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La rencontre

«J’ai roulé 8000 bornes à moto avec Johnny»

C’est une Vaudoise, Carole Lacarrière-Wiss, et son mari, spécialistes de road trips, qui ont organisé et accompagné le rockeur Johnny Hallyday lors de ses deux dernières sorties américaines. L’ancienne horticultrice de Cully raconte les coulisses de ces folles aventures aux côtés du Taulier. Séquence émotion.

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Pause sourire pour Carole Lacarrière-Wiss et Johnny Hallyday, en Louisiane, le long du fleuve Mississippi. «Sous une chaleur accablante», précise la Vaudoise, en qui feu le rockeur avait toute confiance pour organiser ses road trips. Carole Lacarrière-Wiss

Dans le film «A nos promesses», sorti vendredi dernier avec le coffret intitulé «Son rêve américain»*, qui conte par le menu l’ultime chevauchée de Johnny Hallyday et ses potes, en 2016, on l’entend raconter comment le chanteur a adopté Cheyenne, une petite chienne bâtarde abandonnée par ses propriétaires sur une route de l’Ouest américain. Elle explique le coup de foudre que le Taulier a eu pour l’animal qui l’accompagnera jusqu’à sa mort, le 5 décembre 2017, et qui fait aujourd’hui encore le bonheur de Laeticia, son épouse, et de leurs deux filles, Jade et Joy. Même pas besoin de tendre l’oreille pour percevoir le petit accent vaudois que la narratrice conserve de ses origines. Car Carole Lacarrière-Wiss est née à Cully, d’un papa lucernois et d’une maman de Renens. «J’ai grandi entre Cully, Cremières et Vevey», confie l’ancienne horticultrice, «vaccinée avec un rayon de Harley-Davidson à la naissance».

>> Voir le teaser vidéo de «Son rêve américain» (Youtube): 

La moto forgera d’ailleurs son destin. A 28 ans, elle rencontre Philippe, guide du road trip américain auquel elle participe. «On a flashé», confie-t-elle pudiquement. Unis par l’amour et leur frénésie des grands espaces, les amoureux se marient et fondent une petite agence** dédiée à leur passion.

C’est le début d’une aventure qui va s’accélérer au printemps 2007. Précisément le jour où un copain leur parle d’une virée, sa troisième après 1974 et 1990, que Johnny projette de faire aux Etats-Unis. «Avec tout ce que vous organisez, c’est con que vous ne puissiez pas l’accompagner», nous glisse-t-il. «Si, si, on peut», lui ai-je rétorqué, laissant mon mari pantois. Quelques jours et une dizaine de téléphones plus tard, l’affaire était réglée», rigole Carole, en confessant être une fan inconditionnelle «mais pas hystérique» du rockeur.

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Emmené par Johnny, le groupe (Pierre Billon, Fabrice «Billy» Le Ruyet, homme d’affaires, Claude Bouillon, restaurateur, Maxim Nucci, musicien, et Sébastien Farran, manager) arrive à Monument Valley, dans un décor magique. Carole Lacarrière-Wiss

Carole et Philippe dessinent donc l’US Tour qui mènera le chanteur et ses cinq copains de Santa Fe à Los Angeles. Sept jours, 2700 km d’une folle randonnée, via la légendaire Route 66, le Grand Canyon et un détour par Monument Valley, où «le grand», comme l’appelaient ses potes, doit faire un shooting pour son prochain album. Un coup de maître pour la cousine germaine de Valott, le célèbre dessinateur de presse de la vallée de Joux, et son conjoint, qui roulent aux côtés de la star.

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La star sur son Harley, lors de l’US Tour 2007, devant le Denny’s, à Cortez, au Nouveau-Mexique. Une très vieille chaîne de restaurants des années 1950 que Johnny adorait.

Alors, quand Johnny les rappelle pour mettre sur pied ce qui sera sa dernière grande virée, au printemps 2016, personne ne s’étonne. «Il a feuilleté notre catalogue sitôt après être descendu de scène, à Orléans, où nous résidons quand nous ne sommes pas sur les routes. Quand il est tombé sur le road trip Easy Rider, il n’a pas hésité. «C’est celui-là!» s’est-il écrié. «T’es sûr?» lui ai-je demandé. C’est le plus long (5000 km) et le plus éprouvant à cause de la chaleur et de l’altitude. Il a répondu: «Certain!» Je ne vais pas vous le cacher, il en a bavé, comme on dit. Même moi, pourtant de vingt-cinq ans sa cadette et rompue aux mauvaises conditions, j’ai ramé. Il a fait preuve d’un courage admirable.»

Car bien que personne ne le sache encore, «même pas lui», Johnny est déjà malade. «En altitude, sur des routes culminant à plus de 2000 m, il avait du mal à respirer.» Mais Carole se souvient surtout de cet épisode, à Santa Fe, où le chanteur a été pris d’une si sévère quinte de toux qu’elle a craint le pire. «Là, j’ai compris qu’il était vraiment mal. Laeticia et les filles nous avaient rejoints, ils se sont baladés en famille sans passer par la case hôpital, comme il a été colporté. Le reste de l’équipe n’en a plus parlé. En fait, nous étions tous dans le déni. Johnny, malade, personne ne voulait l’admettre. A table, on parlait déjà de la prochaine virée. C’est à Los Angeles, quelques jours après notre arrivée, que son cancer a été décelé.»

