1. Home
  2. Actu
  3. Jikō Simone Wolf, une abbesse zen à La Brévine
Rencontre

Jikō Simone Wolf, une abbesse zen à La Brévine

C’est «à l’ombre de la montagne verte, le temple de la neige lumineuse», un paradis méditatif aux portes de La Brévine (NE) que la nonne Jikō Simone Wolf, 73 ans, pratique le zen Sōtō. Cette Chaux-de-Fonnière a été touchée il y a plus de cinquante ans par ce rite alors qu’elle cherchait à apaiser une profonde tristesse.

Partager

Conserver

Partager cet article

La nonne Jikō Simone Wolf

C’est dans ce «hattō», lieu dédié aux cérémonies, que les enseignements de Bouddha sont récités tous les jours.

Blaise Kormann

Ce jour-là, la chaleur de l’été réchauffe même la Sibérie de la Suisse. Le soleil à son zénith salue toute la vallée de La Brévine, à commencer par sa porte d’entrée, Le Cerneux-Péquignot, petit village montagnard parsemé de fermes. Là s’élève une bâtisse du XVIe siècle au style romantique qui, dans son parc, abrite un dojo – espace consacré à la méditation zen – extérieur avec, au centre, un autel en bois sur lequel sont posés un pot à encens et une statue de Bouddha. Un peu plus loin, sur la droite, on découvre une grande cabane qui est utilisée comme un «hattō», lieu dédié aux cérémonies où les sutras, les enseignements de Bouddha, sont récités. Suspendue au-dessus de la bâtisse principale, une cloche retient l’attention: le «bonshō», que l’on trouve dans les temples japonais et qui rythme le temps de la méditation. Son son paisible semble retentir à l’infini.

Jikō Simone Wolf, 73 ans, est la maître zen de cet endroit préservé de l’agitation et de la frénésie de notre époque. Elle est l’une des rares femmes à la tête d’une communauté zen composée de nonnes, de moines et de laïcs. C’est une des pionnières en Occident. «La pratique est au-delà du genre. On est toutes et tous nature de Bouddha», souffle-t-elle. Elle nous accueille devant la roseraie. «Jikō, qui veut dire «lumière de compassion», est le nom que le maître Taisen Deshimaru, à qui je dois mon entrée dans la voie du Bouddha, m’a donné lors de la cérémonie de remise des préceptes. Dans la coquetterie de ma jeunesse, ne comprenant rien à la compassion ni à la sagesse, j’aurais préféré m’appeler «Fleur de lotus». Puis la compassion est devenue l’objet d’une véritable étude et c’est très bien ainsi», sourit celle qui a grandi à La Chaux-de-Fonds. 

Son sens de l’humour et de l’autodérision nappera toute la visite de Ryokuinzan Kōsetsu-ji, qui signifie «à l’ombre de la montagne verte, le temple de la neige lumineuse». Derrière le regard espiègle de Jikō Simone, il y a une profonde compréhension du monde et de ses vibrations. Elle fait partie de ces êtres qui entendent le cœur de leurs invités. «Nous acceptons et accueillons ce qui vient de l’extérieur. Tout le monde est le bienvenu ici», dit-elle d’entrée de jeu. Cette sagesse de l’Autre, elle l’a tissée au fil des années assise le dos bien droit en zazen, la posture d’Eveil du Bouddha Shakyamuni.

La nonne Jikō Simone Wolf

Le temple est un havre de paix. En photo, l’abbesse calligraphie, peignant le symbole zazen de l’anneau en bois, qui signifie «sans début ni fin».

Blaise Kormann

«J’ai flashé sur le zen!»


La fondatrice de ce temple a choisi de pratiquer le zen Sōtō, une branche japonaise du bouddhisme, alors qu’elle n’avait qu’une vingtaine d’années. Celle qui ne répondait alors qu’au prénom de Simone venait de traverser, en l’espace de six mois, le choc de ce qu’elle nomme «l’impermanence»: les décès de sa sœur puis de sa maman, toutes deux victimes d’un accident de la route. «J’avais des fissures et le sentiment que les gens autour de moi ne pouvaient pas les comprendre. Je suis donc partie. Après des voyages en France, en Italie et en Islande, j’ai tracé ma route, à la recherche de ce maître zen qui parlait de l’unité du corps et de l’esprit. Mon chagrin était le point de départ de ma quête de sens», se souvient-elle.

