Les deux anciens chefs d’Etat socialistes se retrouvaient mardi 21 septembre à l’Université de Lausanne pour parler du concept de neutralité, suite au livre de Micheline Calmy-Rey (éd. Savoir Suisse) préfacé par François Hollande. A Dorigny, l’ancienne présidente de la Confédération nous a vite rappelé les bons et moins bons souvenirs qu’elle laissa à la presse durant ses années (2002-2011) au Conseil fédéral: «Monsieur le journaliste travaille pour un magazine people, explique-t-elle à son hôte en insistant de manière railleuse sur le mot «people». Dans son article, il va sans doute écrire quelque chose sur mes baskets», ajoute-t-elle en tendant un de ses sneakers à semelles ultra-compensées en direction du plumitif «people». Visiblement surpris par cette présentation un brin dédaigneuse, l’avant-dernier président de la République fera de son côté preuve d’une parfaite affabilité.
- Vous avez tous deux vécu le passage soudain, voire brutal, des contraintes du pouvoir au sommet à une vie normale qu’il fallait tout à coup réinventer. Comment avez-vous vécu ce bouleversement?
- Micheline Calmy-Rey: Est-ce que nous avons l’air d’être malheureux? En fait, pour ma part, j’ai eu la chance et l’honneur d’être sollicitée par l’Université de Genève dès mon retrait du gouvernement. On m’a proposé un poste de professeure invitée. Comme je n’avais jamais enseigné, j’ai dû beaucoup travailler. Cette période de transition fut donc une période très bien remplie. En fait, ce qui m’a été le plus difficile, c’est de devoir réapprendre à parler à la première personne du singulier. Car le gouvernement suisse est un collège et j’avais pris l’habitude de dire «nous» au lieu de «je».
- François Hollande: En France, la fonction présidentielle est beaucoup plus personnalisée et exposée qu’en Suisse. Le président de la République incarne plus qu’il ne représente. Quitter cette fonction induit donc un changement de vie radical. Ainsi, je me suis demandé: comment pouvais-je être le plus utile? Allais-je tenter de refaire le même parcours ou commencer quelque chose de nouveau? J’ai choisi de me consacrer principalement à ma fondation La France s’engage. Et j’écris des livres.
- Mais vous éprouvez parfois le besoin de commenter publiquement l’actualité politique. Quelles sont les limites que vous vous fixez dans ce rôle de commentatrice et de commentateur parfois critiques?
- François Hollande: La seule limite à ma liberté d’expression est simple: ne jamais nuire à mon pays. Je me permets donc de critiquer parfois mon successeur et son gouvernement, tout en gardant à l’esprit, pour l’avoir vécu moi-même, que leur tâche est très compliquée. Je dirais encore qu’il y a un tabou très précis à ne jamais transgresser en tant qu’ancien chef d’Etat: il ne faut pas critiquer son pays quand on est à l’étranger ou le critiquer auprès d’un public étranger.
- Micheline Calmy-Rey: J’estime personnellement être redevenue une citoyenne normale. J’ai donc le droit, comme toute citoyenne, d’exprimer mes idées et d’émettre des critiques parfois négatives. Mais je suis aussi tenue à respecter mes anciens collègues et mes successeurs au gouvernement.
- Et les fastes du pouvoir, cela ne manque-t-il pas quand ils disparaissent du jour au lendemain?
- Micheline Calmy-Rey: Là encore, le fait d’avoir dû apprendre à enseigner dès mon retrait du Conseil fédéral, d’avoir dû apprendre à parler à des jeunes, cela m’a tellement occupée que cette période de transition ne m’a posé aucun problème.
- François Hollande: Vous savez, les fastes du pouvoir, c’est très relatif, très superficiel. Je n’éprouve personnellement aucun regret vis-à-vis de cette cosmétique. Ce qui me manque en revanche parfois, c’est de ne plus avoir le pouvoir d’agir dans telle ou telle situation, de devoir admettre que je ne suis plus chargé de la fonction.