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Interview

Jennifer Covo: «J’ai été élevée dans la tolérance»

Présentatrice vedette et productrice des éditions du téléjournal de la RTS deux week-ends sur trois, la journaliste genevoise de 45 ans cultive le secret. Elle fait une exception pour «L’illustré». Jennifer Covo nous parle de ses origines, de sa famille, des menaces dont elle a été la cible pendant la pandémie et de l’endométriose dont elle souffre. Ce qui ne l’a pas empêchée d’avoir un petit garçon il y a huit ans. Rencontre avec une jeune femme pudique très appréciée du public romand.

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Jennifer Covo, journaliste et présentatrice de la Radio Télévision Suisse (RTS)

A Genève, où elle est née, Jennifer Covo aime venir se ressourcer au bord du lac. «C’est un rendez-vous qui rythme ma vie», dit-elle.  

Anoush Abrar

- Vous nous avez donné rendez-vous au bord du lac. Pourquoi?
- Jennifer Covo:
C’est chez moi. Depuis l’enfance, je me baigne chaque été à la plage d’Hermance. Le bord du lac, face à la rade, devant cette Genève de carte postale, son Jet d’eau, est un rendez-vous qui rythme ma vie. C’est mon univers.

- Vous êtes née à Genève en 1978, mais de quelle origine est votre nom de famille?
- C’est un nom judéo-espagnol. Les Covo sont une famille juive originaire de Salonique, la ville portuaire grecque devenue Thessalonique. Mon père est né et a grandi à Istanbul, ses parents sont de Salonique et de Sofia, en Bulgarie. Papa a fréquenté l’école française et il parlait aussi le turc, le grec et le bulgare à la maison. Il a passé son bac à Grenoble et fait son droit à Genève avant de devenir juriste spécialisé dans l’arbitrage maritime. Il a rencontré ma mère à la cité universitaire. Elle est née à Genève. Elle étudiait l’histoire économique, avant d’enseigner. Lui se faisait remarquer en jouant du piano jazz et boogie-woogie, sa passion. Un jour, il a eu besoin d’un stylo, maman en avait un. Tout a commencé comme ça. 

- Quel est votre parcours?
- Après une maturité latine au collège Calvin, j’ai fait sciences politiques. J’ai rédigé un mémoire en philosophie politique sur l’anarcho-capitalisme avec l’envie d’écrire une thèse. One FM cherchait des journalistes stagiaires. On m’a proposé de faire des essais de voix. J’ai lâché la thèse et j’ai démarré mon métier. J’ai fait de la télé par hasard, lorsque la radio a fusionné avec Léman Bleu. J’avais apprivoisé ma voix, j’allais apprivoiser mon image. J'avais pratiqué le théâtre entre 7 et 20 ans jusqu’au conservatoire. Cela m’a permis de vaincre ma timidité et m’a appris à m’exprimer. 

Jennifer Covo, journaliste et présentatrice à la Radio Télévision Suisse (RTS)

Après un mémoire de licence en philosophie politique, Jennifer Covo pensait écrire une thèse universitaire, mais une offre de stage de journaliste à One FM lui a fait prendre un tout autre chemin. Elle est entrée à la RTS en 2010, à 32 ans. «Les attentats à Paris en 2015 ont été mon épreuve du feu au TJ», dit-elle. 

Photo: Anoush Abrar, mise en beauté: Francis Ases

- Dans quelle atmosphère familiale avez-vous grandi?
- Joyeuse! On riait beaucoup. C’est culturel, avec un besoin de désamorcer le malheur en toute circonstance. Mes deux sœurs cadettes et moi avons reçu une éducation ouverte sur le monde, une culture cosmopolite empreinte de tolérance. La couleur de peau ou la religion n’entraient jamais en ligne de compte, pas plus que les différences entre hommes et femmes. Des opinions politiques diverses cohabitaient. Il y avait de la musique tout le temps, le jazz de mon père, la chanson française de ma mère, Léo Ferré, Balavoine. Avec ma mère, on discutait de tout, on débattait tout le temps. On lisait beaucoup la presse. Nous bombardions nos parents de questions.

