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Santé et société 

Infertilité, vers la fin d’un tabou?

En Suisse, environ un couple sur six aurait de la peine à concevoir des enfants. Mode de vie, environnement, âge, qualité du sperme… la fertilité est un processus complexe. Explications et témoignages.

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Infertilité

L'infertilité est une maladie qui touche environ un couple sur six en Suisse et dont l'origine est multifactorielle, selon les spécialistes. 

Geri Lavrov/Photographer's Choic/RF/Getty Images

En Suisse, un enfant sur quarante naît grâce à la fécondation in vitro (FIV). Un chiffre encore impensable il y a quelques années. La pratique et le problème qui la sous-tendent, l’infertilité, sont-ils pour autant devenus moins tabous dans la société? Si on ne peut pas nier la souffrance de nombreux couples, dans les cultures occidentales, le fait de n’avoir pas d’enfants est mieux toléré que par le passé. Reste qu’il n’est pas toujours simple de savoir pourquoi «ça ne marche pas». Mode de vie, environnement, âge, qualité du sperme: la fertilité est un processus complexe et en partie mystérieux. Face à l’infertilité, il n’existe pas de solution miracle. Comment s’y retrouver? Suivez le guide.

1. L’infertilité, une maladie multifactorielle

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’infertilité se caractérise par l’absence de grossesse après douze mois de rapports sexuels réguliers et non protégés. «Cette définition n’est pas très romantique, reconnaît Nicolas Vulliemoz, médecin responsable de la médecine de la fertilité et endocrinologie gynécologique au CHUV. Mais elle a l’avantage de parler de maladie. Ce qui est important, car la fécondation in vitro (FIV), son traitement le plus connu, n’est toujours pas remboursée par l’assurance maladie.» Même si les consultations sont en hausse, une partie de la population renonce probablement aux aides techniques disponibles pour des questions financières. Selon le médecin vaudois, environ un couple sur six aurait des problèmes à concevoir. «L’origine du problème est souvent multifactorielle, explique Isabelle Streuli, médecin responsable de l’unité de la médecine de la reproduction des HUG.

On a trop souvent tendance à le limiter à un problème physique, comme les trompes ou le sperme. Or, il n’est pas rare que l’infertilité soit le résultat d’une accumulation de plusieurs petits facteurs qui, additionnés, aboutissent à une baisse des chances de grossesse.» Les Anglo-Saxons parlent de subfertility. Pour la spécialiste genevoise, cette notion semble plus appropriée pour décrire les problèmes rencontrés: pour diverses raisons, la fertilité est diminuée, mais la fécondation n’est pas impossible.

Après une année, environ 15% des couples n’arrivent pas à procréer naturellement. En essayant une deuxième année, sans rien faire de particulier, ce chiffre descend à 7%. «La définition de la maladie crée de l’infertilité, continue Isabelle Streuli. La fertilité varie naturellement au cours du temps. Le nombre de spermatozoïdes dans le sperme fluctue en dents de scie. De même, l’ovulation peut être inconstante et ne survient pas toujours au même moment du cycle menstruel.

Les applications de fécondité pour smartphone ne sont donc pas toujours fiables.» Hygiène de vie (alcool et tabac notamment), état émotionnel, mais aussi sexualité et vie de couple: les personnes concernées peuvent faire déjà beaucoup elles-mêmes pour améliorer leur fécondité. «Certaines méthodes complémentaires, comme l’acupuncture pour la régulation des troubles du cycle ou l’hypnose pour le transfert d’embryon, peuvent aussi être envisagées, ajoute Isabelle Streuli. Toutes ces démarches sont importantes, car elles permettent de rendre le patient actif, ce qui est essentiel dans la réalisation du désir d’enfant.»

2. L’âge, un facteur déterminant

Même si plusieurs éléments entrent en compte dans les problèmes de fertilité qu’un couple peut rencontrer, l’âge de la femme reste un facteur déterminant. «La qualité et la quantité des ovocytes diminuent de manière importante après 35 ans et encore plus fortement après 40 ans, explique Nicolas Vulliemoz. A 40 ans, quelle que soit la technique envisagée, il devient pour une femme plus difficile de concevoir, ce d’autant plus que le risque d’anomalies chromosomiques et donc de fausse couche augmente avec l’âge.»

Une femme de 40 ans a ainsi un risque de fausse couche de 25 à 30% plus élevé qu’une femme de 25 ans. Une solution consiste à congeler des ovocytes pour les utiliser plus tard. Entre les frais de prélèvement, de conservation et de réimplantation, l’option est toutefois très onéreuse et surtout non remboursée. «Pour avoir le plus de chances de concevoir, avant 35 ans serait le mieux, conclut Nicolas Vulliemoz. Sauf que, socialement, ce n’est souvent pas possible ou pas souhaité. Voilà une des raisons pour lesquelles le recours à la procréation médicalement assistée a augmenté.»

3. Baisse de la qualité du sperme: une causalité qui reste à démontrer

Les études qui pointent une baisse de la qualité du sperme, aussi bien en Suisse que dans le monde, sont légion. La dernière en date, conduite par l’Université de Genève en 2019 et portant sur 2500 recrues âgées de 18 à 25 ans, a mesuré la motilité (capacité de déplacement), le nombre et la morphologie des spermatozoïdes. Selon les chercheurs, qui ont publié les résultats dans la revue Andrology, plus de 60% des échantillons ont au moins l’un des trois paramètres qui se situe au-dessous des normes de l’OMS.

