Etudiante en deuxième année de bachelor à l’Université de Lausanne, Elisa Turtschi est âgée de 21 ans lorsqu’elle tombe enceinte accidentellement en 2010. «J’ai pris rendez-vous chez le gynécologue pour des maux de ventre. Après une échographie, il m’apprend que je suis enceinte. C’était une très mauvaise surprise, je me suis mise à pleurer», se souvient-elle, assise en tailleur dans le salon de son charmant appartement.
De retour de la consultation, elle partage la nouvelle avec son conjoint de l’époque ainsi que deux de ses amies, mais sa décision est prise. «A la seconde où le médecin me l’a annoncé, je savais que j’allais avorter. Je n’ai pas tergiversé. J’aurais dû faire une croix sur mes projets de vie; arrêter mes études, quitter ma colocation pour trouver un nouvel appartement que je n’avais de toute façon pas les moyens de payer et ainsi de suite. Ce qui m’a le plus angoissée, ce sont les démarches à entreprendre pour une interruption volontaire de grossesse (IVG), une véritable montagne à surmonter. Je n’avais que 21 ans et aucune idée des implications médicales et financières.»
Et une barrière de taille se dresse sur son chemin: les frais d’une IVG. «Ma franchise s’élevait à 1500 francs et le coût de l’opération était supérieur à celle-ci. Etudiante, je n’avais pas les moyens de payer. J’ai donc dû le dire à mes parents, qui ont eu une réaction exceptionnelle et extrêmement bienveillante. Ils m’ont aidée à dédramatiser, ma mère s’est renseignée sur les différentes méthodes proposées. Nous avons opté pour un curetage. Elle se sentait rassurée par une intervention dans un environnement médicalisé.»
Après l’intervention, la jeune femme souffre de douleurs dans le bas-ventre, dans l’utérus et d’importants saignements. Alors, quand on lui parle d’avortement de confort, ça la fait doucement rigoler. «A tous ceux qui brandissent cet argument pour entraver ce droit, je leur suggérerais d’en faire un, juste pour voir. Physiquement, c’est dur, l’opération n’est pas anodine. J’ai dû rester à la maison plusieurs jours», confie la trentenaire avant de poursuivre, déterminée: «Si je témoigne aujourd’hui, c’est pour briser un tabou. Physiquement, ça a été dur mais je n’ai pas été «brisée» psychologiquement. J’aurais été traumatisée si j’avais eu à garder un enfant contre mon gré. Je suis reconnaissante d’avoir été bien accompagnée et soutenue moralement et financièrement. Ce n’est pas le cas de toutes les femmes.»
A la fin du mois d’août, la Lausannoise a été abordée dans la rue par des personnes récoltant des signatures pour l’initiative UDC «La nuit porte conseil». Elle lève les yeux au ciel: «Je suis sidérée qu’on en soit encore là, à devoir encore et encore discuter du droit à l’avortement. Ils m’ont sollicitée en prétextant que ma signature aiderait les femmes à obtenir un soutien psychologique. Or, ce n’est pas du tout ça, fulmine-t-elle. On n’avorte pas dans l’heure. Entre le moment où on se découvre enceinte et l’IVG s’écoulent des semaines rythmées par de multiples consultations médicales. J’aurais pu changer d’avis au moins quinze fois! Cette initiative ne sert à rien si ce n’est à culpabiliser les femmes avec des discours du type: «Avez-vous bien réfléchi? Etes-vous sûre de ne jamais le regretter?» Elle marque un temps d’arrêt et conclut: «A ces initiants, j’ai envie de répondre: si vous voulez vraiment sauver des enfants, prenez soin de l’environnement, créez plus de places en crèche et diminuez les effectifs dans les classes. Ce serait déjà un bon début.»
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