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Interview

Jérémy Seydoux: «Je ne suis pas un coupeur de têtes»

A l’origine de plusieurs affaires qui ont secoué la sphère politique genevoise ces derniers mois, le rédacteur en chef de Léman Bleu compte désormais parmi les poids lourds du monde médiatique romand. Rencontre avec un grand épicurien, amoureux de la vie et des gens. 

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Jérémy Seydoux, journaliste et rédacteur en chef de Léman Bleu

Travailleur acharné, Jérémy Seydoux apprécie les moments de pause à leur juste valeur. Souvent par monts et par vaux, il essaie de passer un ou deux soirs par semaine chez lui, près du quartier des Eaux-Vives. «Le reste du temps, on est beaucoup chez la famille, les amis, ou on participe à des événements.» 

Julie de Tribolet

On l’appelle le journaliste justicier. Un comble pour Jérémy Seydoux, qui déteste se voir «rangé dans un tiroir». Ce qui lui colle à la peau, c’est l’info, pas les étiquettes. Certes, les affaires politiques qu’il a soulevées dernièrement à Genève ont conduit à une démission et deux des protagonistes ont déjà vu leur avenir dans le domaine sérieusement hypothéqué. Bien sûr, son minutieux travail d’enquête a été couronné par le Prix Transparence Regio 2023 ainsi que par une deuxième place aux Swiss Press Awards en 2024. Pour autant, le journaliste refuse de se voir comme le nouveau procureur du quatrième pouvoir.

D’ailleurs, derrière l’image un peu guindée et hors d’âge de celui qui «donne les nouvelles», un homme enthousiaste et drôle s’épanouit. Toujours partant pour une nouvelle expérience, une belle rencontre ou un moment partagé. Il a la fougue de ses 28 ans et la maîtrise de ceux qui ont développé leurs compétences en prise directe avec le terrain. Le temps d’une journée, il nous a invités à le suivre. Entre une séance de rédaction et un dîner avec des amis, Jérémy Seydoux a confié ses convictions, ses failles et son amour des choses simples.

- Vous êtes désormais considéré comme un journaliste justicier. Comment le vivez-vous?
- Jérémy Seydoux: Je n’apprécie pas ce mot, justicier, parce qu’il implique un rôle de procureur, très moral. Moi, j’aime éclairer les zones d’ombre. «Post Tenebras Lux», la devise de Genève! Je suis beaucoup plus attaché à une forme de transparence, à questionner le pouvoir.

- C’était un plan de carrière?
- Non. Ces affaires politiques, je les ai sorties parce que je suis tombé sur des documents qui m’ont permis de mener l’enquête. Je les trouvais graves et personne ne s’en emparait. Alors je l’ai fait.

- Cela définit malgré tout une certaine image de vous.
- A la base, je suis présentateur de téléjournal. A priori, une personnalité très lisse qui reçoit des invités pour les interviewer. Je suis authentiquement attaché à la rencontre avec les gens, j’adore discuter avec eux et ce sont des moments que je chéris. Le côté investigation qui me colle aujourd’hui à la peau, je l’assume. Mais je suis surtout un animal social, pas un genre d’enquêteur qui épluche des rapports dans sa cave.

- Vous avez toujours été comme cela?
- J’ai toujours été un peu contestataire et je n’ai jamais appartenu à aucun clan. L’école primaire n’a pas constitué les années les plus heureuses de ma vie. Au cycle d’orientation, ça s’est amélioré. J’ai commencé à m’épanouir au collège, puis j’ai démarré assez vite à Léman Bleu. Mais j’ai toujours eu l’impression que je n’étais pas comme les autres et que je ne pensais pas comme eux. Par exemple, je ne jouais pas au foot, je n’aimais pas ça. Donc je m’amusais avec les filles. On me traitait de pédé, pourtant je n’avais rien d’efféminé, je ne comprenais pas. En fait, je refuse qu’on me colle une étiquette. 

- Est-ce que ce nouveau statut de journaliste d’investigation vous isole?
- J’ai un cercle intime, une famille et un compagnon qui constituent un bastion imprenable. Ils me sont précieux. C’est un métier qui implique une forme d’isolement et de responsabilité. On ne peut pas, parce qu’on est copains ou qu’on trouve untel sympa, oublier sa mission. En soirée, il y a toujours quelqu’un pour dire «Faites gaffe à ce que vous dites, il y a un journaliste autour de la table», mais on n’est pas dans l’improvisation. Je travaille de manière extrêmement claire. Avec des documents et des interviews, pas avec des rumeurs ou, pire, des accusations anonymes. Tout ce qu’on dit ou écrit a des conséquences sérieuses.

Le journaliste et rédacteur en chef de Léman Bleu, Jérémy Seydoux

Avec le Prix Transparence Regio 2023. Une récompense qui ne suffit pas à faire taire les doutes. «Aussi génial que soit le journal de la veille, il faut recommencer à zéro le lendemain. Nous sommes condamnés à ne pas nous autocongratuler.»

