Granit Xhaka, du pire au meilleur

On l’admire ou il agace. Granit Xhaka ne laisse personne indifférent. L’été dernier, le milieu défensif formé au FC Bâle, recordman du nombre de sélections avec la Suisse, quitte Arsenal pour le Bayer 04 Leverkusen. Montant du transfert? Vingt-cinq millions d’euros. Investissement payant pour le club de la firme pharmaceutique Bayer, qui décroche son premier titre de champion en cent vingt ans d’existence, avec la manière. Seul bémol: la finale perdue de l’Europa League. Accablé pour sa piètre prestation, le gaucher suisse rectifie le tir en signant l’unique (et superbe) but de la finale de la Coupe d’Allemagne trois jours plus tard. 

Ancien footballeur pro passé par Xamax, Servette, Lugano et Lucerne, international suisse à 19 reprises – il a disputé l’Euro 1996 –, l’entraîneur jurassien Régis Rothenbühler, 53 ans, est chargé de la promotion et de la relève (Foot-eco), ainsi que du département des équipes nationales au sein de l’ASF. Granit Xhaka? Un cas d’école. «J’ai conservé un article où il s’exprime à 14 ans. Je le montre souvent aux entraîneurs dont je me charge, pour qu’ils se gardent de tout jugement hâtif. Jugé «chétif et petit», Granit Xhaka en a été victime. Selon son entraîneur d’alors, il n’a aucun avenir dans le foot... Ensuite il se blesse gravement et revient après huit mois d’efforts. Le même coach l’enfonce: «Ton niveau est honteux. Pourquoi tu t’entêtes?» Ce gars-là aurait dû être privé de son diplôme!» Fort de caractère, soutenu par sa famille, Granit Xhaka saura s’imposer. 

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Xhaka, le provocateur

C’est le geste qu’on aurait préféré ne jamais voir, pour jouir pleinement de la victoire de la Suisse 2-1 contre la Serbie, le 22 juin 2018, lors du Mondial russe. Mimant des mains l’aigle à deux têtes albanais, Xhaka d’abord, seul, défie la tribune serbe. Il récidivera en fin de match, rejoint par Shaqiri (et Lichtsteiner). La FIFA leur infligera 10'000 francs d’amende chacun. «Je suis convaincu que, sur le moment, Xhaka n’a pas réalisé l’impact de son geste, qui fait écho à une histoire douloureuse», relève Régis Rothenbühler. Hélas, la Suisse et la Serbie se retrouvent face à face lors du Mondial au Qatar. Remontés comme des coucous, Xhaka et Shaqiri allument le public serbe après une victoire à l’arraché 2-3, en se tenant l’entrejambe.

«Avant le match, la FIFA a dû intervenir pour calmer la Serbie, se souvient Régis Rothenbühler. Ensuite, les joueurs serbes n’ont cessé de provoquer Shaqiri et Xhaka.» Soit, mais qu’espéraient-ils? De la courtoisie? Une figure féministe kosovare, Zana Avdiu, condamne aussitôt le machisme déplacé de la gestuelle et dénonce «un acte de racaille, honteux», ce qui fait bondir Ragip Xhaka, le père de Granit, qui intervient lors d’un talk-show de la chaîne sportive kosovare T7: «Faites attention à ce que vous dites contre notre famille», lance-t-il à la jeune femme. L’intimidation, façon Kanun. La malheureuse se prendra un torrent d’insultes et de menaces.

Xhaka, l’agressif

Le foot est un sport de contacts. L’agressivité peut être un atout, mais avec neuf cartons rouges et 130 jaunes (!) récoltés en carrière, Xhaka a exagéré. Gestes dangereux, impulsivité, hargne: tout y est. A Arsenal, le coach Wenger y a très vite été confronté. «Xhaka n’est pas un défenseur naturel, expliquera-t-il. Je l’encouragerai à moins tacler.» En janvier 2022, auteur d’une agression caractérisée sur Jota, de Liverpool, Xhaka devient le joueur qui, en Europe, a accumulé le plus de cartons rouges de la décennie (!), derrière le rugueux Sergio Ramos. José Mourinho a beau avouer l’apprécier, il inquiète.

