«T’as pas la trouille?» C’est vrai qu’à force d’entendre la question j’ai fini par sentir monter en moi une pointe d’anxiété au moment de me glisser dans la cabine du biplace, stationné à l’aérodrome d’Ecuvillens (FR). Appréhension qui fait sourire Michel Barras, 73 ans, pilote depuis l’âge de 17 ans, 10 000 heures de vol au compteur, dont 100 sur l’Electro. «En cas de panne, l’avion se comporte exactement comme son homologue à propulsion traditionnelle: il plane, et son pilote, formé pour, est censé être en mesure de maîtriser l’atterrissage d’urgence.» Ouf! Un souci de moins. Pas le temps d’avoir peur, de toute façon.
Car contrairement à un avion à moteur thermique, qui demande un préchauffage pouvant durer jusqu’à quinze minutes en hiver, l’électrique peut s’envoler sitôt la clé tournée. Un geste qu’il faut avoir à l’œil car, à l’oreille, rien n’indique que le moteur soit enclenché. Ou si peu. Genre le bruit d’un ventilateur en position minimale. Ajoutez un cran au ventilo et vous voilà déjà en bout de piste. Et là, au stop, deuxième frisson. Le moteur tourne, au ralenti certes, mais pas l’hélice. La panne, déjà? Non, rigole Marc Corpataux, notre pilote, qui a largement contribué à la mise au point de l’appareil. «C’est le fonctionnement normal d’un moteur électrique», se marre le patron d’AlpinAirPlanes, dépositaire et distributeur de la marque slovène Pipistrel pour la Suisse. On le croit sur parole. Et on fait confiance à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), qui a validé le moteur qui nous propulse en ce 18 mai, brûlant au passage la politesse au projet H55 d’André Borschberg, l’ancien directeur de Solar Impulse.
On rigole, on rigole, mais quand notre quadragénaire singinois met les gaz, ou les watts plutôt, on s’accroche au siège. La puissance du moteur développant 57,8 kilowatts (78 ch), à 2500 rpm (rotations par minute), est impressionnante. Le temps de réaliser qu’on a décollé, nous voilà déjà en train de flirter avec les nuages et de survoler le lac de Gruyère. «On est à 1100 mètres», annonce l’aviateur. Une paille pour le Pipistrel, qui peut grimper jusqu’à 3900 mètres. Malgré le vent et une fine pluie, l’appareil en fibre de carbone, déclarant 368 kilos sur la balance et pouvant embarquer 182 kilos de charge utile (soit deux personnes de 90 kilos), glisse dans l’air sans problème. «Certes, les deux batteries au lithium-ion à refroidissement par liquide pèsent un peu plus d’une centaine de kilos. Mais avec un moteur qui en fait à peine 30, déchargé de ses 100 litres de fioul (80 kilos) et de ses deux réservoirs, son poids au décollage est identique au modèle thermique», détaille Michel Barras.
Nous ne sommes qu’au début de cette technologie.
Agile, confortable, sans odeur et silencieux bien sûr (niveau sonore de 60 décibels), le Pipistrel se faufile à travers les cumulonimbus à 160 km/h (185 km/h en vitesse de croisière stabilisée, selon le constructeur). Autant d’atouts – ajoutés à son côté écologique et économique – qui en font, selon nos deux instructeurs, un outil de formation parfait pour les élèves pilotes. C’est d’ailleurs à cet effet que ce petit bijou à 175 000 euros est destiné en priorité. Une dizaine d’écoles helvétiques en seront bientôt équipées. «Un bon compromis qui permet de réduire les coûts, puisqu’un plein ne revient qu’à quelques francs, se réjouit Marc Corpataux. Equiper le hangar abritant l’avion de panneaux solaires qui assurent l’indépendance énergétique totale de ce dernier fait d’ailleurs partie intégrante du projet.» Une construction qui sera financée par un retour de la taxe sur les carburants payée par… les autres!
Avec une autonomie d’une heure – moins 15 minutes de réserve d’énergie réglementaires – et un rayon d’action d’environ 140 km, le Pipistrel a également une vocation touristique, bien que son temps de vol soit faible comparé aux cinq heures de son homologue à essence, reconnaît Michel Barras. Sans compter les 70 minutes qu’exige la recharge complète des batteries. «Mais nous ne sommes qu’au début de cette technologie. A l’instar de tous les véhicules électriques, le défi consiste soit à miniaturiser les batteries, soit à augmenter leur capacité. Si tous les constructeurs du monde s’y mettent, pourquoi pas! Regardez le formidable bond qu’a réalisé l’aviation en à peine vingt ans au début du XXe siècle», souligne à raison le baroudeur fribourgeois. Avec la crise que traverse actuellement le secteur aérien, difficile, hélas, d’être optimiste.
D’autant plus que des géants comme Airbus et RollsRoyce, qui développaient conjointement un programme électrique, ont déjà tiré la prise. De là à dire que l’avion de ligne électrique que certains nous promettent à l’horizon 2030 a du plomb dans l’aile, il y a cependant un pas qu’Ivo Boscarol, fondateur et PDG de Pipistrel Aircraft, refuse de franchir. «L’industrie aéronautique explore de nouvelles technologies pour réduire le bruit et les émissions et améliorer ainsi la durabilité de l’aviation», confie-t-il.
A en croire de récentes recherches, le salut pourrait venir des batteries au lithium-soufre. Selon la société anglaise qui développe cette technologie, une batterie lithium-ion permet de contenir de 100 à 265 kilowatts (kW) par kilo, alors que la lithium-soufre contient 470 kW et pourrait même atteindre 600 kW d’ici cinq ans. «Ce qui pourrait suffire aux poids lourds et même aux avions», promet son patron. On peut rêver…