Léman Bleu

- Vous pensez que la politique genevoise est plus pourrie qu’ailleurs?
- Je ne sais pas. A Genève, il y a de graves dérives et c’est un peu plus exacerbé qu’ailleurs. Il y a un style. On dit souvent que nous sommes les Parisiens de la Suisse et c’est vrai qu’il y a un côté très français dans la manière de faire de la politique, de très théâtral. Il y a aussi de grosses disparités sociales, qui accentuent la colère populaire.

- Avez-vous déjà reçu des menaces?
- Oui, bien sûr. A chaque fois qu’on travaille sur des affaires qui dérangent, on reçoit des intimidations déguisées. Quand mon nom est cité à la radio par un responsable politique qui laisse entendre que si j’effectue ce travail, c’est parce que j’ai des intérêts financiers, c’est une accusation grave de corruption qui vise à me décrédibiliser. Il faut faire un peu le dos rond, mais, au fond, on sait bien que plus la réaction est virulente, plus le chemin emprunté est juste.

- C’est quelque chose qui vous motive?
- Non, parce qu’il ne faut pas être dans une excitation guerrière. Nous pratiquons un métier responsable, il faut rester calme, réfléchir un jour ou deux après une charge violente et tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de répondre. Nous sommes ultra-vulnérables, la vigilance est donc de mise. Si je devais commettre une erreur, je serais beaucoup plus exposé qu’un homme de pouvoir dans la même situation.

- Journaliste, c’était un rêve d’enfant?
- Plus que journaliste, c’était de faire de la télévision. J’ai toujours été fasciné par l’image. J’ai d’abord appris à faire du montage vidéo en autodidacte, avec les films de vacances, de camp de ski ou de voyage de fin d’études. J’adorais ça. Nous avions aussi monté Staël Télévision, au collège, diffusée sur YouTube. De petits reportages à la façon Yann Barthès de l’époque. Les choses se sont ensuite enchaînées rapidement et de manière inattendue.

- Vous êtes entré à Léman Bleu à l’âge de 19 ans comme chroniqueur. Vous y avez pratiqué presque tous les métiers. Envisagez-vous de partir un jour?
- Non. Je ne sais pas pourquoi les gens me parlent toujours du moment où je quitterai cette chaîne. J’ai une liberté éditoriale et d’action incomparable, notre équipe est super, on n’a aucun problème de conflit interne ou de clan. Notre travail a des répercussions sur la vie de la cité, on a une originalité, on reçoit des prix. Au fond, on joue déjà dans la cour des grands et je suis certain d’occuper un des postes les plus enviables de la profession. Pourquoi est-ce que je partirais? 

Le journaliste et rédacteur en chef de Léman Bleu Jérémy Seydoux sur le plateau du journal télé

Etre un homme d’image, c’est aussi se soucier de son apparence. Jusqu’à un certain point. «J’ai toujours aimé les cravates. En tant qu’homme, c’est le seul accessoire sur lequel on peut jouer. Sinon, la mode me passe un peu au-dessus et je me mets à jour tous les deux ans environ.»

Julie de Tribolet

- Vous avez obtenu le Prix Transparence Regio 2023, puis vous avez atteint la 2e place des Swiss Press Awards dans la catégorie Local fin avril. Quel rapport entretenez-vous avec ce genre de récompenses?
- J’ai 28 ans. Je n’ai jamais suivi d’école de journalisme, je ne suis pas issu d’une famille de journalistes, je ne fais partie d’aucun cercle et je n’ai jamais eu l’impression de mériter ce que j’avais. Forcément, recevoir une distinction de ses pairs, ça assoit quelque chose et ça fait du bien. C’est une légitimation, surtout après un travail compliqué et controversé. Même si le syndrome de l’imposteur revient assez vite. 

- Certaines affaires vous empêchent-elles de dormir?
- Bien sûr. C’est quelque chose de très prenant, et qui ressurgit facilement la nuit.

- Vous culpabilisez parfois, quand vous voyez quelqu’un démissionner à la suite d’une affaire que vous avez révélée?
- Je préfère ne pas y penser parce que ça ne me regarde pas. Une fois que les faits sont posés, il faut se retirer. Sinon, on tombe dans quelque chose de personnel. Je ne suis pas un coupeur de têtes, je ne ressens pas de plaisir à faire tomber les gens.

- Un modèle de journaliste qui vous inspire?
- Je n’ai pas spécialement d’idole. Aucun poster au mur de qui que ce soit quand j’étais petit. J’ai une tendresse pour le personnage de Chirac parce qu’il a su traverser les épreuves avec panache tout en restant une figure populaire. On dit que j’aurais le même nez, on m’a beaucoup comparé à lui. Pascal Décaillet, peut-être, parce que c’est un homme de micro, qu’il sait surgir, il a un vrai flair, une vision pointue dans la plupart des cas. C’est quelqu’un que j’écoute beaucoup pour essayer d’anticiper les sujets. Je lui suis fidèle. Et puis Laurent Keller, directeur de Léman Bleu. C’est mon papa de la télé.

