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Reportage

La folle odyssée des fondeurs mongols des JOJ

Amoureux du pays des steppes, Pascal Gertsch, médecin à la retraite, s’est mis en tête de former une équipe de jeunes fondeurs mongols pour les JO de la jeunesse qui se déroulent actuellement à Lausanne. L’illustré l’avais suivi en 2018 d’Oulan-Bator au Sentier (VD). Retour sur une folle épopée.

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Pascal Gertsch explique aux quatre sélectionnés du village de Dadal, Otgonbbor (12 ans), Naranzul (13 ans), Dashdondog (15 ans) et Dyambaa (13 ans), tous vêtus du «beel», la tenue traditionnelle mongole, que c’est là, en découvrant les immenses plaines bordant leur village, qu’est née l’idée du projet des JOJ 2020. Jean Revillard / Rezo

Ils ont beau avoir surfé des heures sur la Toile pour s’imprégner des contours de nos monts ensoleillés, ils n’ont pu éviter le choc. Dans le car qui les transporte de Genève au centre sportif du Sentier, Otgonbbor, Dashdondog et leurs camarades ne perdent pas une miette des paysages qui défilent. Comme ses copains et copines, Urangoo, la plus curieuse de la troupe, bonnet vissé sur la tête et tenue sportive aux couleurs de la Mongolie impeccablement coupée, s’étonne de voir les pâturages du Jura si verts. «On nous a dit que c’était aussi l’hiver ici. Mais où est la neige?» interroge-t-elle, sceptique. A ses côtés, Zolbayr, un solide gaillard de Teshig, bourgade montagneuse du nord de la Mongolie, s’extasie devant les «belles voitures» qu’on croise en chemin. «C’est impressionnant», répète-t-il en boucle, les yeux écarquillés.

Depuis une semaine, les quinze ados mongols âgés de 12 à 15 ans venus du nord, près de la frontière russe, volent de surprises en découvertes. Tout a commencé par le regroupement que Pascal Gertsch a organisé à Oulan-Bator, capitale plus glaciale qu’envoûtante (–30°C de moyenne en hiver), où se pressent la moitié des habitants du pays (1,4 million de personnes), sous une chape de fumée grasse rejetée par les poêles à charbon. Une première pour les présélectionnés du projet Lausanne 2020, un énorme soulagement pour l’ancien médecin des Diablerets. Car rien n’a été simple pour faire venir ses jeunes protégés et leurs deux entraîneurs jusqu’à l’avion qui les a emmenés en Suisse, où ils séjourneront jusqu’au 30 janvier. Tous ont finalement rallié le rendez-vous après de longues heures de route et de pistes balayées par le vent et le froid. Et puis, il a fallu obtenir les visas via l’ambassade de la République tchèque, à laquelle notre pays a confié sa représentation. Un parcours du combattant commencé en septembre et bouclé à moins de douze heures du départ, grâce à un coup de pouce salvateur du DFAE.

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Puis c’est au tour des gardes-frontières, drapeaux suisse et mongol enlacés, d’adresser un ultime salut en direction des 4x4 qui s’enfoncent dans les steppes.

Jean Revillard / Rezo

Gengis Khan et le coup de foudre

Mais pour Pascal Gertsch, qui carbure à l’amour et à la passion, rien n’est impossible. Son aventure a commencé il y a six ans, lorsqu’il réalise l’un de ses rêves: sillonner l’Asie en 4x4 en assurant l’intendance de trois de ses copains qui le devancent en… 2 CV! Pour lui, la traversée de la Mongolie, le pays du cheval roi, par le désert de Gobi agit comme une révélation. De passage à Khovd, une ville adossée aux montagnes de l’Altaï, il dépose du matériel médical à l’hôpital, qui en manque cruellement. Bouleversé par l’accueil et la chaleur des gens, ébloui par l’exceptionnelle beauté des paysages et la sérénité qui s’en dégage, c’est le coup de foudre.

