«J’ai été ce que les hommes voulaient que je sois. Je souffrais de la maladie de vouloir plaire», a dit un jour Jane Fonda. Constat lucide. Implacable. Son physique, qui l’encombrait à ses débuts, l’a propulsée au rang d’icône planétaire. Comme Bardot, en plus insolente et politisée. La blonde américaine, sa cadette de trois ans, n’hésitera pas à bousculer l’opinion publique pour défendre ses convictions, avec parfois l’arrogance des filles bien nées, mais en assumant. «Travailler à Hollywood donne une expertise certaine dans le domaine de la prostitution», confiait-elle en 1972 déjà, bien avant #MeToo.
Parfaitement consciente d’avoir incarné l’hypersexualisation de la femme à l’écran – elle fut l’une des premières stars américaines à tourner nue dans un film étranger –, actrice épatante couronnée de deux Oscars (pour «Klute» et «Le retour»), Jane Fonda la pasionaria s’est servie de sa notoriété pour faire bouger les lignes, qu’il s’agisse de ségrégation raciale, de pacifisme (Vietnam, puis Irak), de sexisme à Hollywood, des dangers du nucléaire, du trumpisme ou des ravages du consumérisme.
Née dans un milieu ultra-privilégié, Jane Fonda est sortie de sa zone de confort pour militer. Juste avant l’arrivée du covid, chaque vendredi à Washington, elle manifestait vêtue de rouge «pour le climat», finissant immanquablement menottée. La routine. A 83 ans, libérée du joug masculin, elle hurle ses vérités à la face du monde, comme une lycéenne en colère.
Mais qui est-elle au juste? La fille chérie d’une légende du cinéma américain, Henry Fonda, son héros dans «Douze hommes en colère» (1957). L’acteur a épousé en secondes noces – il se mariera cinq fois – une jeune et belle Ontarienne divorcée, Frances Ford Seymour, qui lui donnera deux enfants: Jane, en décembre 1937, et Peter, le futur motard étoilé d’«Easy Rider», en février 1940.
De sa petite enfance, Jane Fonda se souvient surtout d’un père rentrant tard et fâché à propos des studios… Le cinéma ne la fait pas rêver. Elle grandit comme une gosse de riche qui ne manque de rien, sinon de l’affection de ses parents. Perturbée, sa mère est internée dans une clinique psychiatrique new-yorkaise.
En 1950, c’est le drame. En attendant les papiers du divorce exigé par son mari, elle se suicide le jour de son 42e anniversaire en se tranchant la gorge avec un rasoir. Ses enfants n’en sauront rien. Henry Fonda y veillera. Jane découvrira par hasard le pot aux roses au lycée, en feuilletant un vieux magazine. Elle apprendra par la suite que sa mère avait aussi subi des violences sexuelles pendant son adolescence…
Scolarisée dans le privé, elle n’a aucun goût pour l’école. Sa mère lui manque. Au très sélect (et alors exclusivement féminin) Vassar College, à Poughkeepsie, Etat de New York, le rituel du thé exige des internes une tenue strictement codifiée, incluant gants et perles. Jane Fonda enfile les accessoires, mais rien d’autre! Scandale. Brouillée avec sa belle-mère, elle convainc papa de l’envoyer six mois à Paris, où elle apprend le français.
A 21 ans, retour à New York. Jane Fonda veut travailler. Piètre secrétaire, elle devient mannequin. Sa taille (1 m 73) est un atout. Le théâtre l’attire mais, en dépit de sa beauté solaire, elle est «pleine d’inhibitions». Elle souffre de boulimie. Son père lui enjoint d’entrer à l’Actors Studio, où elle se lie d’amitié avec Marilyn Monroe. Lee Strasberg en personne l’encourage. New York est une ville en proie à la violence. La discrimination raciale qui perdure dans le sud des Etats-Unis révolte Jane Fonda, qui va se servir de sa colère dans ses rôles.
Elle débute au cinéma à 22 ans. En 1964, à Las Vegas, elle rencontre le cinéaste français Roger Vadim, un tombeur de neuf ans son aîné qui a déjà révélé (et séduit) Bardot. Elle cède. Celui qu’elle nomme son «ange noir» la fait tourner. Souvent déshabillée. Elle l’épouse en France le 18 mai 1967 et devient sa chose, allant parfois jusqu’à choisir les filles qui les rejoindront au lit…
Automne 1967. Tournage à Rome de «Barbarella», un nanar de science-fiction érotique que BB et Sophia Loren ont refusé. Pour l’aider à surmonter l’anxiété, Vadim la fait boire. Jane Fonda est renversante de sensualité, mais ça ne sauve pas le film. Dire qu’elle a renoncé à «Bonnie & Clyde» pour se déhancher en apesanteur… Elle oubliera en tournant une soixantaine de films durant sa carrière.
