- Les chiffres sont éloquents: en 2022, 280 personnes seulement (164 personnes décédées et 116 donneurs vivants) ont fait don de leurs organes en Suisse, alors qu’à ce jour 1442 personnes figurent sur liste d’attente. Comment expliquer ce peu d’adhésion à une chaîne de solidarité pourtant vitale?
- Franz Immer: Il est vrai que, avec 55% de refus émanant des familles, la Suisse a l’un des plus hauts taux d’Europe. Par comparaison, l’Italie et la France se situent autour de 25%. Si on pouvait ramener ce taux ne serait-ce qu’à 35%, cela doublerait le nombre de donneurs potentiels.
- Comment expliquer que les Suisses votent à 60,2% en faveur du consentement présumé en mai 2022 puis refusent à 55% le don au dernier moment?
- Le problème, c’est que, pour la moitié des demandes, les proches doivent prendre une décision sans connaître l’avis du défunt. Si le sujet n’a jamais fait l’objet d’une discussion, la majorité des familles se sentent incapables de décider en faveur du don. Ce manque de communication est malheureux car, selon les statistiques, environ 80% des gens sont favorables au don d’organes.
- Par rapport aux 74 425 décès enregistrés en Suisse en 2022, ce chiffre de 164 donneurs décédés est particulièrement minime, presque ridicule, oserait-on dire, si la question n’était pas si sensible…
- La comparaison n’est pas réaliste. Le chiffre qui compte est celui des personnes qui meurent en soins intensifs à travers le pays, en l’occurrence 4000 en moyenne par année. Mais pour des raisons de contre-indication, seulement un peu plus de 1000 d’entre elles sont éligibles à un prélèvement d’organes. Des personnes réparties dans deux groupes: en 2022, 320 se trouvaient en état de mort cérébrale et 700 dont les médecins en charge et les familles ont décidé d’un arrêt thérapeutique.
- Vous ne parlez pas des personnes décédées dans des accidents?
- En effet, pour la simple et bonne raison que l’analyse du groupe sanguin et du bon fonctionnement des organes doit être effectuée lorsque la personne a donné son accord pour le don et est hospitalisée aux soins intensifs. Lorsque le flux du sang et l’oxygénation sont arrêtés, dans les décès par accident, le don d’organes n’est plus possible.
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- Que changera la nouvelle réglementation lorsqu’elle sera en vigueur?
- La différence fondamentale résidera dans le fait que la responsabilité de la décision n’incombera plus à la famille. Si aucune contre-indication ou aucun refus de la personne ne figure dans le registre de cette dernière et que la famille n’a pas connaissance d’un refus de la part du défunt, on conclura alors à son consentement présumé, comme dit la loi. Ce sera un soulagement pour le personnel médical et pour les familles, qui doivent porter le poids d’une décision prise dans l’urgence. Lorsque nous les interrogeons six mois après leur refus, la moitié d’entre elles disent le regretter. La nouvelle réglementation évitera cette situation, inconfortable pour tout le monde.
- Quel est l’âge limite pour donner ses organes?
- C’est une question essentielle qu’une grande majorité de la population ignore: hormis le cœur, qu’on prélève jusqu’à environ 70 ans, et les poumons, jusqu’à 80 ans, il n’y a pas de limite d’âge pour les autres organes – s’il n’y a pas de contre-indication, bien sûr. On peut très bien prélever le foie ou les reins sur une personne de 90 ans et plus si ceux-ci répondent aux critères et que l’organe fonctionne bien. La moitié des donneurs sont d’ailleurs âgés de plus de 60 ans. A ce jour, le donneur suisse le plus âgé sur qui le foie a été prélevé avait 88 ans.
- Et quel est l’âge moyen des 1442 personnes placées sur liste d’attente?
- L’âge moyen pour tous types d’organes et de 54,4 ans. Pour un cœur, c’est 48,3 ans; pour les poumons, 51,57 ans; pour le foie, 55,31 ans; pour les reins, 54,77 ans et pour le pancréas, 47,8 ans.
- Quelle est la durée d’attente moyenne?
- Pour l’allocation d’un rein, la durée d’attente moyenne est d’environ trois ans. Pour le cœur, les poumons et le foie, une année. Ces délais peuvent varier d’une façon importante selon les critères d’allocation. Il y a des patients en liste d’attente pour un rein qui attendent depuis huit ans et même plus, parfois, à cause d’un problème immunologique. Si le patient a déjà été transplanté, il est plus difficile de trouver un rein idéal, susceptible d’éviter un rejet.
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- L’an dernier, 83 personnes figurant sur la liste d’attente sont décédées en raison de la pénurie d’organes…
- En effet. Ce constat est particulièrement attristant. Dans la plupart des cas, plus l’attente se prolonge et plus la santé des receveurs se dégrade, malheureusement.
- Y a-t-il des priorités, pour les enfants ou les personnes très jeunes?
- Oui, notamment en ce qui concerne le cœur pour les enfants. Ce n’est pas une priorité dans l’absolu, mais les chances d’avoir un cœur sont plus grandes du fait que nous collaborons entre pays. Si un enfant de 2 ans meurt au Portugal et qu’il n’y a pas dans ce pays un receveur compatible, il se peut qu’il nous soit attribué. En Suisse, quatre cœurs d’enfant sur cinq viennent de l’étranger. Les adolescents, jusqu’à l’âge de 20 ans, ont la priorité en ce qui concerne une transplantation des reins, par exemple. Il s’agit de perturber leur temps de formation le moins possible. En ce qui concerne le foie, on peut attribuer le petit lobe gauche à un enfant jusqu’à 25 kg et le grand lobe droit à un adulte.
- Quel message voulez-vous transmettre à travers cette interview?
- J’aimerais dire et répéter que le don d’organes nous concerne tous. Ce n’est pas une question d’âge, ni de maladie. Même une personne souffrant d’une tumeur ou de diabète peut donner des organes. Les gens doivent le savoir. Il y a beaucoup trop d’a priori et d’informations erronées qui circulent à propos du don d’organes. Prenez votre décision et parlez-en à vos proches.
* Swisstransplant est la fondation propriétaire du registre national pour le don et la transplantation d’organes. Plus d'informations sur www.swisstransplant.org
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Donner ses organes, mode d’emploi
La carte de donneur: Elle peut être commandée gratuitement sur le site www.vivre-partager.ch. Gardez-la en permanence sur vous ou déposez-la dans un endroit connu de vos proches. Elle vous permet de faire part de votre volonté de façon très précise: vous pouvez faire don de tous vos organes ou tissus, ou seulement de certains.
Les directives anticipées: Elles vous permettent d’indiquer les mesures médicales que vous accepteriez ou refuseriez si, à la suite d’un accident ou d’une maladie, vous n’étiez plus en mesure de décider par vous-même. Vous pouvez également y faire figurer votre décision quant au don d’organes. Conservez vos directives de manière qu’elles puissent être retrouvées en cas de besoin.
Le dossier électronique du patient (DEP): Vous pouvez y enregistrer toutes sortes de documents en lien avec votre santé et définir qui peut y accéder. La carte de donneur peut également y être enregistrée. Pour ouvrir un dossier électronique du patient: dossierpatient.ch.
Informer également les proches: En cas d’incertitude, on demande aux proches s’ils connaissent la volonté de la personne décédée. De même, sous le principe du consentement présumé, on interroge les proches lorsque aucun document attestant la volonté de la personne décédée n’est trouvé.