- Comment se passe votre grossesse?
- Géraldine Fasnacht: Très bien. Vous savez, je n’aurais jamais imaginé tomber enceinte si vite, ma gynécologue avait été très claire, me disant qu’à 39 ans, après avoir fait du sport à haut niveau et pris la pilule toute ma vie, il ne fallait pas rêver, cela n’allait pas venir tout de suite. J’ai arrêté la pilule le 18 mars, le 23 j’étais enceinte! Au début, j’imputais évidemment les changements dans mon corps au fait que j’avais justement arrêté la contraception, je me disais: «C’est fou ce que le simple fait d’arrêter la pilule provoque comme changements» (rire), sans imaginer une seconde que j’attendais déjà un bébé. C’était la saison des pentes raides, j’ai continué à «rider» plusieurs fois le Bec des Rosses en avril. Aujourd’hui, je pèse 84 kg; j’ai pris 19 kg. Mon bébé, qui devrait arriver fin décembre, va peser dans les 4 kg 300. Je me contente de balades à peau de phoque (sourire)!
- Vous qui n’avez peur de rien, redoutez-vous un peu d’accoucher?
- Il y a un peu de stress et je ne suis pas fan de tout ce qui est hôpital, sang… Mais je fais confiance à l’équipe du nouvel hôpital de Rennaz. J’ai lu le livre Pour une naissance sans violence, qui explique que, selon la méthode choisie, venir au monde peut être un véritable traumatisme pour le bébé. J’aimerais à cause de ça pouvoir choisir la meilleure position pour accoucher, dans le calme, avec un minimum de lumière, je ne pense pas vouloir être couchée. Mon médecin devra s’adapter (sourire)!
- Votre compagnon sera à vos côtés?
- Bien sûr, je lui ai demandé de mettre tout de suite les mains sous les fesses et les pieds de notre bébé lorsqu’il sera sur mon ventre, car j’ai lu encore que c’était important qu’il se sente tenu, comme dans mon ventre, sinon c’est comme s’il tombait dans le vide. De même, on attendra quelques minutes avant de lui couper le cordon ombilical parce que le bébé est encore en train de respirer, si on l’arrache, c’est violent, c’est comme lui mettre la tête sous l’eau.
- Vous avez fait de la «wingsuit» pendant votre grossesse?
- Oui. J’ai effectué mon dernier saut en septembre! Après, j’ai décidé d’arrêter, car je suis passée en phase maman. On est plus lente dans ses réflexes, du coup mes réactions n’étaient plus à la hauteur de ce qu’elles devaient être pour ce sport!
- Vous n’avez jamais eu peur du risque, sachant que vous aviez une vie qui grandissait en vous?
- Absolument pas. Aujourd’hui, les wingsuits sont très évoluées, sauter d’une falaise, voler, c’est hyper-doux, l’ouverture du parachute aussi est extrêmement douce, et puis je n’ai choisi que des vols très faciles d’accès, des départs très verticaux, sans danger, avec de grands champs pour atterrir. C’était moins stressant pour moi de voler en wingsuit enceinte que de prendre ma voiture, comme aujourd’hui, avec des routes enneigées et des gens sur la route qui ont mis leur cerveau sur off. J’ai failli avoir deux accidents en venant à notre rendez-vous. J’ai toujours fait comme je le sentais. En août, j’étais très fatiguée, je me suis beaucoup reposée sur mon canapé, sur la terrasse. Début septembre, j’avais de nouveau envie de voler!
- Vous avez toujours revendiqué votre liberté de voler. Est-ce que le fait de devenir mère va changer malgré tout cette perception du risque?
- Ça a déjà changé quelque chose. En avril, avant de savoir que j’étais enceinte, nous étions, mon chéri et moi, au sommet d’une falaise à côté de chez nous, un saut de 800 mètres, je l’ai regardé pendant qu’on s’équipait et je lui ai dit: «Fais attention!» Il était étonné, je n’avais jamais dit ça! Au mois de mai, il est parti faire de la wingsuit en terre de Baffin. D’habitude, parce que je sais comment il vole, j’ai une confiance totale en lui, mais de nouveau, j’ai fondu en larmes et je lui ai fait promettre qu’il allait rentrer! Je ne peux pas aller contre ces changements, mais jusqu’à quel point je vais changer après l’accouchement, ça, je ne peux pas encore le dire. Mais j’ai beaucoup d’amies très sportives qui n’ont pas forcément changé leur mode de vie.
- Avez-vous déjà connu de grosses frayeurs en vol?
- Oui, et c’est toujours mon expérience qui m’a sauvé la vie. On apprend sans arrêt de ses erreurs et de celles des autres dans les sports dits extrêmes. Hier, j’ai repensé à tout ça en faisant l’assurance du bébé. Je me disais que, sur toute ma carrière de snowboardeuse, qui a commencé en 1996 avec les compétitions, je me suis déchiré trois ligaments croisés. En base jump, je n’ai récolté qu’une cheville tordue alors que j’ai plus de 3500 vols à mon actif. Parfois, la presse a le tort de mettre en lumière les accidents provoqués par des mythomanes qui font tout et n’importe quoi. Le base jump est un sport de montagne! Nous ne sommes pas des têtes brûlées, on ne recherche pas le shoot d’adrénaline, on ne joue pas avec nos vies.
