En 2015, quand Jérémy Desplanches rejoint la baie des Anges, ce n’est pas pour y faire du tourisme. Et le contrôleur antidopage, qui a décidé de faire une apparition surprise le même jour que notre visite, est là pour le lui rappeler. Bien connue pour ses plages et son soleil rayonnant, Nice est devenue sa résidence secondaire. Son domicile principal, c’est... la piscine olympique Camille Muffat. Ses rares incursions dans la vie locale, il les passe au volant, dans la circulation chaotique de la capitale azuréenne, lors de ses incessants allers-retours entre son domicile et son bassin d’entraînement.
Pourtant, ce grand blond aux yeux bleus n’a pas toujours été un acharné du travail. La natation à Genève, c’était avant tout pour voir ses potes et s’amuser. «Mais à 15 ans, on devait s’entraîner tous les jours après l’école. Ça commençait à faire beaucoup pour un simple hobby. Il a fallu faire un choix.»
L’Onésien suit alors l’exemple de sa grande sœur, Anaïs, qui nage en équipe nationale, et se lance à fond. Si bien que c’est dans la peau du champion suisse et recordman national du 200 m et du 400 m 4 nages qu’il décide de tenter sa chance à l’étranger pour franchir un palier supplémentaire.
«J’ai appris à être devant et à gagner une course»
Il songe aux Etats-Unis, à l’Australie, mais c’est finalement Nice qu’il choisira, convaincu par le discours de l’entraîneur à succès Fabrice Pellerin. Après une semaine d’essai, «la semaine la plus dure de ma vie», Jérémy Desplanches rejoint la Côte d’Azur. Au top de sa forme, il prend néanmoins une belle claque. «L’entraînement était beaucoup plus dur. Et ça fait mal à l’ego quand tu termines derrière les filles. J’ai dû recommencer de tout en bas. Ce n’était pas facile à assumer, mais c’est ce que je voulais.» Pour Fabrice Pellerin, ce sont ces défis qui révèlent les grands sportifs. «Quand on est moins bon que ce qu’on pensait, mais qu’on insiste pour devenir le nageur que l’on rêve d’être, on prépare généralement des lendemains qui chantent.»
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Aujourd’hui, le Genevois de 23 ans a revu ses objectifs à la hausse. Lui qui s’était contenté autrefois d’une participation aux Jeux de Rio 2016 ne se bat plus pour une qualification, mais pour des médailles. «Je sais que j’ai encore du potentiel pour viser quelque chose en 2020 à Tokyo ou même plus loin.» Et dans l’immédiat, ce sont les Championnats d’Europe de Glasgow en août qui retiennent toute son attention. «La pression sera différente puisque je fais maintenant partie du peloton de tête. Mais je suis confiant. J’ai appris à être devant et à gagner une course. Avant je ne savais pas gérer cette position de chassé.»
Et à l’Olympic Nice Natation, on met tout en œuvre pour que le champion d’adoption atteigne ses ambitieux objectifs. Mais qu’en aurait-il été s’il avait choisi de rester en Suisse? «Ce n’est pas impossible d’être un sportif pro dans notre pays. Certains l’ont réussi. Mais je pense que c’est encore difficile de concilier sport et études.» Jérémy Desplanches parle en connaissance de cause, lui qui a obtenu son bachelor à l’Ecole de management et de communication (ESM) en partie à distance, condition sine qua non imposée par ses parents pour s’aventurer à Nice. «Mais j’en ai bavé. J’ai eu envie de tout faire sauter. Pour Fabrice, un nageur qui s’entraîne dur, c’est un nageur qui n’a plus la force de se faire une assiette de pâtes en rentrant chez lui. Alors étudier…»
Nager à un haut niveau, c’est une discipline qui demande de la rigueur et de nombreux sacrifices. Au point de faire une croix sur toute vie sociale? «Avoir une copine en dehors du groupe de natation, ça marche bien deux mois. Mais quand tu passes six à sept heures par jour au bord du bassin et qu’à 21 heures tu es au lit, c’est compliqué.» Son arrivée à Nice marque donc aussi un nouveau départ sentimental, sans relation amoureuse. Sauf qu’après six mois, le voilà épris d’une nageuse de son groupe, Charlotte Bonnet, médaillée de bronze aux JO de Londres en 2012. Depuis trois ans, ils filent le parfait amour dans leur appartement du centre-ville. «Avec Charlotte, ça marche bien. On est dans le même délire… et à 21 heures, on dort les deux!»
Mais à force de penser natation et de vivre dans l’eau, est-ce qu’on ne risque pas l’overdose? «Dans notre sport, il suffit de s’arrêter quelques jours pour perdre toutes ses sensations. Et pour être performant, il faut être bien mentalement. Pour certains, ça passe par les sorties. Pour moi, c’est la bouffe!» Alors il se permet de temps en temps un petit écart. Et si c’est une pizza ou un burger occasionnels qui l’autorisent à rêver de médaille pour la Suisse en 2020 à Tokyo, pas question de les lui reprocher.
Avec le soutien de La Loterie Romande.