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Le grand reportage

Georg Gerster, le pionnier du ciel

Il avait fait de la photographie aérienne un art. Décédé 
le 8 février à l’âge de 90 ans, le photographe zurichois Georg Gerster laisse derrière lui d’incroyables images prises dans le monde entier. Hommage à un précurseur.

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ARGENTINE, 1967. Quand le travail des champs dans la pampa se transforme en merveilleuse abstraction. Georg Gerster

Sous son œil, une scène de désolation, symbole de l’hyperconsumérisme – des tonnes de tomates en train de pourrir car estimées impropres au marché –, devenait une symphonie joyeuse, semblable à des coraux sous-marins. Georg Gerster était à la fois un poète, un voyageur infatigable et un écologiste avant l’heure. Ce Suisse, né à Winterthour en 1928 et décédé le 8 février dernier, avait fait de la photographie aérienne un art. «Il est le premier à avoir travaillé le graphisme dans l’aérien», nous confiait le photographe Yann Arthus-Bertrand il y a quelques années. «C’est mon maître», avait résumé la star française.

Impact de l’homme sur la Terre

Georg Gerster avait d’abord étudié l’anglais et l’allemand avant de se lancer dans le journalisme. C’est en 1963 qu’il avait commencé à photographier la Terre, en l’occurrence l’Egypte, vue du ciel. Depuis, il avait survolé une centaine de pays, en avion, en hélicoptère ou en ballon, et pris des milliers de clichés, rassemblés dans de nombreux ouvrages et publiés dans la Neue Zürcher Zeitung ou le National Geographic.

Ses images étaient belles, mais allaient bien au-delà de la simple esthétique. Elles ont ainsi permis d’alerter sur l’importance de préserver des vestiges comme les temples d’Abou Simbel en Egypte. Et puis, souligne Peter Pfrunder, directeur de la Fondation suisse pour la photographie, à Winterthour, elles montraient également l’impact humain: érosion, agriculture intensive… «Il avait à cœur de montrer comment fonctionnait le monde, et alliait l’esthétique et l’information de manière très, très conséquente.»

Dans les années 1970, Georg Gerster s’était mis en tête de survoler l’Iran, et avait écrit à l’impératrice Farah Pahlavi pour lui en demander la permission. Elle avait mis un bimoteur à sa disposition, et il avait effectué de nombreux vols entre 1976 et 1978. Il avait été particulièrement marqué par le site archéologique de Takht-e Soleymân. «La première fois que nous avons volé au dessus de la province d’Azerbaïdjan, j’ai pleuré. Quand vous pensez à l’Iran, vous imaginez des déserts incrustés de sel, mais je me trouvais face à une explosion de vert», avait-il raconté. En 2016, il avait eu la joie de voir ses images exposées dans le pays.

Outil de méditation

Survoler le monde, c’était des heures de préparation, de négociations. Une fois dans l’avion, il était à moitié allongé, à moitié assis à l’extrémité de la carlingue, devant la porte cargo, cramponné à son Nikon 35 mm. «En cas de turbulences, cela faisait peur. Les pilotes s’amusaient à me jouer des tours; parfois, ils arrêtaient le moteur et l’avion descendait subitement.»

Connu pour sa devise «la hauteur donne une vue d’ensemble, une vue d’ensemble facilite la compréhension, et la compréhension génère, peut-être, le respect», le Zurichois disait aussi: «La photographie aérienne vous montre tellement plus du monde que ce que vous pouvez en voir quand vous êtes en bas. Pour moi, c’est comme un outil de méditation.»

Ses images utilisées comme posters par Swissair entre 1975 et 1995 étaient très populaires. En 2013, la Fondation suisse pour la photographie lui avait consacré une grande exposition. «Elle reste l’un de nos plus grands succès, souligne Peter Pfrunder. Tirées en très grand format, les photographies offraient une expérience visuelle et émotionnelle très forte.»

Avec la mort de Georg Gerster, son nom, méconnu du grand public, et son incroyable œuvre se voient enfin réhabilités.


Par Albertine Bourget publié le 22 février 2019 - 08:56, modifié 18 janvier 2021 - 21:03