- Pourquoi vouliez-vous connaître le sexe de votre enfant?
- J’avais envie de savoir à qui je parlais! Et de pouvoir l’appeler avant sa naissance. Au début, son père ne voulait pas que je le lui dise. Il a tenu un mois et demi avant de me demander (rire).
- Aviez-vous besoin d’un enfant pour être heureuse?
- L’envie s’est vraiment concrétisée avec Simon. J’ai commencé à songer qu’un enfant serait important dans ma vie à partir de 35 ans. Avant, il m’arrivait même de me dire que je n’en aurais pas parce que je n’avais pas rencontré la bonne personne! Avec Sébastien, mon premier mari, nous étions trop jeunes et trop engagés dans notre sport pour songer à fonder une famille.
- Quand allez-vous refaire de la «wingsuit» et du snowboard?
- J’ai la chance d’avoir un compagnon qui sera très présent. Il va s’installer à Verbier et a décidé de ne pas travailler jusqu’en février pour s’occuper du bébé et de moi. Cela va me permettre aussi de reprendre le sport pour retrouver mon corps. Après, on verra. Mais je sens qu’on va devoir se battre pour s’occuper de notre fils (sourire). Par la suite, j’ai des amis au pied de toutes les montagnes du monde, ils m’ont déjà dit: «Tu poses le bébé le matin et tu le reprends le soir.» De toute façon, on va le prendre très vite en montagne avec nous pour des balades. Je le mettrai dans ma combinaison quand je partirai à peau de phoque. L’hiver prochain, on achète une poussette de type pulka sur laquelle on peut mettre des skis!
- Et s’il n’aime pas la montagne mais la mer?
- Ça ira très bien aussi! Son papa, qui a un père suisse alémanique et une maman qui vient de Sainte-Lucie, dans les Caraïbes, adore l’eau également. Lui et moi, nous nous sommes réalisés au plus haut niveau dans nos sports (ndlr: Simon Wandeler a été vice-champion du monde de grimpe sur glace), nous n’avons pas d’attente par rapport à notre fils, on s’en fout s’il ne devient pas champion du monde, on veut juste qu’il soit heureux et passionné. La passion, c’est tellement important! C’est elle qui m’a sauvée dans les moments les plus difficiles.
- Certains pensaient d’ailleurs que vous ne vous relèveriez pas de certaines épreuves, comme le décès de Sébastien en parapente.
- Moi aussi. Il m’aura fallu douze ans pour atteindre cette sérénité. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, tout le monde connaît des bonheurs, des drames, ce qui compte, c’est ce qu’on en fait, ce qu’on en retient. J’ai toujours choisi de rire plutôt que de pleurer. Avec mon homme, on se lève chaque matin avec le smile, en se demandant ce que la vie va nous offrir aujourd’hui.
- Comment sait-on qu’il est temps de tourner la page?
- Il y a des signes dans la vie qui nous le font comprendre. Le 30 décembre 2018, cela faisait douze ans que Sébastien était parti, j’avais le sentiment que quelque chose dans ma vie devait changer, le temps était arrivé de vivre véritablement pour moi. Je suis partie trois semaines à Hawaï chez des amis, j’ai fait du surf, j’avais besoin de me retrouver seule pour faire le bilan.
- Les menaces qui pèsent sur la planète vous ont-elles fait hésiter à donner la vie?
- On s’est posé la question sur la raison qui nous poussait à faire un bébé, à la vitesse avec laquelle la nature se détruit, et du fait que notre enfant verrait peut-être le dernier glacier. Après, on s’est dit que si les gens comme nous, qui ont la chance de vivre en pleine nature et qui veulent la protéger, ne font pas d’enfants, qui sauvera cette planète?
- Votre grossesse est donc un acte militant?
- Peut-être (sourire)!
- Vous auriez pu tomber amoureuse d’un homme qui ne fait pas de sport?
- J’ai eu un ami beaucoup moins sportif que moi. Il avait de la peine à comprendre mon besoin de montagne. Il avait même crisé un jour en me disant: «Je n’en peux plus de ton Cervin!» Cela me faisait rire qu’il soit jaloux d’une montagne.
- Qu’est-ce qu’elle vous a appris, cette montagne?
- A suivre mon instinct, à être en communion avec elle. En montagne, il ne faut jamais tomber dans l’habitude ou avoir des excès de confiance. Surtout ne jamais se reposer sur les autres.
- A l’heure du mouvement #MeToo, allez-vous être très stricte avec votre fils en ce qui concerne le respect des femmes?
- Son papa est le plus grand gentleman de la planète! Il va lui apprendre autant que moi les bons comportements.
- Maintenant que vous savez que vous pouvez faire des enfants si facilement, un deuxième est-il envisageable?
- Laissez-nous nous occuper du premier quand il va arriver. Savoir déjà si nous serons à la hauteur comme parents!