Plus grave encore: 5% des recrues présentent une anomalie des trois paramètres simultanément. Les raisons exactes de cette détérioration restent floues. Des polluants – les pesticides ou les plastiques –, entre autres, qui sont des perturbateurs endocriniens, pourraient jouer un rôle.

Mais ce ne sont pas les seuls facteurs. Surtout, prévient Isabelle Streuli, «une baisse de la qualité du sperme ne va pas forcément influencer la fertilité d’un couple. Le spermogramme d’un homme évolue au cours du temps; les cycles de production de spermatozoïdes durent environ trois mois. Un sperme de moins bonne qualité peut aussi être compensé par une femme très fertile.»

En résumé, la relation de cause à effet entre la baisse de la qualité du sperme et la fertilité reste à démontrer. Une recommandation fait toutefois l’unanimité. Les hommes doivent éviter la chaleur, notamment celle générée par des pantalons trop serrés. Ce phénomène a en effet une influence démontrée sur la production de spermatozoïdes par les testicules.

4. Et si c’était «dans la tête»?

Pendant longtemps, l’idée qu’un blocage psychologique s’avère capable d’empêcher la procréation était largement répandue. Si cette conception culpabilisante a été abandonnée, «il existe par contre une relation à double sens entre état émotionnel et fertilité, relève Isabelle Streuli. Le stress et l’humeur peuvent avoir une influence sur la fertilité. Mais le fait de ne pas réussir à avoir d’enfants crée aussi des angoisses, du mal-être, voire des symptômes dépressifs. A la fin, il peut donc être difficile de savoir si l’infertilité est la cause ou la conséquence d’un état émotionnel altéré.»

Socialement, l’infertilité semble de moins en moins taboue et les techniques de plus en plus connues. Toutefois, les spécialistes constatent encore des problèmes de communication. Certains couples ne partagent pas leur problème avec leurs proches, se privant ainsi d’un soutien important. D’autres en arrivent au point de ne pas parvenir à se réjouir des grossesses de leurs amis et ont peur des réunions familiales en raison de la pression qu’ils pourraient subir sur le résultat de leurs traitements.

Le travail peut aussi être une autre source d’angoisse: la peur de rater une promotion ou d’être victime d’un licenciement en raison de la volonté d’avoir un enfant reste assez présente dans le monde professionnel. «Le couple est aussi mis à rude épreuve, ajoute Isabelle Streuli. Il faut que deux planètes se rencontrent. Or, parfois, il peut arriver que les deux personnes impliquées n’aient pas la même vision du projet. L’un veut aller vite, l’autre lentement. Ça peut rapidement devenir compliqué.» Au final, chaque situation est singulière, comme le relève Emilie Snakkers, psychologue associée au service de psychiatrie de liaison du CHUV, qui accompagne de nombreux couples dans leur démarche dans le cadre de l’équipe d’accompagnement psychologique de la médecine de la fertilité de l’établissement.

«Dans certaines cultures, il peut être problématique de ne pas avoir d’enfants à un certain âge, explique la psychologue. Chez nous, ne pas avoir d’enfants est certainement moins stigmatisant qu’il y a trente ans. Par contre, le regard que les gens portent sur eux-mêmes peut être altéré de différentes manières et c’est avec ses propres idéaux qu’il faut alors composer. Il faut supporter le temps de latence pendant lequel on espère avoir des enfants et où on n’y arrive pas. Mettre ce temps à profit pour élaborer certains éléments de son histoire personnelle en lien, de près ou de loin, avec la thématique de la filiation peut aider.

L’objectif est d’aider individuellement les personnes à travailler ces freins psychologiques – la plupart du temps inconscients! – qui ne sont que rarement une cause première d’infertilité, mais qui peuvent tout de même contribuer à faire perdurer le problème et la souffrance qui lui sont liés. C’est un chemin qui peut être long et douloureux – il met en exergue le sens que l’on donne à sa vie – mais cela peut permettre aussi de mieux se connaître soi-même et/ou en tant que couple.»

5. Vers la fin de la lignée biologique?

En Suisse, les techniques de procréation médicalement assistée sont réservées aux couples hétérosexuels. Grâce à ces techniques, et au fait qu’elles séparent la procréation de l’acte sexuel, quantité de nouvelles possibilités apparaissent toutefois. Des couples de même sexe ou des personnes seules peuvent avoir des enfants. Une femme peut porter un enfant qui n’est pas d’elle. Des couples de femmes peuvent recevoir le sperme d’un donneur. La continuité traditionnelle et génétique de la vie pourrait ainsi être brisée, ouvrant la porte à ce que le pédopsychiatre François Ansermet appelle un «vertige technologique». «En Suisse, la loi n’autorise pas ces pratiques, rappelle Nicolas Vulliemoz. C’est un débat de société qu’il faudra certainement mener. Pour l’instant, simplement rembourser la fécondation in vitro en Suisse serait déjà une avancée sociale importante.»

Par Michaël Balavoine publié le 25 juin 2021 - 16:49, modifié 18 octobre 2022 - 16:10