- Plutôt utile pour une future journaliste?
- Oui. J’ai d’abord pratiqué le journalisme politique; j’avais un intérêt marqué pour la vie de la cité. Je suis de la génération d’Antonio Hodgers et de Pierre Maudet, qui débutaient. J’ai couvert l’arrestation de l’un des fils Kadhafi en 2010 à l’hôtel Président Wilson, le procès de la BCGE en 2012 et la chute du conseiller d’Etat Mark Muller. J’ai alors pris conscience de la part de responsabilité de ma profession face à un élu qui tombe: où devions-nous mettre le curseur? Nous ne sommes pas des inquisiteurs.

- Vous avez été engagée à la RTS en 2010, avez fait vos gammes à «Genève Région», à «Couleurs locales» et travaillé à la rubrique économique, avant d’entrer au «12h45» puis au «19h30», où vous présentez les cinq éditions du week-end. Avez-vous un souvenir marquant à ce poste?
- Les attentats à Paris en 2015. Ce soir-là, j’étais chez des amis. Les nouvelles dramatiques se succédaient, je présentais les journaux du lendemain. La rédactrice en chef adjointe m’a appelée vers 23 heures: «Tu te sens prête? On se voit tôt, il faut décider d’une émission spéciale.» J’étais nouvelle, c’était l’épreuve du feu. Au poste de présentateur, vous entrez chez les gens et la lumière est sur vous. Vous n’avez pas le temps d’analyser ce que vous ressentez, vous vous concentrez sur votre travail afin d’être à la hauteur. L’année suivante, lors de l’attentat du 14 juillet à Nice, je voyais défiler les visages des victimes: 84 morts, dont dix enfants et adolescents, des centaines de blessés. Le samedi soir, en rentrant chez moi, je me suis mise à pleurer, ça ne m’était jamais arrivé. L’émotion remontait. L’irruption de la haine, de la radicalisation, de la violence me rend infiniment triste.

- Vous avez été la cible d’attaques pendant la pandémie. Dans quel contexte?
- Le monde s’arrêtait, l’économie semblait s’écrouler, les gens tombaient malades, d’autres étaient stressés par le covid. Les scientifiques devaient communiquer malgré leurs doutes; les politiques prenaient des décisions inédites. Le climat était tendu. Le 12 décembre 2020, pendant la deuxième vague, après une interview d’Alain Berset au 19h30, j’ai essuyé des insultes et des attaques sexistes sur les réseaux sociaux. J’avais demandé au ministre de la Santé si, à l’instar des pays voisins, la Suisse allait fermer. Il y a eu un déchaînement de haine. Je n’en ai jamais parlé, j’ai même reçu des menaces de mort. On m’a écrit «Tu vas crever» dans une lettre insultante accompagnée d’une poudre blanche faisant penser à de l’anthrax. C’était très violent.

- Comment avez-vous réagi?
- Dix ans plus tôt, j’aurais peut-être flanché, mais je me suis dit (elle tape sur la table): «Tu ne te laisses pas déstabiliser! Tu fais ton métier.» La police est venue enquêter. J’ai décliné toute protection. Ceux qui sont à l’origine de ce genre de menaces – elles ont frappé la sphère médicale et politique – confondent le messager et le message. Je me suis dit: «Aujourd’hui, même en Suisse, on risque de tomber sur un cinglé au coin de la rue.» C’est un fait nouveau. Mes proches étaient très inquiets. Je sais que j’occupe un poste exposé où l’on n’a pas le droit à l’erreur. Je ne suis pas devenue parano pour autant.

- On vous écrit souvent?
- Je reçois beaucoup de messages de téléspectateurs, souvent très gentils. J’y réponds toujours et, en cas de critique, nos échanges désamorcent les tensions. On a le droit de ne pas être d’accord. Sur les réseaux sociaux, c’est autre chose. Avec le covid, on entrait dans l’irrationnel. Il n’y avait pas de discussion possible. C’est contraire à mes principes. La colère, la haine, la violence sont les passions tristes que décrivait Spinoza. Pour avoir accompagné mon père hospitalisé, je savais que ce virus pouvait entraîner la mort. Il en a réchappé, mais c’était une réalité palpable. Or certains la niaient.

