1. Home
  2. Actu
  3. Grégoire Junod: «A Lausanne, nous ne construisons pas pour la gloriole»
Lausanne en mutation

Grégoire Junod: «A Lausanne, nous ne construisons pas pour la gloriole»

Le syndic de Lausanne dirige depuis six ans une ville qui n’avait pas connu de tels bouleversements depuis longtemps. Il s’exprime sur ces transformations, sa vision de Lausanne et les relations parfois tendues de la capitale avec le reste du canton.

Partager

Conserver

Partager cet article

Grégoire Junod

Le syndic de Lausanne, Grégoire Junod, ici sur son vélo électrique, est, de son propre aveu, l’un des derniers de la municipalité à posséder encore une voiture.

Olivier Vogelsang
carré blanc
Yelmarc Roulet

Le socialiste Grégoire Junod, 46 ans, a été élu syndic de Lausanne en 2016, succédant au Vert Daniel Brélaz. Il a été réélu tacitement il y a un an pour un second mandat. Avec deux tiers des élus au parlement communal et six fauteuils sur sept à l’exécutif, la majorité rose-rouge-verte qu’il dirige exerce son règne quasiment hégémonique sur une capitale vaudoise en pleine transformation.

- Gare, Grand-Pont, tram, nouveaux quartiers: Lausanne est un gigantesque chantier. Est-ce l’image que vous vouliez donner de votre syndicature?
- Grégoire Junod: Une ville en travaux est une ville dont on prend soin, qu’on modernise. C’est paradoxal, car les nuisances sont réelles, mais tous ces projets déboucheront sur une meilleure qualité de vie.

- Aux Plaines-du-Loup ou aux Prés-de-Vidy, des villes dans la ville verront le jour. Qui en seront les nouveaux habitants?
- Une ville en croissance est d’abord une réponse aux enjeux démographiques. On ne construit pas pour la gloriole d’avoir la ville la plus grande possible. Après un petit creux en 2020, la croissance de la population reprend en 2021. Mais construire en ville est aussi une partie de la solution à la crise climatique. La ville est le lieu où l’on émet le plus de CO2, où le réchauffement se pose de la manière la plus aiguë. En la densifiant intelligemment et en construisant des écoquartiers, on limite l’étalement urbain et on préserve la biodiversité. Ces nouveaux quartiers seront aussi des modèles de mixité: un tiers de logements subventionnés, un tiers de logements à loyer abordable et un tiers de logements sur le marché libre, dont une part de PPE.

- Il y a aussi les Lausannois qui partent. La droite dénonce l’exode de ceux qui créent la richesse à Lausanne mais n’y vivent plus, les commerçants, artisans, chefs d’entreprise…
- Ce tableau est volontairement caricatural et, surtout, il n’est pas confirmé par les chiffres. Notre substance fiscale ne se détériore pas, elle est stable dans la durée. Il y a, c’est vrai, une demande pour plus de PPE en ville. Nous allons y répondre en en construisant davantage, sans remettre en cause la politique des trois tiers.

- Pistes cyclables, 30 km/h, «rues vivantes» réservées aux piétons: votre politique favorise la qualité de vie des habitants. «Lausanne aux Lausannois», c’est le slogan?
- C’était déjà le slogan de la liste rose-rouge-verte qui a pris la majorité en 1989, nous sommes donc dans la continuité! A la campagne, tout le monde admet les gendarmes couchés pour tranquilliser le cœur des villages. La population urbaine n’aspire pas à autre chose. Nous restons attentifs aux tensions réelles que les questions de mobilité génèrent.

- Dans une interview de campagne électorale, le tout nouveau conseiller d’Etat PLR Frédéric Borloz regrettait que Lausanne, repliée sur elle-même, ne soit plus perçue comme la capitale par les autres Vaudois. Que lui répondez-vous?
- Je n’y crois pas du tout! Aujourd’hui, tous les grands projets lausannois sont largement soutenus, parfois même initiés, par le canton. Nous en sommes très reconnaissants. Un canton fort doit pouvoir s’appuyer sur une capitale forte. Pour en revenir à la mobilité, nous ne «vendons» pas une ville sans voitures, mais avec moins de voitures.

- Justement, les voitures à essence devront disparaître d’ici à 2030. C’est demain, comment faire concrètement? Et la chasse aux SUV?
- Une ville n’a pas de compétences aujourd’hui pour interdire les voitures à essence. Si nous avons posé cet objectif dans notre Plan climat, c’est pour montrer sincèrement ce qu’impliquait le respect des Accords de Paris. En ville, la mobilité représente 20% des émissions de CO2, contre 60% pour le chauffage et 20% pour le traitement des déchets. Diminuer ces émissions à zéro implique de renoncer à l’essence comme au mazout. C’est vrai pour Lausanne comme pour la Suisse entière. Quant à l’interdiction des SUV, c’est une proposition qui émane du Conseil communal.

