Des plus petits, comme ces Nepticulidae qui osent à peine 3 millimètres d’envergure, aux plus grands, dont l’atlas et le Thysiannia agrippina, qui déploient 30 centimètres de voilure d’un bout d’une aile à l’autre, le monde abrite plus de 170 000 espèces de papillons, une collection d’une incroyable diversité.
Il y a le plus effrayant, Creatonotos gangis, dont l’apparence d’extraterrestre a récemment fait le buzz sur les réseaux sociaux, le plus puant, Macrocilix Maia, qui dégage des relents de fiente d’oiseau, et le migrateur fou, comme le monarque, qui franchit plus de 4500 kilomètres. Il y a la sésie apiforme qui joue les frelons, le moro-sphinx qui connaît le secret du vol stationnaire, le Bombyx mori qui produit de la soie. Tous ou presque dotés d’une beauté aérienne, mariage de couleur et de lumière, qui fait d’eux les insectes les plus admirés du monde – mais des insectes tout de même, et donc en train de disparaître. Très vite. Leur nombre aurait diminué de 50 à 75% ces vingt-cinq dernières années, selon une étude européenne.
250 photos par image
Face à cette menace, Heidi et Hans-Jürgen Koch ont réagi en dégainant leurs appareils photos. Choisissant les espèces aux particularités les plus étonnantes, les deux photographes allemands ont voulu les immortaliser au sommet de leur beauté, dans le moindre de leurs détails, pour parvenir à capter jusqu’à leur essence.
«La macrophotographie n’ayant qu’une zone de netteté, nous avons choisi de recourir au focus stacking, soit l’empilement de mises au point, pour saisir tous les plus petits détails. Chaque image est donc constituée de 120 à 250 photos prises par une caméra montée sur un rail motorisé, qui avance par fractions de millimètres, la profondeur de champ bougeant avec la caméra. Ensuite, ces images sont «cousues» ensemble avec un logiciel ad hoc», explique Heidi Koch.
On s’en doute, l’opération prend du temps, une demi-heure au mieux, et elle est donc inconcevable sur un objet en mouvement. Pour créer leur hymne au vivant, Heidi et Hans-Jürgen n’ont ainsi pas eu d’autre choix que de photographier des papillons morts. Ils ont notamment fait appel à l’entomologiste et taxidermiste réputé Jens Jakusch, Allemand lui aussi, qui a réuni une collection de quelque 2000 espèces différentes dans son entrepôt de Konz. Sauf que… il n’était pas question pour les deux photographes de travailler sur des papillons bêtement présentés à plat, leurs deux paires d’ailes étalées, comme il est de mise pour les collectionneurs. Non! Il fallait des papillons avec des postures naturelles, comme prêts à butiner ou à se conter fleurette.
Trop fragiles pour la poste
D’où tout un travail de préparation supplémentaire pour réhydrater et positionner les spécimens, puis les faire sécher, le tout comportant un risque accru d’abîmer les fragiles insectes et de les disqualifier pour la séance photo, un dégât même microscopique, comme un poil cassé, n’ayant aucune chance d’échapper à la caméra.
«Rien n’allait de soi, se souvient Hans-Jürgen. Il fallait déterminer la posture que nous désirions montrer, expliquer ce qu’il nous fallait au taxidermiste, choisir et aller chercher les exemplaires de papillons que nous voulions en voiture, car les envois par la poste se sont révélés destructeurs, la moitié des papillons arrivant endommagés… Bref, nous étions heureux lorsque nous parvenions à réaliser une image en un jour!»
Ne reste qu’à espérer que ce très beau travail, de longue haleine et unique en son genre, ne deviendra pas le testament des magnifiques créatures que sont les lépidoptères.