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Spécialiste d’Arsenal, le journaliste James McNicholas observe: «Quand son adversaire direct le stresse mentalement ou le perturbe avec sa vitesse, Xhaka pète un plomb.» Régis Rothenbühler nuance à peine: «Il a un problème émotionnel, sans doute nourri de plein de choses liées au passé familial qu’on ne peut qu’imaginer et, parfois, il perd le contrôle.» Y compris hors du terrain. Un soir qu’il raccompagne un ami à l’aéroport de Londres Heathrow, où ils arrivent très en retard, l’employée de British Airways refuse de laisser son pote embarquer. Il la couvre d’insultes.

Xhaka, le fidèle

La famille est un socle, un sanctuaire, chez les Xhaka. Les fils vénèrent leur père, indépendantiste kosovar de la première heure, battu et emprisonné pour ses idées à l’âge de 22 ans, au temps de l’ex-Yougoslavie. Quand Ragip Xhaka tente confusément de justifier le geste de portée sexuelle du fiston après Suisse-Serbie au Qatar, faisant allusion aux femmes kosovares violées pendant la guerre, Granit Xhaka valide.

En février 2022, son frère Taulant Xhaka se retrouve sur le banc du FC Bâle lors du Klassiker face au FC Zurich, futur champion. Depuis Londres, Granit interpelle les fans bâlois sur les réseaux sociaux: «Il faut aligner des joueurs qui savent de quoi il retourne!» Sous-entendu Taulant. Il ajoute: «Et vous voulez que nous, les anciens joueurs, revenions? [...] Jamais!» Un avis tranché qui fragilise la position du président bâlois. David Degen écope. Le 11 mars dernier, en réaction à un épisode du podcast Troisième mi-temps, qui imagine un départ de Taulant, privé du match contre le grand rival YB, le cadet récidive sur un mode plus arrogant: «Taulant Xhaka est et reste Bâle.» Ces intrusions agacent la direction du club bâlois. «D’un niveau très moyen, Taulant Xhaka se retrouve sur la sellette comme beaucoup de joueurs vieillissants, observe Régis Rothenbühler. Il ne l’accepte pas. Son frère le soutient. C’est légitime.» 

Xhaka, l’insoumis

Granit Xhaka est réfractaire à l’autorité. A Arsenal, quand l’Alsacien Arsène Wenger le recrute durant la saison 2016-2017, il est pris en grippe par d’anciens Gunners, les Français Thierry Henry et Emmanuel Petit en tête. Il leur répondra le moment venu, sous le maillot suisse... Le 27 octobre 2019, cependant, lors d’un match à domicile contre Crystal Palace, capitaine Xhaka disjoncte. Il quitte la pelouse en jetant son maillot à terre – crime de lèse-majesté. Le stade le hue. Xhaka fait des excuses publiques et reste. Emery parti, Mikel Arteta le remet en selle.

Episode oublié? Non. En décembre dernier, Xhaka règle ses comptes dans The Athletic: «Je n’oublierai jamais à quel point mes parents et ma femme se sentaient mal, avoue-t-il. Arsenal voulait se débarrasser de moi.» Xhaka se distingue ensuite en violant les règles de confinement en avril 2020, quand le coronavirus frappe le Royaume-Uni. Sermon du club. Xhaka refuse les vaccins, ce qui embarrasse la Nati. «Xhaka l’homme est un insoumis qui ne semble pas toujours réaliser ce qu’implique son statut de personnalité publique», relève justement Régis Rothenbühler.

