«Oups, je sens que ça va recommencer.» Lorsque Pascal Cherpillod, biologiste et responsable du Centre national de référence pour les infections virales émergentes (Crive) aux HUG, apprend, au début de l’année 2020, la propagation d’un nouveau virus en Chine, il sait qu’il va mal dormir. Après avoir géré les crises du SRAS, de la grippe porcine, du Zika ou, plus récemment, du virus Ebola, le Crive est de nouveau en alerte et une task force mise sur pied. Dorénavant, jour et nuit, huit biologistes et laborantins supervisés par le docteur Laurent Kaiser, chef du service des maladies infectieuses des HUG, travailleront d’arrache-pied à la mise en service d’un test diagnostic.
Au bout de cinq jours et cinq nuits déjà, les équipes du laboratoire sont à bout touchant. «En regardant ce qui avait été fait en Chine, aux Etats-Unis ou en Allemagne et en nous inspirant des tests conçus par des spécialistes des coronavirus, nous avons validé un test qui était prêt à fonctionner. Les équipes avaient été formées et une nouvelle station d’analyse était sur pied pour accueillir un nombre d’échantillons qui pourrait monter dans les prochaines semaines. On ne s’en rend pas vraiment compte, mais cinq jours, c’est extrêmement court», souffle-t-il. Et puis, surtout, «malgré tout ça, la routine hospitalière doit continuer à tourner»!
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Nous sommes au cinquième étage du BATLab, l’une des dernières extensions des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), inaugurée en 2015, et, même si les équipes travaillent tard dans la nuit, le calme règne en ce vendredi matin. C’est ici que tous les hôpitaux et laboratoires de Suisse envoient les échantillons de ceux que l’on appelle «les cas suspects». Soit des personnes revenant de Chine et présentant de la fièvre ou des symptômes respiratoires, ou d’autres ayant été en contact avec des personnes infectées par le virus. «Il y a eu plus de 130 cas suspects en Suisse que nous avons eu à analyser, mais aucun ne s’est révélé positif pour l’heure», nous a communiqué le lundi 3 février l’hôpital genevois, dont le travail de diagnostic continuera inlassablement.
Mais les cinq jours record pour élaborer le test diagnostic n’auront pas suffi à épargner le Crive de toute critique. La semaine dernière, le résultat des deux cas suspects zurichois s’était fait attendre par les médias. «Lorsqu’un cas suspect est annoncé en Suisse, le prélèvement doit parcourir du chemin avant d’arriver dans nos laboratoires. Cela peut prendre du temps. Tant que nous n’avons pas reçu le tube, impossible pour nous de commencer les analyses. De plus, c’est tout bête, mais il nous est parfois impossible de déchiffrer le nom du prescripteur, à peine celui de patient, et dans certains cas aucun numéro n’est inscrit sur les feuilles de demande d’analyses des laboratoires extérieurs. Il arrive que nous devions passer 15 coups de téléphone pour retrouver la personne en question. Ce que je viens de dire ne s’applique pas au cas de Zurich, et je parle d’une manière générale. Toutefois, ce genre de petits détails est le quotidien d’un laboratoire en période de crise, cela ralentit inutilement notre travail et personne n’en parle jamais. Heureusement, ce problème est en cours de résolution.»
Et, puisque le diable se cache dans les détails, les équipes de Pascal Cherpillod se réunissent deux fois par jour pour affiner leur stratégie. Un exemple? «Comment remet-on les résultats au prescripteur? Si c’est aux HUG, il n’y a pas de problème, mais par contre si c’est un laboratoire privé au fin fond de la Suisse alémanique, cela peut s’avérer plus compliqué. Et puis nous devons aussi donner toutes les informations à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et au médecin cantonal concerné.»
Aujourd’hui, la task force effectue trois séries de tests par jour, sept jours sur sept. La première à 10 h, puis à 15 h et enfin une dernière série à 20 h, «ce qui fait plus ou moins finir tous les jours les équipes vers 1 h du matin, reprend Pascal Cherpillod. Nous allons tourner comme cela dans un premier temps.»
S’il était, à l’heure où nous mettions sous presse, présent dans 28 pays et affectait quelque 18 000 personnes, le 2019-nCoV, nom technique du nouveau coronavirus, semble pour l’instant avoir épargné notre pays. Mais, au cinquième étage du BATLab, tout le monde reste conscient que, tôt ou tard, la Suisse pourrait être touchée à son tour.
Au bout du couloir réservé aux laboratoires, une porte reste close. «Danger biologique, accès réservé au personnel autorisé»: une affichette annonce la couleur. C’est le laboratoire P4D. P4, c’est pour «pathogène 4» et D pour «diagnostic». Les virus de classe 4 sont les plus dangereux, potentiellement mortels, et l’accès à ces pièces confinées se fait par un sas en trois parties distinctes, pour assurer une asepsie quasi totale. C’est au bout de ces sas, sous une hotte, que sont analysés les prélèvements rhino-pharyngés (obtenus avec un long coton-tige introduit dans la narine et dans la gorge du patient) des cas suspects.
