Le 12 décembre 2020, Olivier Wasem a écrit dans le journal intime qu’il tient depuis que sa fille a disparu: «Aujourd’hui tu as 7 ans, cela fera 538 jours que je ne t’ai pas vue et je te souhaite bon anniversaire ma chérie.» Ce père dévasté depuis l’enlèvement de son enfant par son ex-compagne a aussi glissé un petit papillon magique qui s’envole quand on ouvre les pages et là, dans son bureau du quartier de Champel, à Genève, il fait des efforts manifestes pour que sa voix ne se brise pas quand il nous tend ce journal de l’absence. Et le dessin, et les petits chaussons, seuls souvenirs tangibles qui lui restent de Grace-Victoria. «J’espère qu’elle pourra lire tout ça un jour, ma fille je la sens, je ressens à distance, comme si elle m’appelait… Je me suis beaucoup occupé d’elle jusqu’à ses 5 ans et demi.»
La photo de cette petite fille, qui sourit à une vie qu’elle n’imaginait pas si mouvementée, figure aujourd’hui dans le fichier d’Interpol et sur le site de Missing Children Switzerland, qui répertorie les disparitions d’enfants dans notre pays. Une plainte pour enlèvement a été déposée contre sa mère, qui a pris la poudre d’escampette avec elle en février 2020. Mais cet entrepreneur de 55 ans se sent un peu découragé, accablé par ce temps qui passe et le sentiment insupportable que sa fille grandit loin de lui. Il s’est senti souvent seul, avec son avocate, à remuer ciel et terre et surtout à tenter de s’y retrouver dans les méandres des lois et procédures qui régissent ces situations douloureuses. La mère de sa fille pourrait avoir fui en Bulgarie, sa terre natale, ou au Canada, où elle a fait ses études, mais impossible de connaître l’état actuel des investigations, ou si la police l’a au moins localisée, le Ministère public se refusant à tout commentaire en cours d’enquête.
«Je m’étonne qu’en 2021 il faille tant de temps pour localiser une mère et son enfant mineur. Si on ne veut pas la retrouver, évidemment, on ne va pas la retrouver!» soupire cet homme meurtri. Persuadé encore que si la justice avait pris plus au sérieux ses alertes sur le risque d’enlèvement couru par Grace-Victoria, on n’en serait pas là. Pourtant, la mère avait bien été sommée en décembre 2019 par le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE) de ne pas quitter le territoire suisse. Le Service de protection des mineurs (SPMI), conscient du danger, avait lui aussi préconisé, en janvier 2020, que la garde de Grace-Victoria soit confiée à son père. La justice n’a pas écouté. Jusqu’à ce que la mère retire sa fille de l’école et quitte en douce le pays.
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Cette «petite princesse», comme il la surnomme, est arrivée tard dans la vie de cet homme déjà père d’un grand garçon de 28 ans. Assez vite, les relations se détériorent avec la mère de l’enfant, décrite comme une femme cultivée, intelligente, évoluant dans le monde bancaire, mais très instable psychiquement. Le couple se sépare après deux ans de vie commune, mais Olivier reste très impliqué dans l’éducation de sa fille. «Je l’ai vue pour la dernière fois à la sortie de l’école le 23 juin 2019. Je me souviens de son regard, elle m’a serré dans ses bras, m’a regardé de façon plus intense que la normale, comme si elle savait qu’on n’allait plus se voir pendant longtemps.»
Effectivement, la mère de l’enfant révoque son droit de visite, l’accusant d’abus sexuel sur sa fille. Elle mandate une psychiatre qui auditionne la fillette mais sans qu’Olivier Wasem, codétenteur de l’autorité parentale, soit jamais entendu. Néanmoins, la machine judiciaire se met en route. «J’ai été victime d’un vrai travail de démolition qui a atteint ma famille, mes relations professionnelles, me mettant aussi dans une situation économique difficile. Durant toute cette période, j’avais renoncé, et je le regrette aujourd’hui, à mon droit de voir ma fille sous surveillance dans un espace neutre pour ne pas la perturber encore plus. Je devais me battre, j’ai véritablement traversé l’enfer, dit-il avant de repasser au présent. J’y suis toujours, en enfer, et j’y serai tant que ma fille ne sera pas retrouvée.»
Aujourd’hui, l’homme d’affaires commercialise des ours en peluche colorés avec un cœur amovible que l’on peut imprégner d’huiles essentielles. Une façon de rester proche de son enfant et d’espérer, si la fillette aperçoit ces jouets quelque part dans un rayon de magasin, qu’elle sache que son papa ne l’a pas oubliée. «Je l’ai beaucoup imprégnée d’amour», assure celui qui a pu compter, dit-il, sur «le travail impeccable» de la brigade des mineurs et du Service de protection des mineurs, dont il louera à plusieurs reprises les compétences. De plus, un rapport d’experts vient de mettre en cause la prise en charge pédopsychiatrique de la petite fille, concluant que, «en l’absence de méthode standardisée concernant l’audition de l’enfant Grace-Victoria, une analyse de crédibilité ne peut être établie». Les experts psychiatres notent encore que la pédopsychiatre qui l’a entendue, bien qu’informée que la petite fille était restée «totalement muette» lors de son entretien par la brigade des mœurs, a posé des «questions suggestives» à l’enfant. Contactée par téléphone, Me Daniela Linhares, l’avocate d’Olivier Wasem, se réjouit avec lui de ces conclusions et estime que c’est une étape importante pour que l’accusation pénale contre son client soit levée.
«Mais ce qui compte avant tout, c’est de retrouver ma fille», ajoute immédiatement le père de Grace-Victoria. En deux ans, cette gamine à la bouille malicieuse a dû énormément changer et il s’inquiète de lui faire vivre un deuxième traumatisme à son retour. «Je ne suis pas dans la colère vis-à-vis de sa mère. J’ai l’espoir qu’elle saisisse cette chance pour grandir. Ce qui importe avant tout, c’est qu’on ne vole pas son enfance à ma fille. Je veux qu’elle vive dans un univers serein, de paix. Je suis juste un père, mais derrière moi il y a aussi un frère, des grands-parents, une famille qui souffrent. En ce qui me concerne, je n’empêcherai jamais ma fille de voir sa mère. Un enfant a besoin de ses deux parents!»
Le temps presse. Tout le monde sait que, dans les enlèvements d’enfants, il joue en faveur du parent ravisseur. Olivier Wasem continue à avoir confiance dans le travail de la justice, mais ne cache pas être prêt à employer d’autres moyens (il a été contacté par une organisation privée spécialisée dans la recherche d’enfants disparus) si les choses ne vont pas assez vite. Sa vie s’est arrêtée, affirme-t-il, à la disparition de sa fille. Il est temps qu’elle reprenne son cours. Avec elle.