N’était le covid, notre hôte serait certainement à Tokyo. Il avait été approché par Nicolas Bideau pour être le curateur de la Maison suisse aux Jeux olympiques, à laquelle la Suisse a finalement renoncé. Comme son épouse illustratrice, il «adore le Japon. Les mangas du Studio Ghibli… Impossible de passer à côté!» Plutôt que de s’appesantir sur ce projet avorté, notre hôte embraie avec une exubérance contagieuse sur les œuvres de tous bords dont il se nourrit.
Passons vite sur sa jeunesse, souvent évoquée, de vilain petit canard qui voulait devenir artiste. Ce que son père, chirurgien cardiovasculaire originaire du Zaïre (aujourd’hui la République démocratique du Congo), qui a lutté pour se faire une place à Genève, voit d’un mauvais œil. Il préfère évoquer la librairie Signal, où il dévorait Boule et Bill, les Gaston Lagaffe ou encore Blake et Mortimer. Ce déclic en voyant l’Américain Geof Darrow en signature. «De voir un adulte qui passait son temps à dessiner et était payé pour ça, j’étais tout fou!»
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Très vite, il a envie d’ailleurs, des Etats-Unis. Il a à peine 18 ans quand il s’envole pour New York, qui lui inspire sa première bande dessinée, «Street Nation», en 1992. A Genève, il investit avec d’autres passionnés de hip-hop le squat du Goulet 25 à Chêne-Bourg. «C’était le pied, une époque surréaliste. Ce n’était pas que du hip-hop mais un kaléidoscope de talents, avec des gens comme Nico Cennamo, qui est devenu un grand tatoueur, ou [le dessinateur genevois] Ben Marchesini, un mentor. Baigner dans cette création pure m’a permis de rêver plus loin, d’aller plus loin.» Il évoque les films de Woody Allen et de Spike Lee, le jazz – il a tâté de la trompette, du slam et du rap. «J’allais simplement au comptoir Swissair et hop, je partais.»
Pour (feu) la revue de musique Vibrations, il collabore avec le cofondateur, le photographe Benoît Peverelli, ou des musiciens comme le compositeur genevois Leo Tardin, qui a lui-même tâté du dessin. Se passionne pour la direction de photographie, le cadrage cinématographique. «Je me suis toujours intéressé à tout, résume-t-il. L’art séquentiel n’est qu’une des cases sur lesquelles je m’exprime.» Il a également travaillé comme consultant indépendant pour les studios d’animation Pixar. «Ils te donnent le pitch de l’histoire, et toi, tu leur envoies tout un tas de dessins.»
Par ailleurs, il peint, réalise des fresques et des affiches, comme pour la course de l’Escalade. S’est lancé récemment dans le dessin de presse. Un parcours autodidacte et tout sauf linéaire. «On m’a reproché de m’éparpiller. Moi, je prends ce qui vient», sourit-il.
Aujourd’hui âgé de 48 ans, il se tourne, de plus en plus, vers l’humanitaire, par le biais notamment de l’ONG Civitas Maxima, pour laquelle il est parti au Liberia animer des ateliers avec d’anciens enfants soldats. «Ma pierre à l’édifice.»
La bande dessinée reste son terrain de prédilection. A son actif, de nombreux albums, dont «Helvethika», thriller qui lui a valu le Prix Töppfer Genève en 2001. Le Japon, découvert par les classiques comme «Les sept samouraïs» que lui montrait son père, lui inspire «365 samouraïs et quelques bols de riz» (Ed. Akileos), qui sera ensuite publié aux Etats-Unis.
On resterait bien des heures à discuter avec lui sur les séries, les films, les maîtres – le Caravage, Hopper, Hodler, Sargent… – et les dessinateurs qui l’inspirent, comme «le maestro» italien Sergio Toppi ou les Français Mœbius et Emmanuel Guibert, dont il s’exerce à reproduire des planches «pour comprendre», les dernières parutions en bande dessinée dont il salue la qualité tout en reconnaissant que le marché est saturé.
Lui-même a, bien sûr, plusieurs projets sur le feu, dont l’adaptation de «Cellule dormante» du journaliste Christian Lecomte, élu Roman des Romands en début d’année. Et puis, tiens, ce post-it sur son bureau, avec les mots «Iggy Pop»? Oui, il est en contact régulier avec la figure du punk américain pour un projet de longue date. Mais cette fois, il n’en dira pas plus.
>> Dernier ouvrage paru: «Heidi vs Zombies» (illustrations), RCE Ruiz Cardinaux Entertainment, 2020.
>> Voir le site de Jean-Philippe Kalonji: www.kalonjiart.com