Rue des Petites-Buttes 2, à Rolle, le 13 septembre 2022, en fin de matinée. Peu après l’annonce du décès du cinéaste, nous nous rendons à Rolle, devant son domicile, où il résidait avec sa compagne, Anne-Marie Miéville, depuis 1977. Le couple faisait partie de la vie rolloise depuis un demi-siècle et y était bien connu. Des voisins, parfois émus, nous confient leurs souvenirs et leur rapport au réalisateur d’origine nyonnaise.
Serge Lincio, 71 ans
Dans un petit restaurant qui borde le lac, nous rencontrons Serge Lincio, garagiste à Rolle depuis 1976. Après avoir rappelé que Jean-Luc Godard était un cinéaste exceptionnel, il nous raconte sa participation au film For Ever Mozart en 1996 (voir la bande-annonce sur Youtube). Grand amateur de voitures, c’est dans sa Cadillac de 375 chevaux datant de 1972 que Serge apparaît dans le film. Il témoigne aussi du perfectionnisme de Godard. «Il s’agit d’une personne qui allait toujours au bout de ses idées.» Serge nous précise que, dans ce film comme dans les autres, tout était calculé. Godard aimait que le rendu soit exactement tel qu’il l’imaginait, pour l’image et pour le son. C’est pourquoi Serge nous dit en riant qu’il devait recommencer des dizaines de fois les scènes ainsi que les parcours avec sa voiture de collection. De temps à autre, Godard prenait lui-même la place de l’acteur afin que la gestuelle ainsi que les mimiques soient correctement saisies.
François, 75 ans
Nous rencontrons François sur la terrasse d’un café, en compagnie de sa femme et de son ami Serge, le garagiste. Du temps où il travaillait, notre interlocuteur tenait un bureau d’ingénieur à Rolle. Aujourd’hui, il cultive sa passion pour la peinture. Sur ces mots, François nous fait un croquis du mythique réalisateur sur le revers d’un set de table en papier. «Godard, c’était quelqu’un d’exceptionnel dans son métier, mais ce n’était pas quelqu’un qui causait beaucoup», confie-t-il. Très perfectionniste, le cinéaste ne s’entendait pas avec tout le monde. «Tu ne le connais pas assez bien», rétorque Serge, assis à la table.
Gino, 57 ans
La confiserie Christophe Moret et le N°39 sont deux endroits que Godard affectionnait tout particulièrement pour prendre son café du matin ou son dîner. Trois hommes buvant leur café chez Moret attirent notre attention. Parmi eux, un certain Gino se livre à nous avec émotion. Chauffeur de Godard depuis vingt ans, Gino est très touché par le décès du cinéaste. Très vite, il nous raconte sa figuration dans Adieu au langage, sorti en 2014 (voir la bande-annonce sur Youtube). Il précise avoir fait seulement trois ou quatre scènes, sans dialogue. Gino décrit Godard comme un homme particulier, discret, qui n’aimait pas discuter, mais qui parfois «se lâchait et racontait toute sa vie».
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René, 55 ans
René, qui promenait son chien, s’arrête pour saluer Gino. Propriétaire du bar My Way Cafe à Rolle, ce quinquagénaire habite depuis une dizaine d’années dans la petite ville de La Côte. «Godard, c’est quelqu’un que je croisais tous les jours, mais un peu moins ces derniers temps. Il était fatigué.» Lorsqu’il promenait son chien, René voyait souvent le réalisateur. «C’est surtout mon chien qu’il aimait», ajoute-t-il. Notre interlocuteur nous raconte que Godard aimait les forts caractères, à l’image de son chihuahua, nommé Hermès.
Un voisin
Enfin, un voisin direct du grand cinéaste nous assure que Godard était «un monsieur magnifique». Il le décrit également comme quelqu’un de «malicieux» ou encore comme «un grand enfant» qui vivait paisiblement à Rolle. «Nous pouvons ne pas aimer l’homme, mais ses films étaient géniaux. Il faut les regarder davantage.»
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