«Ça me donne envie de venir te taquiner, ou de venir te harceler»: ce sont des courriels de cet acabit adressés à la conseillère nationale Léonore Porchet qui ont valu à leur auteur une condamnation par le Ministère public de la Confédération pour… utilisation abusive d’une installation de télécommunication. «Une disposition qui fleure bon les années quarante», avait commenté la Verte au micro de la RTS, avant de critiquer l’absence de disposition spécifique ainsi que la difficulté de se faire prendre au sérieux lorsque l’on souhaite dénoncer de tels agissements.
Comme le relève la Prévention suisse de la criminalité (PSC), le harcèlement obsessionnel, aussi appelé «stalking» («traque» en français), est peu étudié en Suisse. Le service intercantonal indique néanmoins que, dans le cadre d’une étude menée à Mannheim, 12% des sondés déclarent avoir déjà été confrontés à un «stalker». Si l’on retrouve une majorité de femmes parmi les victimes, les hommes ne sont pas épargnés. R., un quasi-trentenaire, en a fait la désagréable expérience.
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Au début, ce sont des messages Facebook qu’il reçoit d’une jeune femme qu’il ne connaît que de vue. Rapidement, il ressent un malaise face à leur récurrence et à leur étrangeté. Celle qui agit comme s’ils étaient proches alterne en effet séduction, agressivité et propos absurdes. Lorsqu’il se confie à ses amis, on minimise les faits ou on plaisante sur son charme ravageur. On lui rappelle à cette occasion qu’il est un homme, partant qu’il est apte à se défendre si les choses devaient déraper. Et c’est ce qui va arriver. La jeune femme, qui continue à écrire à R., commence également à prendre à partie sa petite amie sur les réseaux sociaux, à contacter ses amis (elle enverra un message obscène à l’un d’eux) ou encore à ajouter ses collègues de travail sur LinkedIn et Instagram.
A une occasion, elle ira jusqu’à prendre R. en filature dans la rue. Lorsque ce dernier la confronte, elle multiplie les explications délirantes quant à son comportement. Bien entendu, rien ne justifie ce qu’elle fait subir au jeune homme. «Je crois qu’elle aimait savoir qu’elle me faisait peur», conclut-il. C’est ce sentiment de plus en plus présent, partagé désormais par ses amis, qui amène finalement R. à pousser la porte d’un commissariat. Il déchante lorsqu’il constate qu’on ne le prend pas au sérieux, malgré les nombreuses captures d’écran qu’il fournit pour corroborer ses dires. L’officier décide néanmoins de téléphoner à la jeune femme «pour avoir sa version». Cette dernière affirme alors avec aplomb que c’est en réalité elle qui se sent menacée. Agacé, l’agent intime alors l’ordre à R. de «régler avec elle ces enfantillages». A partir de là, la jeune femme cesse de contacter R.
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Dans le cas de R., les faits se sont étalés sur quelques mois, mais certaines affaires durent des années et plongent les victimes dans un cauchemar qui semble sans fin. A Genève, une cyberharceleuse obsessionnelle a été condamnée en novembre 2021 à 12 mois de prison et 30 jours-amendes avec sursis par le Tribunal de police. Une affaire «hors norme» de l’avis même de la juge.
Durant plusieurs années, la jeune femme, qui a notamment été reconnue coupable de calomnie, injure, menace et induction de la justice en erreur, a envoyé des centaines d’e-mails, de messages et de commentaires à un ex et sa nouvelle amie ainsi qu’à ses enseignants. Concernant les premiers, le tribunal a estimé qu’elle avait agi «de manière obsessionnelle, par méchanceté et dans un esprit de vengeance». La jeune femme, qui nie presque tous les faits, a fait appel de sa condamnation.
Actuellement, le droit suisse ne réprime pas expressément le harcèlement obsessionnel ni sa variante «cyber». Un vide juridique qui oblige les victimes de tels comportements souhaitant porter plainte à «rattacher» les faits subis à une disposition légale existante, comme dans l’affaire de Genève ou celle de la conseillère nationale Porchet.
Pour l’avocate pénaliste Miriam Mazou, cette absence d’infraction spécifique constitue un vrai problème: «Si l’on n’envoie pas un message clair en qualifiant expressément certains agissements comme étant du (cyber)harcèlement, on prend le risque d’une minimisation ou d’un sentiment d’impunité pour les auteurs, ainsi que celui d’un manque de protection du côté des victimes, puisque ces dernières n’ont pas toujours conscience que ce qu’elles subissent peut tomber sous le coup d’une norme pénale.» Pour l’avocate lausannoise, une telle clarification permettrait en outre une meilleure prise en charge par la police, parfois insuffisamment informée sur ces questions.
Si notre Code pénal semble donc à la traîne, les choses pourraient bientôt changer. En effet, un postulat chargeant le Conseil fédéral de présenter les différentes possibilités de compléter le Code pénal afin de punir le cyberharcèlement et la violence numérique a été déposé en juin 2021. Si elle se réjouit de cette avancée, Miriam Mazou plaide également pour l’introduction d’une disposition réprimant expressément le harcèlement, même lorsque celui-ci ne se passe pas sur internet: «Cette réalité mérite également une disposition légale spécifique.»
Harcèlement obsessionnel: de quoi parle-t-on?
Si le droit pénal suisse ne connaît pas (encore) le harcèlement et le cyberharcèlement en tant qu’infractions à part entière, ces agissements peuvent être définis de la manière suivante:
Harcèlement: le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, d’adopter, à plusieurs reprises, un comportement menaçant dirigé envers une autre personne, conduisant celle-ci à craindre pour sa sécurité (art. 34 de la Convention d’Istanbul).
Cyberharcèlement: actes de harcèlement utilisant des moyens de communication électroniques tels que courriels, réseaux sociaux ou certaines applications (rapport de l’Office fédéral de la justice du 12 avril 2019 sur la question de la codification de l’infraction de «harcèlement»).
Le délire érotomane, un trouble qui touche majoritairement les femmes
De tels comportements peuvent être induits par ce que la psychiatrie appelle le délire érotomane. «Ce sont majoritairement les femmes qui souffrent de ce trouble», note la psychiatre Inès Danville Sappino. Tout commence par une phase d’espoir, où la moindre interaction va être interprétée de manière favorable, et ce, même en l’absence de relation préalable. La personne atteinte, qui se trouve dans un registre délirant, est alors persuadée que l’«amour» qu’elle ressent est partagé. Lorsque l’autre ne va pas dans le sens souhaité, on entre alors dans une phase dite de dépit, où les comportements agressifs et menaçants commencent. Ces derniers peuvent enfin se transformer en véritable rage et mener à des actes violents ou désespérés.
Pourquoi contacter la police?
Dans une majorité de cas, les auteurs laissent leur victime tranquille à partir du moment où les autorités interviennent. Il est donc conseillé de surmonter la crainte d’une escalade et de dénoncer
un «stalker».
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