Aujourd’hui protégés, les narcisses ont pourtant connu une longue époque de gloire. Au siècle dernier, les promeneurs du dimanche attendaient impatiemment le mois de mai pour cueillir un bouquet de ces amaryllidacées immaculées. De 1897 à 1957, cette fleur a même été associée à la manifestation phare de Montreux, la Fête des narcisses, un événement d’ampleur internationale. Marquant la fin de la haute saison touristique à Montreux – qui en ce temps-là débutait en hiver – les premières éditions coïncidaient avec l’époque de floraison, qui blanchissait complètement les hauteurs de la Riviera vaudoise. Le narcisse était l’emblème tout trouvé d’une fête lors de laquelle se produisaient les orchestres, les ballets et les opéras les plus célèbres d’Europe. Hasard ou concomitance, avec l’abandon de la fête débute aussi la disparition de la fleur dans toute la région. Dans les années 2000, la surface des champs de narcisses avait diminué de 67% par rapport aux années 1960 et celle des zones dites d’abondance – celles qui blanchissent complètement au printemps – de 83%!
La faute en revient à l’extension des forêts, qui grignotent chaque année les précieuses prairies florales. Et à des pratiques agricoles plus intensives. Jusque dans les années 1950, l’agriculture procédait par étagement: des vignes d’abord, puis des champs et des cultures maraîchères et, au-dessus de 1000 mètres d’altitude, les alpages. Ceux-ci n’étaient fauchés ou pâturés qu’en juin, après la période des semis naturels. Aujourd’hui, ils sont fauchés ou broutés dès avril, avant même la période de floraison des narcisses!
Mais, aux Pléiades, le photographe David Rouge a trouvé l’un des derniers coins de paradis. Depuis dix ans, dans son chalet entouré de champs et de forêts, ce grand voyageur ne se lasse pas d’observer la floraison des narcisses. «Il faut se mettre à ramper, s’abaisser au niveau de la plante bulbeuse, pénétrer son univers, raconte le photographe. C’est d’abord une tige creuse et bien droite, qui va se courber au niveau de l’ovaire et dont l’extrémité va déployer ses pétales pour quelques semaines seulement.» Depuis quelque temps, cette fleur lui inspire des compositions minimalistes, faites d’un maximum de blanc dans l’image. «J’aime cette douceur et cette légèreté que me procure cette dominante. La photographie n’a jamais de limite… même dans un espace de 4 mètres carrés.»