- Est-ce pour répondre à la jeune génération écologiste, très remuante, que vous avez lancé le Plan climat?
- Le Plan climat est issu au départ d’une demande du Conseil communal et de la volonté de la municipalité d’apporter une réponse sérieuse aux enjeux actuels, qui concernent il est vrai beaucoup les nouvelles générations. Mais je revendique une ville qui se développe, je ne prône pas un modèle de décroissance.

- Offrir aux habitants une vie en ville avec le calme de la campagne, n’est-ce pas une ambition limitée pour une capitale cantonale?
- Améliorer la qualité de vie, c’est se donner les moyens de créer une ville attractive! Regardez toutes les nouvelles terrasses, le marché du samedi, les nombreuses manifestations sportives et culturelles de qualité, le développement économique autour des hautes écoles: je ne perçois pas le moindre essoufflement de ces belles énergies.

- La fiscalité est élevée, le recours aux taxes fréquent. Pourtant, la révolte ne gronde pas et la droite clame dans le désert. C’est ça, une ville bobo?
- C’est surtout le fait d’une population attachée à des prestations de qualité et sans doute consciente qu’une baisse d’un point d’impôt, par exemple, ne diminuerait la facture des ménages que de 0,4%… Même si les comptes de la ville sont proches de l’équilibre depuis dix ans et que la dette nette diminue régulièrement (un peu moins de 2 milliards pour 1,83 milliard de charges annuelles, ndlr), n’oublions pas que notre situation financière demeure fragile.

- La gauche lausannoise est aux affaires depuis trente ans, toujours plus hégémonique. Au fond, vous n’avez jamais à vous battre pour faire passer un projet…
- C’est certain que les choses sont plus faciles avec une majorité, mais j’essaie d’être le syndic de toutes et tous. La majorité est aussi bien plus diverse que ne le laisse croire le rapport de force à six contre un en place à l’exécutif. Sur les questions de densification, de sécurité ou de deal de rue, par exemple, les partis de la majorité ne sont pas tous d’accord. J’en ai fait l’expérience lorsque j’étais directeur de la Police. Aujourd’hui, la municipalité fonctionne bien, avec une vision largement partagée du développement de la ville.

- La droite se plaint que ses propositions soient systématiquement écartées. La petite ceinture, est-ce une si mauvaise idée?
- Les vraies divergences gauche/droite touchent trois domaines aujourd’hui: le rôle d’investisseur immobilier de la ville, auquel je tiens beaucoup, la politique fiscale et la mobilité. La proposition que vous citez vise à créer un centre-ville totalement piétonnier et à laisser les voitures circuler sans contrainte ailleurs. On nous vend un cœur de ville de carte postale et on sacrifie au passage le reste de la ville et tous les quartiers d’habitation.

- La droite vaudoise a gagné les élections cantonales grâce à sa nouvelle alliance. Voyez-vous un risque pour votre majorité qu’il en aille de même à Lausanne?
- Rien n’est gravé dans le marbre et il y a des hauts et des bas en politique. En 2000, nous n’avions sauvé notre majorité que d’un poil… Cela dit, les élections cantonales de ce printemps n’ont montré aucun effritement de la gauche à Lausanne: la liste PS-Verts pour le Conseil d’Etat a obtenu 62% des voix au second tour.

- La politique culturelle est le privilège des villes. Vous siégez dans les conseils de quatre grandes fondations: le Béjart Ballet Lausanne (BBL), l’Opéra de Lausanne, l’Orchestre de chambre (OCL) et le Théâtre de Vidy. Or les deux premières font les gros titres pour de mauvaises raisons, à savoir les comportements abusifs ou autoritaires de leurs directeurs. Quelle est l’utilité de votre présence dans ces instances?
- C’est l’éternel débat. A bien des égards, ce serait plus confortable de ne pas en être. Je pense plutôt qu’il incombe aux élus de s’impliquer, comme courroie de transmission, dans ces institutions privées mais largement subventionnées. Cette présence ne prémunit pas contre les crises. Au BBL, le conseil de fondation a pris ses responsabilités quand le problème est apparu. L’affaire de l’opéra n’a rien de comparable; elle me semble d’une bien moindre ampleur.

- Qu’est-ce qui vous rend fier d’être syndic de Lausanne?
- C’est la ville idéale! Elle reste à l’échelle humaine tout en ayant une dimension internationale marquée avec les organisations sportives et les hautes écoles. Elle connaît une belle dynamique de projet dans plein de domaines. La réalisation des Plaines-du-Loup me motive énormément, j’ai la conviction que ce sera une réussite novatrice sur le plan de l’urbanisme et de la diversité sociale. La transformation des places de la Riponne et du Tunnel, dès 2024, sera un autre grand défi pour Lausanne.

>> Découvrez notre dossier: Lausanne au temps de la grande mutation

Par Yelmarc Roulet publié le 30 juin 2022 - 08:41