Et c’est dans les rues de Paris qu’elle tombe sur une affiche avec l’adresse du dojo de Taisen Deshimaru, pionnier des maîtres zen d’Europe. «La première fois que j’ai essayé la posture de zazen, je me suis sentie comme un tas de misère sur un coussin rond, puis, doucement, ma colonne vertébrale s’est redressée, ma respiration s’est apaisée, douleur et souffrance ont été déposées. En continuant, au fil des années, j’ai réalisé que le karma de chacun peut se transformer.»

Pour rejoindre cette «sangha» (communauté) dont les racines remontent à 2600 ans, elle rase ses longs cheveux noirs, devient nonne et continue de suivre quotidiennement l’enseignement de son maître. A la mort de ce dernier, en 1982, elle revient dans sa région d’origine, en terre protestante, où la culture bouddhiste était encore inconnue. «J’ai rencontré alors le regard perplexe de mes camarades de classe qui, pour la plupart, étaient devenus parents et étaient occupés par des activités beaucoup plus conventionnelles que les miennes. Certains pensaient probablement: «Encore une fantaisie de Simone!» Il faut bien admettre que mon crâne rasé ne passait pas inaperçu.» 

Isolée, la jeune femme ressent le besoin fort d’inviter celles et ceux qui souhaitent méditer dans son appartement transformé en dojo zen. «Je n’ai pas arrêté de vivre dans un temple depuis, que ce soit dans le centre zen que j’ai ouvert dans les années 1990 à La Chaux-de-Fonds ou ici depuis 2009. Vous savez, rien n’est à moi, mais à celles et ceux qui m’ont précédée et qui vont me succéder dans la famille du zen Sōtō», explique celle qui a toujours contribué au financement de ces lieux, d’abord en faisant des massages shiatsu, et maintenant en se consacrant à l’enseignement du dharma. 

temple - la nonne Jikō Simone Wolf

«Nous acceptons et accueillons ce qui vient de l’extérieur. Tout le monde est le bienvenu ici!», Jikō Simone Wolf.

Blaise Kormann

Changer les consciences en étant zen
 

Un espace qui se découvre soit par le bouche-à-oreille, soit à l’occasion d’une des nombreuses retraites qu’elle organise. Au fil des ans, il y a les disciples qui restent et ceux qui partent. «Pour moi, le rapport maître-disciple, c’est comme rencontrer un ami, un ami de bien.» Et combien de personnes se sont recueillies jusqu’à présent? «Je ne tiens pas une comptabilité. Le nombre n’est pas très important, seules la détermination et la sincérité avec lesquelles on s’assoit en zazen comptent. Parfois, c’est très calme et, certains week-ends, il y a beaucoup de vie.» 

La Suissesse tient aussi à préciser: «La voie du Bouddha va continuer bien après moi. Vous savez, je n’ai jamais été attachée à un courant politique, même adolescente en mai 68. Mais changer la conscience du monde est le vœu de tous les pratiquants. Peut-être qu’être zen, c’est la plus grande action politique que l’on puisse faire dans sa vie…» Même si elle est très lucide sur le fait que «l’être humain reste humain et aucune communauté religieuse n’est à l’abri de comportements déviants qui ternissent l’image d’un enseignement», l’abbesse réactive chaque jour le vœu de guérir l’esprit. 

Après une des cérémonies dans le «hattō», Jikō Simone Wolf allume une Gitane. «Surprenant, n’est-ce pas? C’est mon petit côté Gainsbourg qui ressort», lance-t-elle avec malice. Pendant quelques instants, on l’imagine très bien dans sa jeunesse dans les cafés de La Chaux-de-Fonds à écouter l’artiste français, mais aussi les Beatles et les Doors. «On me demande parfois si je regrette mon choix. Je n’ai jamais eu la sensation de m’être trompée. Cultiver l’amour universel est le sens que je donne à ma vie.» 

Demain aux aurores, comme d’habitude, la nonne abbesse zen se rendra en ville pour se recueillir avec une partie de ses disciples, avant qu’ils ne partent travailler. Sous le porche de la maison à notre départ, Jikō joint les mains en «gasshō», signe de non-dualité entre soi-même et les autres et nous lance: «Revenez quand vous le souhaitez pour une initiation!» 

Par Jade Albasini publié le 10 novembre 2023 - 07:48