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Proche-Orient

«Il faut que tout le monde baisse les armes»

Depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas, cette Suisso-Palestinienne de 49 ans ne trouve plus le sommeil. Depuis Genève, Raya, figure bien connue des amateurs de cuisine orientale, veut porter la voix des Palestiniens qu’on n’entend plus. Témoignage.

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témoignage Palestine-Israël

Installée en Suisse depuis 1997, Raya a grandi à Tulkarem, une ville arabe de Cisjordanie. Photographiée chez elle à Genève, elle a tenu à revêtir un gilet confectionné par des femmes palestiniennes.

David Wagnières

Son sourire est connu de tous les Genevois qui se baladent le dimanche devant les stands du marché de la plaine de Plainpalais. Raya*, une Suisso-Palestinienne de 49 ans, régale les amateurs de galettes aux falafels – des beignets frits de pois chiches broyés –, une spécialité orientale qu’elle prépare avec amour depuis treize ans. Mais ce dimanche 15 octobre, si son petit camion rouge borde bien la plaine du centre-ville, Raya, elle, est restée à la maison. «C’est la première fois que je ferme le stand alors que toutes mes préparations étaient déjà faites. Je ne me sentais plus capable de servir mes clients avec le sourire», nous dit-elle le lendemain, dans son appartement genevois.

Les yeux cernés, les cheveux en bataille et la mine fatiguée, elle confie ne plus dormir depuis le déluge de feu qui s’abat sur «sa Palestine». Après l’attaque menée par le Hamas en territoire israélien le samedi 7 octobre ayant causé la mort de 1400 personnes, la riposte de l’Etat hébreu ne s’est pas fait attendre. Et les bombes de pleuvoir sur la bande de Gaza, petit rectangle de terre de 360 kilomètres carrés coincé entre Israël, l’Egypte et la mer Méditerranée, abritant 2,3 millions de Palestiniens soumis à un blocus depuis seize ans. A ce jour, on dénombre plus de 2670 morts et 9600 blessés, selon les autorités palestiniennes. Et depuis le lundi 9 octobre, Tsahal a ordonné un siège complet de l’étroite bande de terre contrôlée par le Hamas, privant ainsi les Gazaouis d’eau et d’électricité et empêchant tous les approvisionnements en carburant et en alimentation. 

«Arrêtez le sang»


Une catastrophe humanitaire qui fait couler des larmes sur le visage de Raya, d’ordinaire si radieux. Fébrile, elle choisit ses mots avec précaution, a préparé des notes, de peur d’enflammer le débat, miné par des décennies de conflits. «Je n’ai pas envie de condamner ou de justifier. Il faut que ces crimes de guerre cessent. Que tout le monde baisse les armes et fasse une marche pour le silence. Jusqu’à ce qu’on remette de l’eau, de l’électricité et qu’on lève ce blocus à Gaza. «Arrêtez le sang! C'est la seule chose que je peux exprimer», implore celle qui a grandi à Tulkarem, une ville arabe de Cisjordanie. «Mon père a vécu la Nakba («la grande catastrophe», en arabe, référence à l’exode forcé de la population palestinienne durant la guerre israélo-arabe de 1948, ndlr). Il est originaire de Haïfa, une ville aujourd’hui israélienne, anciennement en Palestine, c’est important de le préciser.»

De la bande de Gaza, elle ne reçoit que des nouvelles au compte-gouttes et préfère se couper des médias. «C’est trop dur. Ce qui se passe là-bas est un véritable génocide, qui a commencé en 1948 déjà et ne fait que s’accélérer. Hier encore, j’ai appris que le frère d’un ami originaire de Yaffa, qui vit en Suisse, a perdu femme, enfants et maison à Gaza. Le dernier coup de téléphone que j’ai reçu? La voix d’un père à Gaza qui m’a dit qu’il souhaitait qu’on prie pour lui. Et que, s’il venait à disparaître, qu’on rappelle que lui et sa famille ont existé sur cette terre. C’est d’une tristesse!»

Un fils emprisonné depuis deux ans


Et puis, la presque cinquantenaire aux cheveux d’ébène est sans nouvelles de son fils, Omar, 26 ans. Ses yeux se voilent et, pudiquement, elle raconte: «Il a été capturé par Tsahal à Ramallah, sorti de son lit en pleine nuit. Il est détenu pour des «raisons administratives», sans plus d’explications. Ça devait durer six mois, ça fait bientôt deux ans qu’il croupit dans une geôle israélienne. Mes amis me suggèrent de saisir cette occasion pour médiatiser son cas, mais pour moi l’urgence absolue est d’appeler à la fin de ce massacre et de ce blocus. Bien sûr que j’ai peur pour mon fils, à l’image de toutes les mères qui sont terrifiées pour la vie de leurs enfants à Gaza. Aujourd’hui, Gaza est en cendres. Quelle justification peut-on donner à cela?»

Alors, Raya porte la voix de ceux qu’on n’entend plus. «J’ai encore la force d’accepter tout le monde dans mes bras, mais les Palestiniens ne l’ont plus.» Le jour après notre rencontre, elle nous envoie un SMS. «Dimanche, je retournerai au marché avec le sourire et la sérénité. J’ai repris des forces et je vais retourner à mon quotidien avec une autre joie. Servir chrétiens, musulmans, juifs, mendiants et banquiers, comme je l’ai toujours fait.» Cette musulmane conclut: «Aujourd’hui, c’est la Palestine qui pleure. Mais comme moi, elle sourira à nouveau, un jour.» 

* Nom connu de la rédaction.

Par Alessia Barbezat publié le 27 octobre 2023 - 09:41