- Comment expliquer ce retour à la chanson pour adultes, cinquante ans après votre participation à l’Eurovision et après quarante-cinq ans de triomphe auprès du jeune public?
- Henri Dès: De mars à novembre 2019, je me suis réveillé tous les matins à 4 h pour fixer des idées de texte sur mon iPhone avec l’application Notes. Ensuite, je faisais une maquette musicale, toujours avec mon iPhone, avec l’application Dictaphone. C’était presque une sorte d’urgence. Et le 27 novembre 2019, j’ai eu cette crise cardiaque dont je serais mort si ma compagne Nathaly n’avait pas été avec moi ce soir-là. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y avait un côté prémonitoire dans ce sentiment d’urgence, dans ce besoin d’écrire des chansons personnelles.
- Et comme vous avez survécu à cet accident cardiaque, vous avez pu passer à l’étape suivante: l’enregistrement en studio.
- Oui, même si je pensais d’abord donner ces chansons à mon fils Pierrick. Mais il m’a encouragé à surmonter mes réticences et à les chanter moi-même: «Fais-le pour ton plaisir et pour garder une trace», me disait-il. Alors je suis allé dans un studio avec deux bons musiciens, le guitariste de Bastian Baker, Joris Amann, et le contrebassiste Fabien Iannone. A la sortie du studio, j’ai trouvé que ça méritait d’aller plus loin qu’une simple «trace». J’ai donc décidé d’en faire un album, et de l’intituler Autrement. Et, dans le fond, ce public d’adultes sera sans doute en partie composé d’anciens enfants qui m’écoutaient il y a vingt ou quarante ans.
- Pourquoi étiez-vous d’abord réticent à l’idée de chanter vous-même ces chansons?
- Justement parce que je me trouvais trop catégorisé chanteur pour enfants. Cela me semblait presque être un contre-emploi de changer de public après tant d’années, de chanter des chansons sur des thèmes que les enfants ne peuvent pas comprendre, comme le burn-out, par exemple. Et ce sont deux méthodes d’inspiration complètement différentes. Les chansons pour les enfants sont nourries par des observations. Ce nouvel album, c’est mon puits de vie qui en a fourni la matière première.
- Qui sont les gens qui vous ont inspiré certaines de ces chansons?
- Pour Seule avec ses chats, par exemple, cette histoire d’une femme qui a connu passablement de déboires amoureux, c’est ma compagne Nathaly. Pour Le Café des amis, c’est le copain qui, il y a soixante ans, m’avait présenté à ma femme Mary-Josée, décédée il y a quatre ans. Avec cet ami, nous nous téléphonons tous les dimanches matin depuis que nous sommes veufs, pour parler de la pluie et du beau temps.
- Une chanson est-elle clairement autobiographique?
- Pour beurrer mes tartines, peut-être. Il s’agit d’un glandeur, d’un gars qui n’a même pas l’énergie de beurrer ses tartines lui-même et qui cherche une copine pour le faire à sa place. Cela pourrait être moi. J'ai fait écouter cette chanson à quelqu'un à Paris, mais cette personne m'a déconseillé de la sortir, en m'avertissant que j’aurais les féministes sur le dos. Mais je ne fais pas l’apologie de ce genre de personnage, je dis seulement que des types comme ça, ça existe, c’est tout.
- Le monde actuel est-il plus piqueté d’interdits qu’à vos débuts, dans les années 1960-1970?
- Ah oui, c’est certain! Et c’est agaçant! On n’ose plus utiliser les mots «nain», «aveugle», «sourd», «vieux». Et «con», ça reste un con, ou bien faut-il utiliser un terme plus convenable?
- Sur le plan de la musique, on retrouve dans ce disque l’efficacité volontairement minimaliste du Henri Dès chanteur pour enfants.
- Disons que, pour moi, une chanson, c’est le mariage des mots avec une mélodie. Une chanson sans mélodie ne peut pas se transmettre d’une personne à une autre, donc je ne la trouverais pas réussie. J’ai heureusement le sens de la mélodie. C’est pour cela que certaines de mes chansons se font durablement une place dans la tête des auditeurs.
- Et chanter de nouveau pour des adultes, c’est un défi?
- C’était un défi déjà physiologique: j’avais déjà perdu ma voix après ma crise cardiaque, en raison de l’intubation. Je n’avais plus le moindre filet de voix. J’ai fait des exercices vocaux et je l’ai récupérée. Mais le plus gros souci, c’est que si je partais en tournée pour un public adulte, beaucoup de gens ne comprendraient pas, ou ne voudraient pas comprendre qu’il fallait laisser les enfants à la maison. Je dois trouver une formulation subtile sur l’affiche pour éviter cela. Car j’avoue que cela me titille, une série de concerts avec ces nouvelles chansons. Mais il faudrait encore que j’aie un répertoire plus vaste que ces 12 chansons. Et c’est en fait le cas, car j’ai déjà enregistré un deuxième album pour les grands! Celui-là sortira l’année prochaine, j’espère avant ma prochaine crise cardiaque, celle qui risque d’être mortelle.
- Elle apprécie ce genre de remarque cynique, votre compagne Nathaly, elle qui vous a sauvé la vie il y a deux ans?
- Elle a l’habitude…
>> «Autrement» est disponible en CD, en vinyle et sous forme numérique sur Spotify et sur les autres grandes plateformes de musique en ligne.