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Hommage

Elisabeth Kopp, la dame de cœur

Elle restera dans l’histoire comme la première femme conseillère fédérale. Elle fut aussi au cœur d’un scandale national. Mise au ban de la société, ce n’est que vers la fin de sa vie qu’Elisabeth Kopp a été saluée pour ce qu’elle avait été: une pionnière dans la politique suisse.

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Elisabeth Kopp

Première femme à accéder au gouvernement helvétique, en 1984, Elisabeth Kopp a dû quitter le Conseil fédéral quatre ans plus tard pour avoir informé son mari qu’une société pour laquelle il travaillait apparaissait dans une enquête.

Kurt Reichenbach

Il y a des phrases qui restent gravées dans la mémoire collective, comme celle qu’avait prononcée la première conseillère fédérale de l’histoire suisse le lundi 12 décembre 1988: «Je n’ai pas commis de faute juridique ni de faute d’éthique.» Elisabeth Kopp annonçait ce jour-là sa démission prématurée après quatre ans de mandat. En quelques mots, elle avait exprimé son sentiment d’injustice d’être évincée de son poste. Les années 1980 ne sont pas comparables à aujourd’hui. Les scandales n’existaient qu’ailleurs, la Suisse n’avait tout au plus que des petites affaires. Mais subitement, le vernis du petit Etat propret et épargné par tous les malheurs s’était lézardé.

Isolée au Conseil fédéral


La mort des forêts, les demandeurs d’asile du Sri Lanka, le blanchiment d’argent… La première et seule femme au gouvernement du pays devait gérer tous ces problèmes. Au Conseil fédéral, elle se sentait isolée. En tant que femme, elle était observée de près et n’avait pas droit à l’erreur. Pendant les pauses-café de la séance du Conseil fédéral, ses collègues masculins parlaient de football. «Je me sentais exclue et j’étais contente quand les pauses étaient terminées», se souviendra-t-elle des années plus tard.

En tant que cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP), Elisabeth Kopp affrontait les problèmes avec courage et détermination. Elle menait notamment un combat épique pour faire passer le nouveau droit matrimonial en votation populaire. Son adversaire était Christoph Blocher, figure de proue de l’UDC. Il dénonçait la présence de «juges dans le lit conjugal». Elle répliquait avec humour et pragmatisme qu’avec la législation d’alors son mari pourrait lui interdire, à elle, pourtant conseillère fédérale, de travailler. Elle nomme aussi un délégué aux questions d’asile, accélère les procédures, introduit la notion d’admission humanitaire. Elle fait de la Suisse le premier pays européen à imposer le catalyseur pour les voitures et lance la législation contre le blanchiment d’argent.

Puis vient le coup de téléphone fatidique à son mari, l’avocat d’affaires Hans W. Kopp. Elle lui conseille de démissionner du conseil d’administration d’une entreprise soupçonnée de blanchiment d’argent. Cela commence à se savoir en haut lieu, mais elle nie cet appel téléphonique, tente de rejeter la faute sur sa collaboratrice personnelle. Malgré l’insistance de ses chefs de service, elle ne veut pas dire la vérité à ses collègues du Conseil fédéral et autorise son mari à mentir lui aussi dans une interview accordée à la Schweizer Illustrierte.

Le départ d'Elisabeth Kopp du Palais Fédéral en 1989

Le 13 janvier 1989, la conseillère fédérale déchue quitte le Palais fédéral. Son collègue Jean-Pascal Delamuraz est le seul qui l’accompagne sur la place Fédérale.

Karl-Heinz Hug/Keystone

Réhabilitation tardive


Ce mensonge sera fatal à sa carrière, la contraignant à la démission. Pour faire la lumière sur l’affaire Kopp, une commission d’enquête parlementaire est mise en place, ce qui provoque un nouveau séisme: l’affaire des fiches, puis celle de l’armée secrète sortent au grand jour. Elisabeth Kopp n’en est pas responsable. Mais grâce au «cas Kopp», un système qui n’existait auparavant que dans l’ombre devient public. L’écrivain Peter Bichsel écrit à l’époque: «Il n’y a qu’une seule véritable leçon à tirer de cette affaire: élisez plus de femmes, elles seules sont capables de rendre visible la corruption des hommes.»

La malveillance, l’ostracisme dont elle et son mari ont fait l’objet ont été cruels. Mais l’amour entre Elisabeth et Hans est resté inaltérable. Lorsque son mari meurt en 2009, elle le tient dans ses bras jusqu’à son dernier souffle. «Il voulait que ses cendres soient dispersées dans la nature. Mais je lui ai dit que je voulais une tombe à Zumikon et que je ne voulais pas y reposer seule.» Elisabeth Kopp a reçu tardivement l’hommage qu’elle méritait de la part des femmes qui ont souligné la qualité de son travail de pionnière au Conseil fédéral, de la part du PLR aussi. La première conseillère fédérale est décédée le Vendredi saint et les nécrologies l’ont qualifiée d’icône. Elle avait voulu participer pleinement en tant que femme à la vie politique. Et c’est ce qu’elle a fait malgré les réticences de l’époque. «Pour des raisons évidentes, avait-elle dit le jour de son élection, je ne peux pas promettre d’être mon mari au Conseil fédéral. Je peux cependant vous assurer que je ferai tout mon possible en tant que femme et en tant qu’être humain.»

Par Monique Ryser publié le 29 avril 2023 - 09:56