mort?».

*«Etats modifiés de conscience: NDE, OBE et autres expériences aux frontières de l’esprit», Editions Favre, 2021.

Par Patrick Baumann publié le 17 juin 2021 - 08:49