- Le fait que votre père, un autre Laurent, soit engagé en politique à Genève vous pose-t-il problème pour exercer votre métier de journaliste?
- D’abord, précisons que mon père est un député de milice, nous ne sommes pas en France. Son quotidien, c’est avant tout celui d’un entrepreneur. Il m’a appris la force du travail d’équipe et le goût du risque. Je suis fier de son parcours, il a créé sa boîte dans sa chambre d’adolescent au Lignon! Mais oui, on a essayé, dans le cadre des affaires que j’ai sorties, de faire courir le bruit qu’étant son fils je n’étais pas neutre. Certains l’ont même dit en direct à la télévision. C’est une façon condescendante de m’attaquer et c’est assez malhonnête, car cela n’a strictement rien à voir. Ma carrière de journaliste, je l’ai bâtie de mon côté, en travaillant dur. Mon père s’est présenté face au peuple, il a été élu en toute transparence, il ne me doit rien.

- Envisagez-vous de vous engager en politique un jour?
- Non. Je ne peux pas analyser, décortiquer le pouvoir et parfois en dénoncer les dérives pour ensuite y adhérer. Ça enferme, la politique. Je n’ai cessé d’écarter les barreaux, ce n’est pas pour m’en remettre. Ce qui me plaît, c’est de sentir la cité vibrer. Le métier que je fais a un sens pour les gens. Il n’y a pas un jour où je ne suis pas arrêté au supermarché par des gens qui me parlent de ce que l’on a diffusé la veille.

- Vous avez fait deux fois l’acteur récemment, c’est quelque chose qui vous plaît?
- J’ai joué mon propre rôle, ce n’était pas très compliqué. On me l’a proposé et je suis quelqu’un d’assez enthousiaste, donc j’ai accepté. J’ai eu de la chance, «Ciao-ciao Bourbine» a fait un carton, il est dans le top 10 de l’histoire suisse du cinéma. C’est cool. Pourtant, je pensais qu’ils allaient me couper au montage, mais ils ont tout gardé. Dans «Le procès du chien», j’ai quinze secondes, mais le film a reçu la Palm Dog au dernier Festival de Cannes, de quoi être fier!

- Vous avez d’autres moyens de décompresser?
- Je dors. Le week-end, douze heures par nuit. Il m’arrive de ne pas sortir de la maison, je regarde des séries toute la journée. Sinon, les amis, les petites escapades, le vin, une bonne bouffe, le sport, des choses simples. Et puis la musique aussi, l’opéra notamment. Je suis un habitué du Grand Théâtre.

Gastronomie et vin figurent en bonne place des passions de Jérémy Seydoux, rédacteur en chef de Léman Bleu

Gastronomie et vin figurent en bonne place des passions de Jérémy Seydoux. «J’achète le vin pour le boire, pas pour le collectionner. C’est toujours une question d’occasion. Une bonne bouteille, on l’apprécie en bonne compagnie.» Ici avec Noémie, qu’il connaît depuis le cycle d’orientation. Le mari de cette dernière (tout à droite) se prénomme également Guillaume. «Chacun le sien», plaisante-t-elle.

Julie de Tribolet

- Vous jouez d’un instrument?
- J’ai fait dix ans de trompette, mais à un moment donné, je me suis dit qu’il valait mieux l’écouter plutôt que la jouer.

- Vous êtes un bon vivant, c’est la véritable raison pour laquelle vous faites du sport?
- C’est vrai que c’est une nécessité, pas un moteur. Il faut déboucher les artères de temps en temps et entretenir la machine. Je pratique le «spinning», le fitness et la marche, mais c’est franchement désastreux, je n’ai aucune condition physique. J’ai pris du poids, j’ai dû refaire des costumes. On va dire que je deviens homme.

- Il y a une grande pile de livres sur votre bureau, d’autres vous attendent sur le coin de la commode. Vous aimez lire?
- Je lis pour le plaisir en vacances, jusqu’à dix bouquins en deux semaines. Sinon, je lis dans le cadre du travail, pour préparer les interviews, ça prend du temps. De facto, je lis beaucoup, plutôt en français. Je ne suis pas un grand littéraire. Le livre qui m’a le plus bouleversé, c’est «Les misérables», de Victor Hugo. Sinon, j’aime Emmanuel Carrère, Michel Houellebecq, Sylvain Tesson, les trucs du moment. Si j’ai le choix, sur papier. J’aime le côté sensitif de la lecture, toucher, griffonner.

- Vous vivez une belle histoire avec Guillaume. Avez-vous craint qu’elle puisse porter préjudice à votre carrière?
- Si ça devait me porter préjudice, ce serait suffisamment inquiétant pour que je parte en courant. Bien sûr que l’homophobie existe. A Genève, on est plutôt ouvert sur la question et j’évolue dans un milieu où il n’y a pas forcément de tabou à ce niveau. Je n’ai aucune honte à dire que je sors avec Guillaume, mais je ne veux pas faire de ma vie privée un acte militant. Et puis, c’est une histoire qui nous appartient. 

Par Katja Baud-Lavigne publié le 14 juin 2024 - 11:00