Le départ de Vladimir Petkovic après l’Euro le déstabilise. Ses prestations avec l’équipe nationale sont en déclin. Il critique, sans le nommer, Murat Yakin et sa méthode. «Quand le chien prend le dessus sur le maître, difficile de réfréner l’instinct, reprend Régis Rothenbühler. Je ne dirais pas que Xhaka n’a aucun respect pour Yakin, mais il se sent puissant. Yakin, lui, n’a pas été mis en position de force. C’est un gars intègre, pas le genre à créer des problèmes. Je trouve que l’ASF, son employeur qui se trouve aussi être le mien, n’a pas trouvé les moyens de le rendre fort et c’est regrettable.»

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Xhaka, l’assagi

A l’instar de Mikel Arteta ou de Vladimir Petkovic, le coach espagnol du Bayer Leverkusen, Xabi Alonso, a su bâtir une relation de confiance avec Xhaka. Le joueur a changé. «J’ai réalisé un gros travail sur mon mental. Je suis beaucoup plus calme», confie-t-il. Pas un seul carton rouge avec Leverkusen. Incroyable. On lui reproche de ne pas assez marquer? Il illumine la finale de la Coupe d’Allemagne.

A 31 ans, Xhaka s’est assagi. Enfin. «Quand on dit que la maturité vient avec l’âge, ce n’est pas qu’une image, note Régis Rothenbühler. Aujourd’hui, Xhaka veut consacrer son énergie au jeu, prendre du plaisir, peut-être aussi se battre pour son frère à Bâle. Il a quitté l’Angleterre pour l’Allemagne. Pour quelqu’un qu’on a parfois présenté comme peu réfléchi, je trouve qu’il a fait d’excellents choix de clubs dans sa carrière.» En Suisse, on attend maintenant de capitaine Xhaka, détenteur du record de capes (128) avec la Nati, le comportement sans faille d’un ambassadeur. «Durant cet Euro, il peut encore beaucoup apporter, estime Régis Rothenbühler. Xhaka est un faux numéro 6. C’est un 10 qui joue en 6. Ce qu’on attend de lui? De la simplicité, de l’efficacité.» A lui de nous épater.

Xhaka, le leader
 

«C’est le chef, en Suisse et à Leverkusen.» Rudi Völler, actuel directeur de la Fédération allemande de football et champion du monde en 1990, est admiratif. Xhaka compte le plus de passes réussies en Bundesliga et le deuxième plus grand nombre de kilomètres parcourus. En quête d’un leader du vestiaire après le départ de Patrick Vieira et désireux de muscler son milieu de terrain, Arsène Wenger avait convaincu Arsenal de miser 35 millions de livres sur le Suisse, alors au Borussia Mönchengladbach. La FA Cup remportée face à Chelsea à l’issue de sa première saison validera ce choix. La bronca d’octobre 2019 à domicile contraint l’Espagnol Unai Emery à le suspendre. Il perd son brassard. Dur pour l’amour-propre. L’arrivée d’Arteta sur le banc fin 2019 le relance.

Xhaka marche à la confiance. Il va reconquérir le peuple d’Arsenal et sa rédemption lui vaudra des adieux émouvants. «Il a tout fait pour montrer qu’il s’était simplement trompé», explique Régis Rothenbühler. A Leverkusen, l’Espagnol Xabi Alonso a gagné un leader, artisan majeur du doublé historique championnat et coupe. Au nombre de passes réussies dans le dernier tiers de terrain, Xhaka fait même mieux que Rodri, de Manchester City! Et avec la Nati, personne n’a oublié cette lumineuse passe en profondeur pour Gavranovic, auteur de l’égalisation 3-3 contre la France, championne du monde, en toute fin de match, lors du 8e de finale du dernier Euro. Cette victoire aux tirs au but a offert à Petkovic, dont Xhaka était ultra-proche, des adieux triomphants. Dans le vestiaire de la Nati, Granit Xhaka se comporte en meneur d’hommes. Au Kosovo et en Albanie, il jouit du statut d’icône. Reste que sur le terrain, si on le provoque, il réplique...

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