1. Home
  2. Actu
  3. Portrait de Henry Leutwyler, le photographe des célébrités
Portrait

Henry Leutwyler: «Je veux travailler en Suisse!»

Dans le genre «nul n’est prophète en son pays», difficile de trouver meilleur exemple suisse que le photographe Henry Leutwyler. Exilé depuis trente ans à New York, ce maître du portrait et de la nature morte revient dans la mère patrie avec une très émouvante expo en plein air sur la Croix-Rouge. Portrait d’un portraitiste.

Partager

Conserver

Partager cet article

A l’occasion des 75 ans des Conventions de Genève, le Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a proposé à Henry Leutwyler d’exposer sur le quai Wilson 58 de ses photos d’objets humanitaire

A l’occasion des 75 ans des Conventions de Genève, le Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a proposé au photographe suisse d’exposer sur le quai Wilson 58 de ses photos d’objets humanitaires (ici un casque de la Croix-Rouge française de 1940). A voir à Genève jusqu’au 5 août.

Nicolas Righetti/Lundi13

Michelle Obama, Gorbatchev, deux reines de Jordanie, Iggy Pop, Salman Rushdie, Steven Spielberg, Cate Blanchett, Denzel Washington... Elles et ils ont toutes et tous passé devant son objectif. Pas longtemps: «En dix minutes, il faut avoir la bonne image. Ensuite, le modèle perd de son naturel», précise Henry Leutwyler.

L’autre facette de l’artiste, ce sont les objets, «moins capricieux à immortaliser que les stars et leurs agents qui veulent tout maîtriser». Des objets qu’il transmute en natures mortes plus captivantes que les objets eux-mêmes: le revolver utilisé pour assassiner John Lennon, le carnet d’adresses de Frank Sinatra ouvert à la page du numéro de téléphone de Henry Kissinger, les Birkenstock en lambeaux de Steve Jobs, les bibelots de Michael Jackson, la Rolex de Paul Newman... De toutes ces raretés nobles ou triviales, cet homme aux lunettes Le Corbusier fait des expos et de superbes livres chez son fidèle éditeur Steidl, des livres qu’il est presque douloureux de refermer tant ces images attirent les rétines.

C’est sur le quai Wilson à Genève que nous avons donné rendez-vous à ce natif de Lenzbourg (AG), passé par Fribourg puis par Lausanne avant de monter à Paris en 1985, puis de traverser l’Atlantique dix ans plus tard pour s’établir définitivement à New York. Le tutoiement est immédiat et le courant passe vite. Trente ans de vie américaine, cela vaccine contre la timidité et les sinuosités helvétiques. Justement, Henry Leutwyler ne demanderait pas mieux que la Suisse fasse preuve de moins de timidité à son égard: «Tu te rends compte, je n’ai jamais reçu la moindre commande d’une grande entreprise suisse. Et pourtant Dieu sait si je rêve de ça. Car je reste Suisse, même si je suis à moitié Italien. J’adore ce pays et je me verrais bien y revenir et m’y installer, à 62 ans. Mais peut-être qu’on me considère comme trop cher, trop vieux ou trop ch...»

Cherche client suisse...


Profitons de cet article pour servir d’intermédiaire et faire des appels du pied. Quel mandat helvétique rêve-t-il de réaliser? «Je passe une grande partie de ma vie dans des avions et des aéroports. Et, bizarrement, j’adore ça. Sur mon compte Instagram, je publie des centaines de photos prises durant mes déplacement aériens, ce qui, pour la petite histoire, agace mon ancien agent. Alors je me dis qu’un portrait de la compagnie Swiss par un photographe suisse, cela pourrait faire une belle exposition et un beau livre.»

Et quoi d’autre? «Je rêve de faire un travail sur les archives de Rolex, ou sur celles de Nestlé. Ces marques doivent avoir des archives fantastiques qui ne demandent qu’à être mises en valeur. Et puis il y a le chocolat, le fromage. Enfin bref, toutes ces icônes de la Suisse me séduisent.» Brocanteur amateur à ses heures perdues, cet obsessionnel de la résurrection des choses endormies rêve aussi de réaliser un grand livre de natures mortes sur le design industriel suisse. «Je m’enfermerais des mois dans les réserves du Museum für Gestaltung de Zurich pour sélectionner les plus beaux produits des marques suisses mythiques: Alpa, Bolex, Nagra, mais aussi tous ces produits pharmaceutiques, ces herbicides ou ces tubes de pâte à tartiner, dont le graphisme à l’époque était encore d’une grande élégance.»