Sa fille Vanessa Vadim vient au monde en septembre 1968. Un accouchement au forceps suivi d’une terrible dépression postnatale. Jane Fonda a changé. Quatre mois plus tôt, elle a vécu Mai 68 à Paris, rencontré Sartre et Simone de Beauvoir, Costa-Gavras, Montand et Signoret. Donald Sutherland, son partenaire dans «Klute» (1970), la convertit au pacifisme, mais après les assassinats de Robert Kennedy et de Martin Luther King, elle se radicalise et fréquente les Black Panthers. Symboliquement, elle tond sa crinière blonde.
L’ingénue qui attirait tant Vadim est maintenant traquée par le FBI. Le 3 novembre 1970, au retour d’une manif contre la guerre du Vietnam, elle se fait pincer à l’aéroport de Cleveland (Ohio) avec près de 2000 pilules dans sa valise! Des vitamines, révélera l’analyse. Elle est arrêtée sur ordre du président Nixon, qui espère ainsi la briser, mais son portrait de détenue, poing levé, fait le tour du globe. L’apprentie révolutionnaire songe à arrêter le cinéma, puis se ravise.
En pleine guerre du Vietnam, en 1972, Jane Fonda ose l’impensable en se rendant en territoire ennemi pour dénoncer les bombardements de civils. A Hanoi, elle est photographiée sur un canon antiaérien nord-vietnamien. D’aucuns ne le lui pardonneront jamais. A-t-elle été piégée? Des années plus tard, celle qui est devenue «Hanoi Jane» reconnaît une erreur: «S’agissait-il d’une mise en scène? Les Vietnamiens avaient-ils tout prévu? Je n’en saurai jamais rien, mais j’ai laissé faire et ce moment d’égarement de deux minutes me hantera à jamais.» Pacifiste, oui. Suicidaire, non.
En 1973, elle se remarie avec le sénateur démocrate Tom Hayden. Leur fils Troy naît la même année, puis le couple adopte Mary Luana Williams, une jeune orpheline afro-américaine qui se révélera être la fille naturelle d’activistes des Black Panthers. Jane Fonda tourne désormais pour financer les combats de son mari, que cet argent met mal à l’aise. Après l’accident à la centrale de Three Miles Island, le 28 mars 1979, l’actrice rejoint le mouvement antinucléaire.
En 1982, elle a 44 ans. La mode est au culte du corps. Elle lance Workout, un programme d’aérobic. Au cours des treize années suivantes, les 22 vidéos de la série vont se vendre à 17 millions d’exemplaires – record absolu pour des cassettes VHS. Elle les ressuscitera même en avril 2020 sur TikTok! Le slogan «Feel the Burn» qu’elle répète en s’étirant entre dans le langage courant. La voici richissime. Tom Hayden se sent largué. Il l’est. Ils divorcent en 1990.
En quête de cohérence, Jane Fonda, promue self-made-woman, épouse en 1991 le milliardaire Ted Turner, un magnat des médias. Ses révoltes sont au point mort. Elle joue les maîtresses de maison et amuse la galerie en s’épanchant sur sa vie sexuelle de teenager: sa façon de mépriser les puritains. Le cinéma ne l’intéresse plus et sa vie de riche oisive ne la comble pas. En 2001, bye-bye Ted Turner et sa moustache. Elle renoue avec un féminisme militant, ciblant Hollywood, où si peu de réalisatrices ont voix au chapitre. A 62 ans, elle jure ne plus avoir besoin des hommes pour vibrer, mais elle se trompe.
Dix ans plus tard, après un premier lifting, elle cède aux avances du producteur de musique Richard Perry – son dernier amant. Un as de la galipette, celui-là! «Je n’ai jamais eu une vie sexuelle aussi comblée», clame Jane Fonda. Hollywood la rappelle. Elle incarne Nancy Reagan dans «Le majordome» (2013) puis rejoint la série télé «Grace et Frankie», qu’elle tourne toujours avec Lily Tomlin. Depuis son 80e anniversaire, sa libido serait un encéphalogramme plat. «Les hommes, ça prend du temps. Je n’en ai plus pour ça», clame-t-elle. Elle doit encore livrer bataille. Cette fois, pour la planète. Quelle femme!