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Gaspillage alimentaire: la Suisse peut mieux faire

En Suisse, selon l’Office fédéral de la statistique, nous jetons chaque année 330 kilos d’aliments par personne. Les dizaines de kilos de viande retrouvées récemment dans une poubelle publique du Bas-Valais sont emblématiques de cette hérésie. Et ça pourrait être encore pire sans quelques initiatives citoyennes.

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gaspillage alimentaire

En allant porter son sac poubelle dans un conteneur communal, un habitant de Vérossaz, au-dessus de Saint-Maurice (VS), a découvert ces kilos de viande et de nourriture sans doute jetés par un commerçant.

René Rappaz

Entre deux images de Gaza, de Somalie ou d’Afrique de l’Est, où des millions de personnes et d’enfants tentent de survivre à la famine, les clichés saisis par l’un de nos fidèles lecteurs ont de quoi remuer nos consciences. Elles montrent des dizaines de kilos de viande à la date de péremption échue, gisant au fond d’un conteneur à poubelles installé en périphérie d’un village du Bas-Valais. Malaise. Qui a au moins le mérite de mettre des images sur les données de l’Office fédéral de la statistique: 2,3 millions de tonnes d’aliments sont perdues ou gaspillées chaque année en Suisse, 38% par les ménages, 27% au moment de la transformation, 14% dans la restauration, 13% dans l’agriculture et 8% dans la distribution. Cela représente un quart de l’impact environnemental dû à l’alimentation, soit près de la moitié de l’impact du trafic individuel motorisé du pays. Maigre consolation, nous n’avons de loin pas le monopole de cette scandaleuse hérésie.

A en croire le WWF, jusqu’à 40% de la nourriture produite dans le monde finit jetée. Soit, en chiffre rond, 1 milliard de tonnes, ce qui équivaut à 23 millions de camions de 40 tonnes mis bout à bout, soit sept fois le tour de la Terre. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ajoute pour sa part que le coût de ce gaspillage s’élève à 1000 milliards de dollars par année et est responsable de 10% du total des émissions de gaz à effet de serre planétaires d’origine humaine. Enfin et puisque nous sommes dans les chiffres, allons jusqu’au bout: d’après les estimations du Programme des Nations unies pour l’environnement, 30% de l’utilisation des terres agricoles et 21% de l’utilisation de l’eau douce dans le monde sont perdues chaque année. N’en jetez plus!

La lutte s’organise


Une «profanation» qui a enfin ému le monde politique helvétique. En mai 2022, Simonetta Sommaruga, alors ministre de l’Environnement, a en effet signé avec 28 représentants de la chaîne de production alimentaire un accord censé réduire de moitié les pertes alimentaires évitables d’ici à 2030. Parmi les signataires se trouvent notamment l’Union maraîchère suisse, les multinationales de l’agroalimentaire comme Nestlé, Danone, Emmi, la marque de produits laitiers, toutes les grandes chaînes de supermarchés, Migros, Coop, Globus, Denner, Aldi, Lidl, Valora, Spar, Volg, etc., auxquelles ce qu’elles appellent pudiquement «les invendus» coûte près d’un demi-milliard de francs par année (6,5 francs le kilo), ainsi que des représentants de l’hôtellerie et de la restauration. Tous se sont engagés la main sur le cœur à prendre des mesures concrètes pour limiter leurs déchets et à rendre compte chaque année des progrès réalisés.

En parallèle, des actions citoyennes ont vu le jour, à l’Ecole hôtelière de Lausanne, à l’Union maraîchère de Genève (une pionnière en la matière) et çà et là au sein de PME de l’alimentaire ou de start-up, à l’image de l’application SaveEat, créée par deux Genevois, qui permet aux supermarchés et aux boulangeries de solder leurs invendus en fin de journée. Un concept repris de l’application anti-gaspi danoise Too Good To Go (TGTG), la plus importante plateforme gratuite de vente de surplus alimentaires du monde, active dans 17 pays en Europe et en Amérique du Nord, qui compte plus de 85 millions d’utilisateurs enregistrés et collabore avec 155 000 entreprises partenaires. Depuis son lancement en 2016, l’application dit avoir sauvé plus de 300 millions de repas dans le monde.

L’application éthique
 

Par repas sauvé, elle entend 1 kilo de nourriture, équivalant à 2,7 kilos d’émissions de CO2. «Nous évitons aussi l’utilisation de centaines de litres d’eau. Ainsi nous pouvons avoir un véritable impact positif sur l’environnement», se réjouit Elisabeth Strasser, porte-parole de la plateforme. Présente en Suisse depuis juin 2018 avec une équipe d’environ 30 personnes – son siège est à Zurich après avoir fermé sa succursale de Lausanne –, l’application compte actuellement 2,2 millions d’utilisateurs inscrits et plus de 7400 sociétés partenaires. «Dix millions de paquets surprises ont déjà pu être sauvés en Suisse par des boulangeries, des supermarchés et des entreprises de restauration», confie Christelle Roth, la «public relation» de la marque.

Par TGTG, un panier surprise contient par exemple un pain au chocolat, un croissant, un jus d’orange, une quiche et un gâteau du jour pour moins de 5 francs. «Evidemment, le contenu du panier varie selon les partenaires mais son prix correspond toujours à un tiers du prix d’origine», précise notre interlocutrice. Converti en CO2, cela correspond à 27 000 tonnes de gaz à effet de serre économisées après cinq ans d’activité.

Chacune et chacun d’entre nous peut participer à l’effort collectif en choisissant de privilégier les produits estampillés «Souvent bon après», ayant une date de durabilité minimale «à consommer de préférence avant le», qui finiront dans des paniers surprises. «A ce jour, environ 1000 produits portent ce label en Suisse», précise Christelle Roth, avant de détailler les objectifs à court terme de la société. «Nous nous efforçons constamment d’intéresser de nouveaux partenaires à notre approche et d’améliorer les collaborations existantes afin d’éviter que davantage d’aliments ne finissent à la poubelle. Cette année, nous avons lancé un nouveau produit, Too Good To Go Platform. Et nous améliorons constamment notre application, actuellement avec la fonction Ask-A-Friend.» Arrivé en 2023, le nouveau «country director» pour la Suisse, Georg Strasser-Müller, également chargé de l’Autriche, assure que la collaboration avec l’industrie alimentaire ne cesse de s’améliorer et de porter ses fruits. Même si cela peut sembler compliqué, il y a donc de bonnes raisons d’espérer.

 
Résumé en chiffres: la Suisse ne peut que s’améliorer au niveau du gaspillage alimentaire 


600 fr. dans la poubelle en Suisse
Selon le WWF, en moyenne, un ménage suisse jette chaque année plus de 600 fr. de nourriture.

No 1: les ménages sont les premiers responsables
Le consommateur final représente 38% des pertes alimentaires évitables, suivi de près par les usines alimentaires avec 27%.

28% d'empreinte environnementale
Le système alimentaire représente environ 28% de l’empreinte environnementale de la Suisse.

190 kg d’aliments
C’est le poids moyen d’aliments jetés par personne et par an en Suisse.

54%, une légère majorité
Seulement 54 % des consommateurs déclarent réutiliser leurs restes. 

Par Christian Rappaz publié le 19 avril 2024 - 10:58