Couilles sensibles, ne surtout pas s’abstenir! Voilà un slogan que Joseph Barnes aurait pu utiliser pour promouvoir son podcast peu conventionnel sous forme de thérapie par le rire. Le pilote mordant de son projet audio a été diffusé en juillet dernier, quelques semaines après que le Neuchâtelois de 40 ans a été confronté à un diagnostic bouleversant tombé au début de l’été: une tumeur à l’un de ses testicules. Il fait partie des 470 cas déclarés par an en Suisse, dont 80% sont de jeunes hommes.
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Après une IRM, il apprend que des cellules cancéreuses ont aussi migré sur sa colonne vertébrale et dans ses poumons. Alors qu’il entame rapidement une chimiothérapie après une opération d’urgence, les vannes fusent dans son esprit. Un peu comme un mécanisme de défense. «Le rire fortifie», résume-t-il sur ses réseaux sociaux, en reprenant la campagne de promotion actuelle d’une assurance. Il faut préciser que l’humour noir est une seconde nature pour Joey, son surnom dans toute la ville. Grand amateur du stand-up anglophone depuis qu’il a eu accès, ado, aux chaînes câblées, il dévore aujourd’hui en boucle les vannes ciselées – et mortelles – de Daniel Sloss, petit génie écossais du cynisme.
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Affiches Joke
C’est donc assez instinctivement que Joseph Barnes a le réflexe du sarcasme quand il apprend qu’il a cette maladie. «Je faisais plier de rire mes potes en leur racontant ma situation», confie-t-il sur une terrasse à Neuchâtel. Lors de notre rencontre, le quadragénaire fait presque dix ans de moins. Avec sa casquette, il a un look de skateur.
A l’aube de son troisième cycle de soins, il nous avoue tout de même être peu touché par les effets secondaires. «Je suis chanceux. Pour le moment, je n’ai eu qu’un léger goût métallique et quelques acidités dans l’estomac», décrit-il. Derrière sa barbe, il a le teint hâlé qu’il a conservé des beaux jours de juin, lorsqu’il allait se poser au bord du lac, encore insouciant. Aujourd’hui, le soleil, il doit l’éviter. Par contre, il ne se prive pas d’une bière estivale. Il a le feu vert de son médecin.
Mais revenons à son super-pouvoir comique au cœur d’un trauma. Cet ancien animateur de la radio Canal 3, à Bienne, décide de le partager avec le plus grand nombre. Enregistrer un podcast décapant, c’est une envie qui dure depuis longtemps. Avec son cancer, la thématique s’impose. Et il ne voit nul autre qu’Andreas Enehaug, son ancien camarade norvégien de la MetFilm School à Londres, pour coanimer Having a Ball, un titre à lire au sens propre et figuré.
«Personne ne me fait autant marrer que lui. On ne s’est pas vus depuis douze ans, la fin de nos études de cinéma, mais on a toujours déconné ensemble sans aucun filtre!» «On est d’accord que, sans ta tumeur, ce podcast aurait été assez chiant?» balance d’entrée de jeu son comparse au micro avec dérision. Le ton est donné.
J.Barnes_Having a Ball_
La conversation aura lieu en anglais, l’une des langues maternelles de Joey. Son père est Canadien. «Perfect», se disent-ils, puisque c’est un moyen de toucher encore plus de gens. Ils ajoutent à leur émission un aspect prévention pour inciter les hommes à se faire contrôler les parties génitales. Ecouté déjà plus de 3800 fois avec 1200 commentaires sur Reddit, le premier épisode s’intitule The Humor in the Tumor. Les deux amis n’hésitent pas à aborder tous les moments, même les plus intimes. Joseph Barnes revient par exemple sur la réaction décalée de son chirurgien. «J’en ai fauché, des testicules, mais normalement ça se passe bien», lâche le spécialiste, qui a flairé l’esprit potache de son patient.