«Je suis un peu excessif...»


En attendant que ces projets rouges à croix blanche se concrétisent, le photographe nous accompagne sur son exposition tout en longueur sur le quai. On découvre alors un artiste-artisan qui adore parler de technique, de lumières de studio, de cadrage. «Ça, c’est la toute première affiche imprimée de la Croix-Rouge. Regarde! En étant pliée en deux, l’encre a déteint de manière symétrique sur l’autre moitié. J’adore montrer ces signes de vieillissement et donc de vie. Les affiches du Musée de la Croix-Rouge, il y en a près de 15'000 dans les réserves. J’ai voulu les voir toutes, pour être certain de ne pas passer à côté de la meilleure. Je suis un peu excessif...»

Mais ce perfectionnisme est une des clés du succès américain de cet autodidacte. Outre-Atlantique, les diplômes comptent moins que la force de travail, la ponctualité et l’excellence. «J’ai aussi eu beaucoup de chance, notamment des rencontres précieuses au bon moment. Mais on a aimé aussi que je travaille sept jours sur sept. Cela a provoqué mon divorce avec ma femme palestinienne, avec qui j’ai eu deux enfants. Mais je suis comme ça. Je souffre d’ailleurs des temps difficiles que traverse aujourd’hui mon art. Je ne suis pourtant pas à plaindre par rapport aux jeunes qui se lancent le métier, mais je ne reçois plus assez de commandes pour travailler tous les jours. Cela m’angoisse.»

Il aurait pourtant largement de quoi relativiser en repensant à sa trajectoire en forme de success-story de cinéma. Le jeune photographe sans diplôme (sa candidature à l’école de Vevey avait essuyé un refus en 1981) avait ouvert son petit studio à la rue de Bourg, à Lausanne, et avait fait faillite rapidement. Cet échec initial l’avait mis dans le train pour Paris, sans argent mais avec un pote pour l’héberger. Il bosse alors dans la mode, se fait un nom puis s’envole pour New York. Et c’est ainsi qu’on devient un jour un des dix ou vingt portraitistes photo les plus prisés du monde. «Mais jamais je ne me suis levé le matin en me disant que j’allais faire du pognon. Je me lève le matin pour être utile, pour essayer de faire rêver les gens. Le photoreportage, ce n’était pas pour moi, car si j’avais dû photographier l’incendie d’une maison, j’aurais installé un matelas pour que les gens puissent se sauver plutôt que de les prendre en photo en train de sauter. Alors j’ai fait de la mode, de la beauté, puis des portraits, tout en ayant toujours fait de la nature morte. Et ça a marché. Et je n’en reviens toujours pas.»

S’il ressent le besoin de renouer avec sa patrie d’origine et s’il adore l’Amérique, ce photographe des stars et des choses éprouve une autre passion géographique: le Japon. Il ne se passe pas une année sans qu’il retourne s’y ressourcer. «On en revient transformé, du Japon. Et on a besoin d’y retourner. C’est la société qui a poussé le plus loin le souci du détail, de l’harmonie. Et pour un méticuleux – pour ne pas dire maniaque – comme moi, c’est le paradis. En plus, j’adore le saké et j’ai pratiqué des arts martiaux. C’est aussi un pays où je pourrais vivre.»

L’objet préféré de Henry Leutwyler, lui-même amoureux fou du Japon: un uniforme d’infirmière de la Croix-Rouge japonaise de la Seconde Guerre mondiale

C’est l’objet préféré de Henry Leutwyler, lui-même amoureux fou du Japon: un uniforme d’infirmière de la Croix-Rouge japonaise de la Seconde Guerre mondiale. Signalons le choix de l’artiste de photographier l’objet dans son papier de protection pour créer un bonus d’émotion.

Henry Leutwyler

A Vevey en septembre


En septembre, il sera possible de rencontrer cet homme volubile et chaleureux au Musée suisse de l’appareil photographique (cameramuseum.ch). Il y présentera la quintessence de son travail sur les archives du grand portraitiste américain Philippe Halsman, l’auteur de la célébrissime photo de Salvador Dalí avec chats volants et projections d’eau.

>> Deux expos en Suisse: «Humanity» jusqu’au 5 août 2024 sur le quai Wilson à Genève, puis, parallèlement à la biennale Images Vevey (du 7 au 29 septembre 2024), exposition «Philippe Halsman. A Photographer’s Life» au Musée de l’appareil photographique de Vevey, du 7 septembre 2024 au 19 janvier 2025.

Par Philippe Clot publié le 30 juillet 2024 - 11:09