- Vous êtes maman. Que vous apporte le regard de votre fils de 8 ans sur le monde?
- C’est extraordinaire, les questionnements d’un enfant de cet âge. Il est très informé du fait de mon travail. Il veut tout comprendre. Il connaît les figures suisses et étrangères qui font l’actualité. «Grâce à Poutine, je peux dire des gros mots», me dit-il, parce qu’il le trouve méchant. Il est curieux de savoir qui j’interviewe. Il me demande: «Pourquoi ils font la guerre? Pourquoi elle porte un voile? C’est quoi faire la grève?» Ça paraît simple, mais ça n’est pas toujours évident de lui répondre.

- Qu’est-ce qu’il partage comme musique avec vous?
- On écoute de la musique, on chante ensemble, je me mets au piano. J’ai étudié entre 7 et 12 ans. Récemment, on a repris Grand Corps Malade et Louane. On écoute de l’opéra, «Nessun Dorma» de Puccini, la BO du film «Ténor». Mon fils écoute du rap. J’adore ça depuis l'adolescence, j’ai même pratiqué le breakdance (rires). Mes goûts vont d’IAM à Public Enemy, Tupac Shakur, Jay-Z, Orelsan ou la Valaisanne KT Gorique. Après ma licence, j’ai vécu une année à Montréal où j’ai beaucoup fréquenté les soirées rap. Cette musique véhicule une mélancolie qui me va droit au cœur.

Jennifer Covo, journaliste et présentatrice à la Radio Télévision Suisse (RTS)

Fan de rap, qu’elle écoute depuis l’adolescence, Jennifer Covo partage son goût pour la musique avec son fils de 8 ans. «J’ai même fait du breakdance», s’amuse-t-elle.

Photo: Anoush Abrar, mise en beauté: Francis Ases

- Passer du mode travail au mode maman, c’est un défi?
- Oui, mais comme pour toutes les femmes actives. Pour moi, la maternité a été un challenge parce que je souffre d’endométriose, une maladie qui attaque le système reproducteur. Ça s’est déclaré il y a quinze ans. J’étais assise à mon bureau à Léman Bleu et j’ai soudain été traversée par des douleurs atroces. Une ambulance m’a emmenée à l’hôpital. Là, j’ai dû me contenter d’un diagnostic évasif: «Les femmes ont mal au ventre.» On ne savait pas encore ce que c’était. Une semaine plus tard, après une batterie d’examens, on m’opérait. Depuis, les HUG ont ouvert un centre dédié, mais la partie n’est pas gagnée. En Suisse, une femme sur dix souffre d’endométriose et les soins ne sont pas tous remboursés. 

- Vivre sans fonder une famille aurait-il été envisageable?
- Cette maladie peut vous empêcher d’enfanter. Votre question me fait penser à l’un de mes invités, l’écrivain voyageur Sylvain Tesson. Je suis frappée par sa liberté et sa paix intérieure. Un équilibre qui ne va pas sans renoncements. Il m’a confié: «J’ai sacrifié l’idée d’avoir une famille.» Moi, je n’aurais pas pu.

Jennifer Covo, journaliste et présentatrice à la Radio Télévision Suisse (RTS)

«Une femme sur dix souffre comme moi d’endométriose en Suisse et les soins ne sont pas toujours remboursés», Jennifer Covo.

Photo: Anoush Abrar, mise en beauté: Francis Ases

- Parmi vos invités, qui d’autre vous a marquée?
- Gérard Depardieu. Avant sa venue, chacun avait un avis tranché sur lui, un génie pour les uns, une horreur pour les autres. Ce métier m’a appris à ne juger personne. Il a été d’une extrême politesse. Il est hors normes. C’était un moment fort.

- Les thématiques féministes sont dans l’air du temps. Comment les appréhendez-vous?
- J’ai grandi avec l’image d’une mère au cœur large, une femme forte, battante, d’un immense courage. Mon père, lui, est féministe sans le savoir. Il nous disait: «J’ai aimé votre mère pour son intelligence.» La question du féminisme est complexe. A vrai dire, ce n’est pas à moi qu’il faut la poser sous prétexte que je pars travailler le matin, mais aux femmes iraniennes qui ont le courage de défier le pouvoir. Elles luttent et meurent pour avoir le droit de ne pas porter le voile et pour leurs libertés. Le féminisme, pour moi, il est là.

Par Didier Dana publié le 19 avril 2023 - 08:54