Mugissements de sirènes, klaxons de voitures, grondements de machines de chantier. New York est bruyante. Ce boucan fait partie intégrante de la Grosse Pomme, comme on la surnomme, au même titre que Central Park, l’Empire State Building et Broadway. C’est non loin de ce quartier du spectacle qu’en ce mercredi matin Ignazio Cassis, 62 ans, prend son petit-déjeuner à l’hôtel, la mine concentrée, tout en préparant son entrée sur la scène politique mondiale.
Il est le premier conseiller fédéral à présider une session du Conseil de sécurité de l’ONU. «Pour la Suisse, c’est une journée chargée de symbole, résume-t-il non sans fierté en buvant son jus d’orange. Je ne suis pas nerveux mais clairement excité!» Chaque fois qu’il se rend à New York, il dort dans le même hôtel et même dans la même chambre. «Je suis humain et j’aime avoir mes habitudes. Les habitudes procurent de la sécurité. Et, par ailleurs, c’est moins stressant de ne pas devoir chercher mes repères à chaque fois.» Avec son équipe et l’ambassadrice auprès de l’ONU Pascale Baeriswyl, 55 ans, il parcourt son allocution d’ouverture et exerce la prononciation des noms des diplomates présents, surtout des Japonais.
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La tâche première du Conseil de sécurité est la préservation de la paix mondiale. Depuis janvier, la Suisse fait partie de cet organe pour deux ans. En mai, elle en assure la présidence tournante. La Suisse avait présenté sa candidature en 2011 déjà. «A l’époque, le monde était tout différent, relève le ministre des Affaires étrangères. Aujourd’hui, il va beaucoup plus mal.» A l’agression russe contre l’Ukraine s’ajoutent de nouveaux conflits en Birmanie, en Afghanistan, au Soudan. «Nous pouvons montrer ici que dans des situations délicates nous savons assumer des responsabilités.»
Session No 9315
La moquette claire vient de voir passer l’aspirateur, les lourdes tentures sont tirées. Le Conseil de sécurité siège dans la salle norvégienne du bâtiment principal de l’ONU. A la grande table en forme de fer à cheval, la Suisse, dans son rôle de présidente, se trouve au centre. A 10 h 03, Ignazio Cassis ouvre en français la session No 9315. Jeune homme dans les années 1970, il considérait une guerre en Europe comme inimaginable. «Aujourd’hui, la guerre sévit. Comment en est-on arrivé là?»
Il entend mettre à profit le débat pour rétablir la confiance entre les acteurs. «Là où règne la confiance, tout est possible, dit-il. Je suis persuadé que si nous pouvons rétablir cette confiance nous pourrons retrouver la paix à long terme.» A la fin de la séance, il n’y aura pas de déclaration commune ni de geste de réconciliation de la part des diplomates présents. «La confiance nécessite du temps, conclut le ministre PLR. J’ai trouvé hautement intéressant d’entendre les diverses nuances apportées par les diplomates. Certains usent d’un langage très direct, d’autres moins. Chacun imprime son propre ton à la même musique.»
Une fois par jour, il téléphone brièvement à son épouse, Paola. «Je me borne à lui demander si tout va bien. Je préfère lui raconter en tête à tête, lors d’un dîner arrosé d’un bon verre de vin, comment la session a marché.»
Le Conseil de sécurité passe pour l’organe le plus puissants des Nations unies mais, dans cette lutte pour la paix, il s’avère souvent démuni: les cinq membres permanents, Chine, France, Etats-Unis, Grande-Bretagne et Russie, peuvent user de leur droit de veto pour bloquer tout ce qui ne leur convient pas. «Si nous le pouvions, nous changerions évidemment cette règle. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que ces Etats soient disposés à renoncer à leur pouvoir.» Depuis l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, l’ambiance au Conseil de sécurité est plus tendue. «Le rôle de la Russie est délicat, souligne Ignazio Cassis. Nous devons en prendre acte et chercher des solutions. En vue d’abord d’un cessez-le-feu, puis d’un accord de paix. Et enfin d’une attitude raisonnable.»
Dans la salle de réunion suisse, à côté du Conseil de sécurité, deux pendules à coucou sont accrochées à la paroi. Sur le canapé, des coussins rouges sont drapés de croix blanches. Entre une affiche du glacier d’Aletsch et une autre de la Limmat à Zurich, Ignazio Cassis déjeune d’une banane tout en se préparant à trois interviews TV. «Cette mission est aussi l’occasion de renforcer la réputation de la Suisse à l’étranger.»
Du jazz pour décompresser
Vers 18 heures, le conseiller fédéral ressent les effets du décalage horaire. «C’est bien normal, nous ne sommes pas encore des robots», dit-il en riant. Pour combattre le jet-lag, il suffit d’un comprimé pour dormir ou alors de serrer les dents et de continuer. C’est la troisième fois depuis le début de l’année qu’Ignazio Cassis est à New York. «Je m’y sens déjà presque comme à la maison, mais je demeure à chaque fois impressionné par la «skyline».» Cela dit, il n’a jamais vraiment le temps de la réflexion. «Avant d’avoir digéré quelque chose, j’en suis déjà deux chapitres plus loin. C’est dommage parce que je vis tant de choses et que tout est tellement impressionnant.»
Pour décompresser, le conseiller fédéral privilégie la musique. Il joue lui-même de la guitare, de la trompette et adore chanter. «Lorsque je suis chez moi et que j’ai un peu de temps, j’aime écouter du jazz. Je règle la radio et, pendant quelques heures, j’ai tout ce qu’il me faut.» Rien d’étonnant par conséquent que, pour sa dernière soirée dans la Mecque de la musique, Ignazio Cassis s’offre les plus belles sonorités de New York: un concert de jazz.