Ce n’est pas un scoop. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Géraldine Fasnacht a toujours rêvé de voler. «Toute petite déjà, je me voyais pilote d’avion.» Mais parce que les rêves ont souvent un prix, la fillette a longtemps remis le sien à plus tard. On connaît la suite. Snowboard, freeride, parachute, base jump, wingsuit. «Step by step», méthodiquement, scientifiquement, la jeune fille, puis la femme, s’est rapprochée de l’oiseau. Aujourd’hui, à 37 ans, elle touche au graal. La voilà pilote d’avion.
Enfin, quand on dit «aujourd’hui», il faut s’entendre. Cela fait déjà sept ans que la triple vainqueur de l’Xtreme de Verbier vole seule, aux commandes d’un ULM, licence française en poche. Elle ne l’a juste pas claironné. «Comme toujours, je me suis fixé des objectifs mais aucune date pour les atteindre. J’ai besoin de voir comment j’intègre, comment j’évolue pour évaluer si ce que j’imagine est réalisable ou pas. Mon but était de devenir pilote de montagne, mais avant d’en parler, je voulais être sûre d’en avoir les capacités.» Elle est comme ça, Géraldine Fasnacht. Jamais elle ne se surestime et jamais elle ne sous-estime les pièges qui la guettent.
Quinze litres à l’heure
De ses compétences, nous n’en parlerons donc que très peu… Depuis qu’elle a volé du sommet du Cervin avec sa combinaison wingsuit, plané dans les airs avec un aigle et, tout récemment, au-dessus du Grand-Combin de nuit, elles sont connues du monde entier. Histoire de ne pas décourager les futurs candidats au brevet de pilote, on taira d’ailleurs le temps qu’il lui a fallu pour décrocher ses précieux sésames. Pour faire court, on dira que de la licence de pilote d’ULM à celle de pilote de montagne, poétiquement appelé «pilote des glaciers» depuis l’époque des pionniers, en passant par le «papier» de pilote d’avion tout court, la femme-oiseau a survolé les difficultés en deux coups d’ailes. Et découvert qu’il n’y avait pas que des ULM pendulaires dans la vie (chariot suspendu sous une aile delta), mais également des ULM multiaxes (ce n’est pas un avion mais cela y ressemble). «C’est beaucoup plus sûr qu’un avion du fait qu’à la moindre alerte je peux atterrir sur une quarantaine de mètres pratiquement n’importe où», assure-t-elle, en s’asseyant aux commandes de l’engin en question, prêté par un ami. Un appareil ultraléger de deux places (472 kg max, charges comprises), 211 cm³ sous le capot, développant 100 chevaux pour une vitesse maximale de 140 km/h. «Surtout, il ne consomme que 15 litres d’essence sans plomb à l’heure et, au besoin, peut se plier dans un container», détaille la championne de freeride, en décollant de l’altiport de la Croix-de-Cœur, sur les hauts de Verbier. Un «avion» si peu gourmand en carburant qu’il permet six heures d’autonomie. «J’ai fait un Bex-Venise sans escale, avant de rallier la Slovénie», brandit-elle, comme un trophée.
Géraldine en convient, la faible puissance de son engin exige un pilotage d’une grande précision. «Avec un avion de 300 chevaux, il suffit souvent de remettre les gaz pour se sortir d’un mauvais pas.» Avec un ULM multiaxe, mieux vaut éviter de se mettre dans ce genre de situation, à l’atterrissage en particulier, comme ci-dessus, où elle se pose en douceur sur le glacier du Brenay, dans le fond du val de Bagnes. Photo David Carlier
Des projets plein la tête
Ce 19 avril, nous volerons une grosse demi-heure. Le temps d’une escapade majestueuse dans une «tempête» de ciel bleu, à se faufiler entre les mythiques sommets de la région, au gré des thermiques et du vent, ces éléments que Géraldine connaît par cœur. Construit par une PME du val d’Aoste, l’appareil, un Rotax 912, ne coûte «que» 60 000 à 70 000 euros. Autant dire que le prochain rêve de notre pilote est d’en posséder un à elle. «J’ai plein de projets. Notamment d’emmener régulièrement une personnalité à la découverte d’un glacier ou d’un sommet. En deux mots, on vole, on pose, on grimpe avec le surf sur le sac et on profite à fond de la descente. Le tout au bénéfice d’une association caritative de la région», énonce la Verbiéranne, avec son enthousiasme habituel. La peur? Malgré son extrême prudence, elle confesse l’avoir ressentie parfois. Pas lors de son premier atterrissage en montagne, seule aux commandes, le 20 février 2017, sur le glacier du Trient, mais récemment, lors d’un vol vers l’Italie. «Pas vraiment peur, mais à la suite d’une panne d’un réservoir additionnel, j’ai préféré atterrir plutôt que de voler sur la réserve. Du coup, j’ai fait du stop avec mon estagnon jusqu’à la prochaine station-service», raconte gaiement la plus «Icare» des Suissesses, heureuse de vivre son rêve et libre de faire ce qu’elle aime par-dessus tout…