Le corps de Jean-Louis Locher, c’est une sculpture herculéenne qu’on ne croise pas tous les jours, y compris dans les fitness. Son dos aux muscles ciselés ressemble à un massif montagneux, un peu comme les sommets qu’il côtoie à Baar, vers Nendaz. Quant aux veines proéminentes de ses bras, elles coulent le long de ses triceps à l’image du Rhône avant qu’il ne soit endigué. Depuis des décennies, le Valaisan connu dans la région, que ce soit comme ancienne star de hockey ou comme pilote d’Air-Glaciers, s’est façonné une silhouette hors norme. Une anatomie enviée par de nombreux adeptes du bodybuilding, le culturisme en français. Ces athlètes ont d’ailleurs souvent trente ans de moins que lui. A 66 ans, avec ses 178 cm, le champion pèse 96 kilos de muscles et n'affiche que 3,5% de masse graisseuse. Sa carrure impressionne alors que sa timidité tranche avec son allure imposante.
Derrière les yeux cristallins de ce retraité au calme olympien brûle l’âme d’un titan. En moins de deux ans, il s’est propulsé à la tête d’un sport exigeant. A l’unanimité, il a séduit le jury des Championnats du monde en octobre dernier à Rome dans la catégorie des plus de 65 ans. Lorsqu’il s’empare du trophée aux abdominaux dorés, Jean-Louis Locher avoue avoir été surpris. «Cette réussite, c’est un travail d’équipe, car seul, je n’aurais rien fait!» commence-t-il. Depuis qu’il a 13 ans, alors qu’il soulevait des haltères qu’il avait bidouillés avec des copains, il se rêvait secrètement bodybuilder de haut calibre. «A mon âge, je pensais que c’était trop tard. Je n’imaginais pas une seconde ma retraite ainsi», sourit-il, sachant qu’il s’est lancé dans une aventure musclée, bien loin des activités traditionnelles des personnes de sa génération.
Scruté sous tous les angles
Son incroyable ascension dans le circuit, il la doit aussi à ses «chefs», comme il les surnomme en salle: Avni Nasufoski, son préparateur, Sébastien Vouilloz, son nutritionniste, et Jean-Claude Paulsen, son entraîneur. Tous partagent un lien d’amitié noué par le même feu pour la performance. «Ils connaissent leur job, alors j’obéis. On me dit de manger ces protéines, je le fais. On me donne le nombre de développés couchés à réaliser, je m’exécute!» insiste Jean-Louis Locher. Le «jeune» champion est observé en permanence par les yeux vigilants de ses «gars». Il ne faut surtout pas qu’il force et se blesse.
Dans son quotidien, tout est millimétré pour mener à bien sa prochaine mission. Après la consécration en Italie, le Valaisan s’attaquera au concours de Mister Olympia, qui aura lieu en 2025 à Las Vegas. Ce rendez-vous iconique aux Etats-Unis, c’est la Mecque du bodybuilding. Pour tutoyer l’élite, le Romand doit prendre de la masse et atteindre 115 kilos. Le chrono est déjà enclenché. Il faut dire que Jean-Louis Locher n’évolue plus parmi les amateurs chevronnés de la pratique. Il vient de recevoir sa carte officielle IBFA (International Bodybuilding & Fitness Association) de professionnel. «Des personnes attendent plusieurs années, parfois vingt ans pour passer à cette étape», applaudit Jean-Claude Paulsen, son coach. Un exploit.
Mais ce tour de force a requis quelques sacrifices. Le sportif doit suivre à la virgule sa feuille de route journalière. «C’est une hygiène de vie», avoue-t-il. Au menu de ces deux prochaines années, des repas composés majoritairement de poulet, de riz et de flocons d’avoine. Tout est pesé au gramme près. L’athlète avale aussi des compléments alimentaires et des minéraux pour s’assurer de ne pas développer de carence. «On doit fabriquer la fibre musculaire idéale tout en protégeant les ligaments et en conservant une peau élastique», explique Sébastien Vouilloz, son nutritionniste. Et qu’en est-il des fêtes de fin d’année en famille? «Ma femme et mes enfants mangent leur menu et moi le mien. Je ne sens pas de frustration, j’ai l’habitude», dit Jean-Louis Locher avec une détermination sans limites.
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Ce mental, il l’a forgé lors de l’une de ses anciennes vies, quand il glissait sur les patinoires, une canne de hockey à la main. Quand Jean-Claude Paulsen, son entraîneur, l’a rencontré, il a tout de suite su qu’il avait affaire à un champion hors catégorie. «On n’a pas le droit à l’erreur pour atteindre certains objectifs. Heureusement, Jean-Louis est une machine. Il sort du lot! Les jeunes sont impressionnés quand ils le voient s’entraîner», confie le coach. Au fitness, l’homme de 66 ans sculpte son corps pendant une à deux heures par jour durant la semaine.
Et alors que certains boostent leur capacité avec des stéroïdes, le Valaisan mise sur des résultats au naturel. «Il n’y a pas de tentation à son âge, car il doit privilégier coûte que coûte sa santé», précise Avni Nasufoski. Selon une étude de 2022 du Centre suisse de médecine de l’addiction Arud, la prise à haute dose de stéroïdes anabolisants, interdits à la vente, entraîne des problèmes cardiaques tout en présentant un risque de développer différents cancers. «Jean-Louis a la chance d’avoir une physionomie parfaite pour ce sport, très équilibrée. Il a une anatomie incroyable et rien, pas même les produits dopants, ne peut concurrencer la génétique», ajoute encore Jean-Claude Paulsen.
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Le charisme des géants
Outre le volume musculaire, la symétrie du corps ou encore la définition du muscle, ce qui fait une légende de la pratique, c’est son charisme. Une aura qui a valu notamment à Arnold Schwarzenegger de briller dans les années 1980. «Ce n’est pas donné à tout le monde d’être exceptionnel, mais notre champion a ce petit quelque chose lui aussi. Quand Jean-Louis arrive sur scène, il ne ramène pas que du muscle, mais une personnalité joyeuse qui marque», vante avec fierté Avni Nasufoski. Lui-même est un ancien culturiste. Il connaît la pression des compétitions. Le préparateur planifie déjà le voyage pour Mister Olympia. Ce que l’on sait, c’est que dix jours avant la date fatidique, Jean-Louis Locher s’entraînera dans l’antre des stars du bodybuilding, le Gold’s Gym à Los Angeles. «Il faut qu’il s’acclimate mais aussi qu’il évite de faire de la rétention d’eau ou de souffrir du décalage horaire. Il doit être au top pour faire briller le culturisme suisse. Et ce sera l’occasion de serrer la main d’Arnold en personne», se réjouit Avni Nasufoski.
Petite pause entre deux figures pour Jean-Louis Locher, qui croque dans une galette de riz nature. «En 2025, j’espère au moins faire un podium. Il faut bosser pour gagner et ne pas se contenter de perdre», se répète-t-il comme un mantra. D’ici là, il aura 68 ans. De quoi prouver qu’il n’y a pas d’âge pour transformer son corps. Tout comme pour exhiber ses muscles bombés devant plus de 10 000 personnes.