En annonçant publiquement vouloir renoncer à leur statut de «royal senior», qui les fige dans la figuration, et devenir «financièrement indépendants», le prince Harry et son épouse Meghan auraient surpris la Firme, comme la famille royale britannique aime à se surnommer. Depuis l’aveu télévisé, fin octobre, du profond mal-être de la duchesse de Sussex, chacun se doutait pourtant bien que l’atmosphère au château n’était pas à l’apaisement, mais outre-Manche, les correspondants royaux préfèrent aujourd’hui feindre la consternation et dépeindre un prince Harry «sous influence».
Tout est dans le terme «Megxit», privilégié par la presse. Si Harry peinait à démontrer aux Windsor le traitement de choc réservé à son épouse, il a été servi!
L’état de grâce qui avait entouré son mariage, le 19 mai 2018, avec Meghan Markle, actrice américaine, métisse et divorcée, n’aura été qu’un feu de paille. Dans l’univers feutré de la cour, où le simple fait de fermer soi-même la portière de sa voiture suffit à déclencher une polémique (!), Meghan n’a pas eu voix au chapitre. S’appuyant sur des témoignages toujours anonymes, la presse tabloïd s’est empressée de la présenter comme une sanguine, sans égard ni pour le sacro-saint protocole, ni pour le petit personnel…
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Elle qui avait renoncé à sa carrière pour suivre son prince a rapidement compris qu’elle ne s’épanouirait jamais dans ce nouveau rôle de figurante royale et muette. Avait-elle la moindre chance de faire évoluer l’institution? Si le prince Harry a dû le croire, au début, il a vite déchanté. En faisant aujourd’hui exploser un modèle séculaire – celui de la place de la femme dans la royauté – Meghan ne se sera au moins pas déplacée pour rien.
Elle a aussi redonné confiance à son époux. Marginalisé dès la naissance et désormais 6e dans l’ordre de succession, celui dont on disait, petit, qu’il était le portrait craché du major Hewitt (!) a toujours cherché sa place. Diana, sa défunte mère adorée, comme Charles, son père, se sont efforcés de ne faire aucune différence entre William et lui. Cela n’empêchera pas «the heir and the spare», autrement dit l’héritier et le numéro complémentaire, de se retrouver dos à dos. Un pour l’exemple, l’autre pour amuser la galerie. Et bien que l’on dise que la reine a un faible pour le cadet, c’est bien la photo de ce dernier qu’Elisabeth II a débarrassée de son bureau…
Durant ses vingt mois à Londres, Meghan aura eu le temps de mesurer la popularité de son mari. Publié l’an dernier, un sondage YouGov sur la famille royale accordait au prince rebelle 67% d’opinions favorables, soit à peine moins que la reine (72%), mais plus que tous les autres.
En l’épousant, Meghan Markle lui a offert l’Amérique et, au-delà, une porte de sortie. «Meghan n’est pas arrivée avec sa dot, mais avec un million d’abonnés sur Instagram», relève le biographe Andrew Morton. Comme dans une sorte de conte de fées inversé, Meghan a réalisé que le rêve de son prince était de devenir un crapaud ou plutôt Harry, rien que Harry. Leur compte Instagram, sussexroyal, a déjà fidélisé 10,6 millions d’abonnés: un socle solide pour bâtir une vie nouvelle.
Fin décembre, convaincus qu’il n’y aurait désormais de salut possible que dans la fuite, Meghan et Harry, représentés par le prestigieux cabinet d’avocats Harbottle & Lewis, ont soumis à l’Office britannique de la propriété intellectuelle une demande visant à faire de «Sussex Royal» une marque déposée! Ce qu’ils réclament? Le droit d’exploiter leur image. De quoi devenir «financièrement indépendants», comme ils l’écrivent dans leur déclaration, eux qui, selon le magazine Forbes, sont déjà à la tête d’une fortune personnelle de 45 millions de dollars.
Les observateurs estiment toutefois que le couple princier a largement sous-estimé le défi et le coût que représentera leur sécurité. Lors des vacances de Noël, la petite famille s’est d’ailleurs vu refuser l’accès au Deep Cove Chalet, un restaurant français situé à North Saanich, dans la province de Vancouver. Tout en se disant désolés, les propriétaires, Pierre et Bev Koffel, ont souligné que leur établissement ne pouvait garantir une sécurité maximale pour de tels convives. Ça promet.
Nommés ambassadeurs de la jeunesse du Commonwealth, dont le Canada fait partie, les Sussex souhaiteraient conserver ce rôle et ils envisageraient de s’installer à Vancouver, où Meghan s’est empressée de rejoindre Archie, resté avec sa nounou, jeudi dernier.
Harry, c’est sûr, ne reviendra pas sur sa décision qui, pour certains, sonne comme une abdication, un terme qui, outre-Manche, fait frémir même les armures. On se souvient en effet qu’en 1936, une autre Américaine, deux fois divorcée, avait fait vaciller la Couronne. Wallis Simpson, comme Meghan Markle aujourd’hui, avait 34 ans. A l’époque, fou amoureux et prisonnier de son rôle de chef de l’Eglise anglicane, le nouveau roi Edouard VIII avait été contraint d’abdiquer au profit de son frère cadet, George VI, arrière-grand-père du prince Harry, pour pouvoir épouser l’élue de son cœur.
Un peu plus tôt, en 1919, une autre femme avait, elle, choisi de renoncer à son statut princier pour devenir une simple «Dame». Il s’agit de la princesse Patricia de Connaught, fille du troisième fils de la reine Victoria, qui fut un temps pressentie comme future tsarine de Russie et choisit d’écouter son cœur pour épouser Alexander Ramsay, un riche roturier. Privée de ses titres, elle devint Lady Patricia pour le restant de ses jours.
Aujourd’hui, les partisans les plus optimistes de la monarchie britannique estiment qu’en prenant ses distances, le prince Harry va rendre service à l’institution, désormais resserrée autour d’une famille royale réduite. Figure unanimement respectée au Royaume-Uni, la reine Elisabeth II devrait en effet parvenir à cimenter l’édifice, mais qu’en sera-t-il lorsque le prince Charles, devenu Charles III, accédera au trône?