«Je vivais une vie d’éternelle jeunesse en quelque sorte, construite sur une notion d’invincibilité. En fait, pour que tout reste toujours possible, je n’avais rien choisi. Je vivais dans le voyage, dans l’excès, dans les tournées incessantes. Et à 36 ans, je me suis dit que reproduire encore et encore cette vie, c’était l’ennui et le ridicule assurés. Il fallait donc que je change un truc.
En fait, cette prise de conscience est partie d’une sorte de rituel annuel: depuis que je suis jeune, à carnaval, je vais chez mes parents à Sion et me prépare à sortir fêter la vie en me déguisant en Zorro. Maman fait ma moustache, et c’est lent et c’est long, parce qu’elle veut que ce soit fait comme il faut. Et quand je suis prêt, je traverse donc la ville en Zorro pour rejoindre mes potes dans le bistrot où le carnaval commence pour nous. Et chaque année, mes potes, en me voyant arriver, me disent «ah, t’es déguisé!», et on se marre, et on boit des coups. Mais trois ans d’affilée, je me disais, tout en marchant en Zorro à travers Sion: «Qu’est-ce que tu fais là, dans ce costume, à refaire la même chose?»
Et finalement, un jour, j’ai décidé d’enlever de ma vie ce que j’appelle toute ma culture personnelle, parce que je me disais – sans être dépressif – que je pouvais aller mieux. J’étais aussi curieux de savoir ce qui allait se passer si j’enlevais ce centre, c’est-à-dire enlever la fête, la fuite, la course dans le sens interdit, ce besoin de sensations fortes, de notoriété. Qu’est-ce que j’allais faire une fois tout ça retiré de ma vie?
Cela a dégagé du temps libre, un temps libre immeeeeeeeense! En arrêtant cette course, je suis revenu de Paris, j’ai acheté des meubles, ce que j’avais toujours refusé, car les quinze dernières années, je n’avais jamais passé une soirée chez moi. Je n’avais donc pratiquement qu’un lit, une table et des chaises. Quand j’ai acheté mon canapé, notamment, je me suis dit que c’était vraiment le comble de la sédentarité...
Ce temps énorme, je l’ai mis à profit pour réaliser des projets. J’ai lancé une marque de saucisson, un truc de long terme. Cela a vraiment été un moment charnière, ce saucisson. Je m’y suis investi comme un dingo, ce qui m’a éloigné du monde un peu égomaniaque des artistes – quoique les artisans le soient aussi dans leur genre. Et puis j’ai créé un spectacle annuel en Valais. J’ai rencontré quelqu’un avec qui j’ai fait trois enfants. En fait, c’est tout l’inverse de ce que je faisais avant, quand, tous les jours vers 17 h 30, tout s’arrête pour s’engager férocement dans la fête et dans le paraître. Oui, je m’étais jeté à corps perdu dans le métier d’humoriste, je me suis battu, suis rentré à Canal+, mais ce sont de loin les pires années de ma vie, parce que tu ne peux pas passer ta vie à te vanter par exemple d’un gag que tu viens d’inventer.
Dit autrement: quand j’ai compris que je ne ferais pas partie du premier équipage en partance pour Mars, j’ai réalisé que je devais soigner et faire grandir quelque chose de plus vrai dans ma vie.»
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