Première parution le 25.04.2012
L’itinéraire qu’elle nous a fait parvenir conduit notre taxi devant la porte d’entrée de son coquet petit immeuble résidentiel, quartier de Saint-Cloud, où elle occupe tout le rez-de-chaussée. A trois mois de ses 80 printemps, Geneviève de Fontenay est toujours aussi précise, rigoureuse. Militaire, diront certains. A tort. Le large sourire qui éclaire son visage soigneusement maquillé et la prévenance avec laquelle elle nous installe au salon démentent d’emblée cette considération martiale. Tirée à quatre épingles, son légendaire chapeau scientifiquement posé sur la tête, celle qui a régné sur 53 éditions de Miss France avant de créer Miss Prestige national, à la suite de son différend avec Endemol, nouveau propriétaire du label Miss France, en 2010, s’installe face à nous dans l’un des fauteuils style Empire. «J’aime les vieux meubles. Ce sont des antiquités. Comme moi, ils prennent de la valeur avec le temps.» Le ton, tantôt badin, tantôt sévère, mais toujours courtois, est donné.
- Sauf revirement, le concours Miss Suisse n’aura pas lieu en 2012 et peut-être même plus jamais. Sans le soutien de la télévision, il manque 300 000 francs (250 000 euros) pour l’organiser. Alors, forcément, on pense à vous…
- Vous êtes gentils, mais ce n’est pas mon problème. J’ai suffisamment à faire chez moi pour ne pas me dissiper. Et puis, avec mes 40 000 euros de budget, les Suisses rigoleraient. 250 000 euros, vous vous rendez compte? C’est monstrueux!
- Ça vous surprend?
- Non, ça me sidère! Moi qui démontre qu’on peut organiser un concours presque sans argent, je me demande ce qu’ils font avec tout ça. Certes, je ne gagne pas un euro sur l’opération, mais au moins mon concours existe. Et sans télévision. En 2011, nous avons dépassé le million de votes sur l’internet.
- Comment fonctionne Miss Prestige national?
- J’investis personnellement 40 000 euros que j’essaie de récupérer durant l’année par mes prestations, à coups de 1000 ou 2000 euros. Parallèlement, je réduis les dépenses au minimum: je conduis la voiture, je couds les robes, je me bats pour obtenir gratuitement les tissus, les chaussures, etc. Au bout du compte, je réalise une opération blanche, ce qui n’est déjà pas mal.
- C’est la recette que vous donneriez aux Suisses?
- Il n’y a pas de recette miracle. C’est un comportement, une façon de vivre. Mon capital, c’est mon image. Je suis fidèle à des valeurs depuis cinquante-cinq ans, auxquelles beaucoup s’identifient et qui incitent les gens à me suivre. L’image d’une miss française est scotchée au nom de De Fontenay. Louis, feu mon compagnon, a organisé sa première élection en 1947. Toute cette tradition n’est pas transposable en Suisse. Le seul conseil que je peux donner aux jeunes Suissesses est de prendre la nationalité française. (Rire.)
- Ces concours ne sont-ils pas tout simplement devenus désuets? A l’évidence, il ne font plus rêver les jeunes filles…
- C’est un avis. Nous, notre univers, c’est la France rurale, pas la France people des filles qui se dandinent à Saint-Trop’ à moitié nues au bras des milliardaires. Notre succès n’est pas proportionnel aux millions qu’on injecte. On le cultive dans le terroir, le folklore, les traditions. Et ça marche. Nous ne constatons aucune lassitude. Ni du public, ni côté candidates.
- Ce qui n’empêche pas de faire évoluer ce concept dépassé d’exposer des filles telles des potiches…
- Que faut-il faire? Les mettre à poil? Je vous rappelle qu’une miss est la lauréate d’un concours de beauté avec épreuve en maillot de bain. Ce qui ne signifie pas que les filles ont un sac de son à la place du cerveau. La plupart d’entre elles ont des situations très honorables. Et puis cela ne fait de mal à personne. Mieux vaut les canons de la beauté que ceux de la guerre, non? (Rire.)
- Curieux, tout de même, ce déclin à l’heure où les gens n’ont jamais autant pris soin de leur image. Comment expliquer ce paradoxe?
- Je vous répète que je ne perçois pas ce pseudo-déclin. Peut-être est-il plus visible dans les centres urbains où les gens sont noyés sous des masses de spectacles. En 2011, TF1 a perdu un million de téléspectateurs pour l’élection de Miss France. Tout le monde a dit: «C’est le début de la fin.» En 2012, le million a été récupéré.
- Suite à la plainte d’Endemol, à qui votre fils Xavier a vendu le label Miss France 6 millions d’euros, un tribunal a interdit votre concours, concluant que vous ne respectiez pas la clause de non-concurrence. Malgré cela, Miss Prestige national est toujours là…
- Ces gens ont juste oublié que, née dans les hauts-fourneaux, je suis en acier de Lorraine. J’ai donc cédé la présidence du concours à Christiane Lillio, Miss France 1968, laquelle me sollicite en qualité d’invitée d’honneur. Et le tour est joué. Qu’ils me laissent finir ma vie avec ma Miss Prestige, ça ne va pas les ruiner!
- A ce propos, on dit que vous rêvez d’une fin à la Molière, mort sur scène…
- C’est vrai. C’est mieux que de finir sous un camion à mes yeux.
- A 80 ans, où puisez-vous votre énergie?
- J’ai la chance d’avoir une bonne santé et d’être une passionnée. Quand on fait les choses avec passion, on ne sent pas la fatigue. J’ai une deuxième passion: la politique. J’écris des chroniques pour radio MFM et pour le site Le Huffington Post d’Anne Sinclair. Il n’y a rien d’exceptionnel à ça. Line Renaud, Jean Piat, Galabru font encore du théâtre, du cinéma, Annie Cordy de la chanson. La passion, je vous dis. Sans elle, on est déjà vieux à 20 ans.
- Après avoir soutenu Arlette Laguiller à l’époque, vous êtes aujourd’hui derrière Hollande…
- Je marche au coup de coeur et à l’esprit combattant. Les politiciens, c’est comme les miss: il y en a auxquels on s’identifie, qui ont du charisme, et d’autres qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus.
- Vous dites souvent que ce que vous faites est dérisoire…
- Face à la misère et aux calamités qui accablent notre monde, qu’est-ce qu’un comité de miss ou un concours de beauté? Personnellement, cela me permet de ne pas m’encroûter et de vivre de beaux moments. Je n’y vois guère d’autres mérites.
- Vous avez d’ailleurs refusé la Légion d’honneur…
- Je ne suis pas la seule. Berlioz, Bohringer, Sagan ont également décliné ce mérite, qui n’en est plus un depuis que l’Etat le distribue à n’importe qui pour n’importe quoi. C’est devenu une médaille en chocolat. Il y a trois pages de noms écrites serrées dans «Le Figaro». Non merci!
- Fidèle à vos valeurs comme à votre habillement que vous étrennez depuis un demi-siècle…
- Je porte mon chapeau depuis les années 70. C’est un chapelier qui me l’a conseillé. Il le trouvait bien proportionné à mon visage. Quant aux vêtements noirs et blancs, ils ne lassent jamais. Démodés? Au contraire, on me dit que je suis l’une des rares à donner une bonne image de la France. Ce qui est démodé, ce sont des jeans avec des trous ou portés en dessous du cul sur des baskets dégueulasses…
- Un dernier mot à propos de la décision d’accepter une personne transgenre au concours Miss Univers…
- C’est n’importe quoi, du cirque, un blasphème. Pour faire le buzz, des concours en perdition sont prêts à tout…