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En 2016, Laeticia avait rejoint «la meute» dont son mari Johnny était le chef, avec leurs deux filles adoptives, Joy et Jade (de g. à dr.). DR

Au Nouveau-Mexique, la meute de loups, comme la qualifiait le chanteur, est à mi-chemin d’une chevauchée qui a bien failli ne jamais commencer. «Alors qu’en 2007 la mise à disposition des motos n’avait fait aucun pli, en 2016, quelqu’un chez Harley, qui a sans doute été viré depuis (rire), a décrété que Johnny n’était plus représentatif de la marque», raconte Carole. Une aubaine pour Indian, son concurrent, qui accueille Pierre Billon, le parolier et ami intime de la star et de l’équipe, à bras ouverts. «Harley a bien essayé de nous récupérer, mais tout le monde a dit non!» Vexée la star, qui a roulé toute sa vie en Harley? «Un peu. Mais sans plus», évalue Carole.

Problème bis: le 13 septembre, au départ de La Nouvelle-Orléans, Johnny découvre que sa moto est rouge et les sacoches brunes. Coup de sang? «Pas du tout. Il est resté plutôt calme, un moment silencieux, puis a lâché: «Je prends la noire, celle de Pierre.» Le soir, Philippe a peint les sacoches en noir et tout est rentré dans l’ordre.»

L’ordre. Il a régné tout au long du périple de quinze jours, selon la Vaudoise. «Après des étapes variant entre 200 et 600 km, tout le monde était crevé. Grand max deux bières par soir, et au dodo!» Pas d’excès non plus sur la route. Enfin, pas souvent. «Il n’y a pas de radar fixe aux States. Mais les shérifs disposent d’un pistolet radar. Alors on a évidemment eu quelques visites. Mais rien de grave. Même qu’un jour, un de la bande qui roulait sans permis moto, et dont je tairai le nom, a réussi à passer entre les gouttes grâce à sa carte vitale d’assurance maladie», se marre l’organisatrice.

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Johnny pensif, avant le départ d’une étape, en Arizona, en 2016. «On avait moins accès à lui qu’en 2007. Sébastien Farran, son manager, l’a beaucoup protégé. On a compris pourquoi après l’arrivée», explique Carole Lacarrière-Wiss avec tristesse.

Alors, Johnny, un mec comme un autre? «Presque. Bien sûr, tout le monde était aux petits soins. A table, on commençait par lui demander ce qu’il voulait manger. «Comme vous», répondait-il invariablement. C’était quelqu’un de très simple, de très doux, très paternaliste, plein de petites attentions. Du genre à te mettre une main sur l’épaule et à te demander si tu as chaud ou froid, faim ou soif. Un soir, à la sortie d’un resto, à Page, en Arizona, il m’a appelée vers le banc où il s’était assis et m’a chanté «Oh Carole», a cappella, pour me remercier. Un souvenir inoubliable bien sûr. «Il doit t’avoir sacrément à la bonne pour faire ça», m’avait glissé son garde du corps. Parce que quand il avait quelqu’un dans le nez, ça se voyait aussi. Il était entier, mais aimait profondément l’Amérique et la route. Les petits motels, sans luxe, où il pouvait parquer sa bécane devant, comme les cow-boys attachaient leur cheval. C’était ça, le Johnny intime. Loin de la star capricieuse que certains pourraient s’imaginer. Sur la route, jamais quelqu’un ne l’a reconnu. Mais il captait l’attention par son aura, par ce qu’il dégageait. A ceux qui me demandaient qui il était, je disais: «C’est notre Bruce Springsteen. Notre roi du rock.»

Une seule fois, il s’est énervé. Pour une question de médicaments qu’il devait prendre à heure fixe et après s’être emmêlé les pinceaux, comme on dit, à cause du décalage horaire chez les Indiens navajos. Des gens et une culture qu’il aimait plus que tout. Il a claqué la porte de sa chambre, mais cinq minutes plus tard, il s’est excusé. A sa manière. Tout timide, tout gentil, tout touchant, j’ai envie de dire. Vous savez, des gens me disent parfois: «Laeticia ne pouvait pas être amoureuse de Johnny. T’as vu leur différence d’âge, t’as vu comme il était?» Je leur réponds que tout le monde pouvait tomber amoureux de Johnny. Hommes et femmes. Il était si simple, si généreux. Aujourd’hui, le chanteur nous manque, évidemment. Mais il a laissé un tel héritage qu’on peut combler ce manque. L’homme qui se cachait derrière, lui, nous laissera en revanche à jamais un vide abyssal.»

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>> * «Son rêve américain», coffret de trois CD (double album live inédit de Johnny Hallyday au Beacon Théâtre de New-York 2014 et la bande originale de son dernier road-trip aux Etats-Unis) et deux DVD.

>> ** Le site de l'agence de Carole et Philippe: http://greatescape.fr/fr/

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Par Rappaz Christian publié le 29 octobre 2020 - 08:59, modifié 18 janvier 2021 - 21:15