Affiches Joke
A l’heure de la publication de cet article, le septième épisode va sortir et d’autres sont en cours de production. Pour ceux qui peinent avec la langue de Shakespeare, les vidéos tournées lors de l’enregistrement sont sous-titrées en français sur YouTube. Joseph Barnes se livre de bout en bout. Il décrit comment tout a commencé: un mal de dos inhabituel avant de remarquer un testicule enflé.
Quelques jours plus tard, il est sur la table d’opération: ablation et pose d’une prothèse. Toujours à l’affût d’un gag, Andreas et lui listent «les hommes à une bourse» qui ont fait de grandes carrières. «Hitler!» commence le Norvégien. «Napoléon, ou le rappeur Tupac, enfin... Onepac», renchérit le Romand, taquin. Ils délirent, osent des jeux de mots cocasses et des clins d’œil de séries TV: «Joey’s Anatomy, at 8 pm on NBC», imitent-ils.
C’est drôle, mais parfois difficile à traduire sans casser les intentions. Au chômage, Joseph Barnes s’affiche dorénavant comme le CEO de son cancer, revisitant le slogan de Barack Obama à sa sauce: «Yes I cancer… euh... I can, sir!» Bref, vous l’aurez compris, la maladie est racontée comme vous ne l’avez jamais entendue. Les métaphores, parfois «malaisantes», ricochent pour celles et ceux qui osent être hilares.
Après, même si l’écriture est parfois sombre, elle est toujours entourée d’une atmosphère «amusante». Leurs éclats de rire contagieux permettent aux auditeurs d’appréhender l’épreuve douloureuse de Joseph, le sourire aux lèvres. Comme lorsqu’il décrit les rendez-vous familiaux avant ses dons de sperme. «Mes parents et mon grand frère ont décidé de venir à Lausanne pour me tenir compagnie. Quand je suis revenu de ma petite affaire, ils n’étaient pas avares de blagues», sourit le cadet des Barnes.
Après le choc, ses amis ont eux aussi été inspirés par le côté facétieux qui donne du courage à Joey. Certains ont réalisé des affiches du septième art bourrées de références à son testicule perdu. Ou alors mettant en scène Philippe, son intraveineuse qui ne le quitte pas durant ses cycles de chimiothérapie. «On est inséparables! On joue ensemble à la pétanque. Je gagne tout le temps! Et on fait de petits films à l’hôpital», s’en amuse le cinéaste primé au Festival de courgemétrage de Neuchâtel.
Pour partager ses aventures et éviter de se répéter, le podcasteur a créé un groupe WhatsApp avec 80 de ses proches. Il l’a nommé avec son dark humor chronique «Le voyage de Chihimio», référence au chef-d’œuvre Le voyage de Chihiro, de Hayao Miyazaki. «Très rapidement, ce canal d’information a glissé en une série de jokes», avoue-t-il. Quelques réactions ont été un peu déplacées à son goût, comme lorsqu’on lui demande son pronostic de survie, mais sinon il reste très bon public.
En on, il impose par contre à son partenaire une petite censure. «Ris librement de moi, mais je ne veux pas qu’on fasse trop de vannes sur les autres patients et sur le personnel hospitalier», précise-t-il en mentionnant le travail appliqué du corps médical depuis sa prise en charge. Quelques jours plus tard, lors de notre deuxième rencontre, le masque du second degré tombe un instant. Soupir de soulagement. Il vient d’apprendre que le traitement donnait de bons résultats. Un sourire un peu différent se dessine sur ses lèvres.
«Joey, es-tu parfois épuisé de faire encore le rigolo de la bande alors que tu te bats contre un cancer?» Il réfléchit. Silence. «Si vraiment je n’ai pas envie de rire de tout ça, je n’ai qu’à poser mon téléphone.» Mais, vous l’aurez compris, sa nature de bon vivant reprend automatiquement le dessus. Dans Having a Ball, la mort est souvent abordée en filigrane, mais l’optimisme de Joseph Barnes lui fait un bras d’honneur.