C’est aussi par ce laboratoire qu’étaient passés tous les prélèvements du médecin cubain qui, atteint de la fièvre Ebola, avait été admis aux HUG en 2014. Alors qu’à l’époque médecins, soignants et biologistes devaient respecter des procédures de sécurité extrêmes et revêtir des tenues de cosmonaute, les conditions de travail pour ce nouveau coronavirus sont plus légères. «Nous portons un masque, des lunettes, des gants, une blouse jetable et manipulons les prélèvements suspects sous une hotte filtrante, explique le chercheur. Travailler en combinaison complète, ce que nous avons fait pendant trois semaines lors de l’hospitalisation du patient atteint du virus Ebola, surcharge énormément les équipes. Nous n’avons pas à le faire, car le danger biologique est moins grand pour ce nouveau coronavirus.»
Mais comment identifier le 2019-nCoV parmi les milliers d’autres virus qui circulent? «Il existe aujourd’hui quatre coronavirus établis chez l’humain depuis très longtemps, venus aussi du règne animal. Ces quatre coronavirus sont facilement traitables et ne présentent que rarement des complications, poursuit le biologiste. Mais attention, cela ne veut pas dire que ce nouveau coronavirus n’est pas dangereux, toute nouvelle introduction d’un virus peut créer des degrés différents de dangerosité. On se situe probablement un peu au-dessus de la mortalité du virus de la grippe saisonnière mais largement en dessous de celle du virus Ebola.»
Quant à savoir de quoi l’avenir sera fait, «c’est trop demander! En virologie, il est extrêmement dur de faire des prévisions.» Aujourd’hui, la façon la plus simple pour ralentir l’épidémie reste la prévention. «Et, surtout, il est impératif d’aller chez son médecin traitant si l’on présente des signes d’infection et ne pas se présenter aux urgences. Répétez-le, cela surcharge un service déjà très occupé et présente un risque de contamination des lieux de santé.» Quant au moyen le plus efficace pour y mettre un terme, c’est très probablement le développement d’un vaccin: «On pourrait en imaginer un dans l’année à venir, plusieurs laboratoires y travaillent, reprend Pascal Cherpillod. Maintenant, il reste à savoir ce qui sera le plus fort: les moyens de prévention, le vaccin ou le virus?»
Cinq épidémies venues de Chine
61% des maladies infectieuses sont d’origine animale. En Chine, les «wet markets», marchés d’animaux vivants, y compris sauvages, faciliteraient la transmission.
1918: la grippe espagnole. Cette grippe a fait entre 50 et 100 millions de morts dans le monde. Son origine est sans doute chinoise et non pas espagnole.
1957: la grippe asiatique. Originaire de la province chinoise de Guizhou (sud-ouest), le virus se diffuse en Asie puis à l’échelle de la planète et fait environ 1,1 million de morts.
1968: grippe de Hongkong. Un nouveau virus grippal de type A se répand dès juillet à Hongkong, s’étend à l’Asie, puis en automne aux Etats-Unis et à l’Europe. Un million de morts.
2003: le SRAS. Le virus du syndrome respiratoire aigu sévère émerge fin 2002 dans le sud de la Chine. Ce coronavirus très contagieux fait 774 morts dans une trentaine de pays.
Coronavirus: vrai ou faux?
Huit questions légitimes ou farfelues circulent sur le virus venu de Chine. Karim Boubaker, médecin cantonal vaudois, nous aide à y répondre, non sans humour (par Patrick Baumann).
1. Vu l’état d’urgence mondiale décrété par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), serait-ce une bonne idée de m’enfermer chez moi et de limiter mes déplacements au minimum?
Mais non, voyons! Virus ou non, il ne faut jamais limiter ses déplacements lorsqu’il s’agit d’user nos chaussures ou de pédaler sur nos pistes cyclables si bien aménagées.
2. Dois-je porter un masque immédiatement si mon collègue de bureau se met à tousser?
Il n’y a pas d’épidémie en Suisse. Dans ce contexte, l’utilisation sans mesure de masques protecteurs ne pourrait qu’encourager la peur collective.
3. Si un proche a séjourné en Asie, qui me dit que le temps d’incubation de ce virus inconnu ne le rendra pas contagieux?
Le temps d’incubation du virus est bien connu et ne dépasse pas 14 jours.
4. Je dois me rendre prochainement en France ou en Allemagne, où on enregistre déjà des cas de personnes infectées. Je mets déjà mon masque dans le train ou l’avion?
Il faut juste une hygiène des mains très stricte. Quant au masque, sa nécessité et son efficacité ne font toujours pas l’unanimité parmi la communauté scientifique, qui en débat encore.
5. Puis-je encore acheter des objets sur internet en provenance de Chine ou aller manger dans un resto chinois?
Oui, absolument, d’un point de vue de santé publique ou d’épidémiologie des virus. La vraie question reste diététique ou philosophique au regard d’achats de marchandises qui font parfois des allers-retours de milliers de kilomètres pour notre satisfaction... ou notre insatisfaction.
6. On évoque une chauve-souris ou un serpent à l’origine du virus...
Le virus provient vraisemblablement de la chauve-souris. L’épidémie semble être partie d’un marché de Wuhan. Mais il semble que le mode de transmission initial est plutôt lié à la manipulation d’animaux infectés.
7. Dois-je plus m’inquiéter que pour la grippe aviaire?
Les deux situations n’ont rien à voir. La grippe aviaire ne se transmettait qu’accidentellement entre humains, contrairement au coronavirus, plus contagieux mais moins dangereux.
8. Qui meurt de ce virus actuellement?
A ce jour, les personnes qui sont décédées en Chine étaient atteintes de pathologies multiples, ou alors c’étaient des personnes fragiles parce que âgées.