Il reviendra neuf mois plus tard. Puis en janvier 2016, l’année où tout bascule. «Je voulais à tout prix voir ce pays en hiver. Après bien des péripéties, je suis arrivé au village de Dadal, où j’ai été accueilli par le colonel des gardes-frontières local. Celui-ci m’a emmené sur les contreforts alentour, désignés par les historiens comme le berceau de Gengis Khan, le héros national. Quand mon regard s’est perdu dans les steppes infinies, où l’on voit l’horizon très lointain vous sourire, je me suis dit que s’il y avait un endroit au monde taillé pour le ski nordique, c’était bien là. Un avis partagé par mon «guide», à qui j’ai aussitôt proposé de créer un Trophée Gengis Khan. C’est ce jour-là que le projet des JOJ a germé dans ma tête», raconte l’ancien champion universitaire, étreint par l’émotion.

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Jamais à court d’idées et encore moins en panne de dynamisme, Pascal Gertsch s’est donc mué au débotté en préparateur physique.

Jean Revillard / Rezo

–37 °C mais pas de neige

Adepte de la philosophie d’Ella Maillart, la célèbre voyageuse suisse qui estimait que courir le monde ne sert qu’à tuer le temps si l’on ne fait pas quelque chose de plus, Pascal Gertsch retrouve le village et son nouvel ami six mois plus tard. Ses bagages sont chargés de matériel de ski destiné à l’embryon d’équipe que le colonel a formé. L’aventure peut commencer. Janvier 2018: c’est encore là, à Dadal, que le Vaudois originaire de Lauterbrunnen nous a donné rendez-vous. Le dimanche 7, avant midi, a-t-il insisté, histoire de pouvoir assister à la deuxième édition du Trophée. Après un périple de 700 km, dont la moitié à travers les steppes et les cours d’eau gelés, nous pointons dans les délais. Mais il y a un léger problème. Si la température frise les –37°C, il n’y a pas un gramme de neige. L’événement tombe donc à l’eau (!).

En guise de consolation, on nous transporte sur la rivière voisine, où se déroule un tournoi de lancer d’osselets. Du curling version mongole où une petite pièce métallique remplace la pierre alors que d’étroits cylindres placés à 80 mètres de là font office de maison. Les quatre jeunes présélectionnés de Dadal pour les JOJ s’en donnent à cœur joie. «J’en voulais quatre du village où tout a commencé. C’était ma seule exigence», confie Pascal Gertsch, en serrant le plus jeune d’entre eux, Otgonbbor (12 ans), contre lui.

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Et après l’effort, le réconfort pour nos quatre sélectionnés, bien au chaud dans la petite maison des parents de Dyambaa.

Jean Revillard / Rezo

Des banques à Roger Federer

Nous profitons de la fin de l’après-midi pour rencontrer la famille d’un des jeunes élus. Bayrmaa et Battisshin, les parents de Dashdondog, nous attendent devant leur petite maison de bois, le sourire aussi lumineux que leur costume traditionnel. A l’intérieur, le fourneau surchauffe l’unique pièce du foyer. La table est dressée. C’est une tradition. En Mongolie, un moment de partage se déroule forcément autour d’un repas. Le thé au lait de yack discrètement salé accompagne un brouet composé de légumes et de viande de bœuf bouillie. A moins que cela ne soit du mouton, de la chèvre, du cheval ou même du chameau.

Puis la maîtresse de maison, qui avoue ne rien savoir de la Suisse hormis la réputation de ses banques et de… Roger Federer, dépose sur la table sculptée un plat de buzz, des raviolis fourrés à la viande de mouton, qu’elle vient juste de confectionner. Au dessert, des confitures de baies sauvages accompagnent le borzug, sorte de cuisse de dame non sucrée. Un menu riche en calories et en graisse qui permet aux Mongols d’affronter les rigueurs de l’hiver. D’autant plus riche que le nouveau colonel de la garnison locale nous fera l’honneur d’un repas de bienvenue à peine deux heures plus tard. La vodka en plus.

Rebelote le lendemain dans les yourtes des autres parents, qui vibrent aux rires de leurs occupants malgré des conditions de vie aussi rudes que rudimentaires. Tous se disent heureux et fiers de l’aventure qui attend leurs enfants. «Au début, on ne comprenait pas trop et on n’y croyait pas vraiment. On se disait que c’était juste un conte de fées. C’est maintenant, alors que notre fille s’en va, que nous réalisons enfin ce qui arrive», confie Renchinnorov, le papa de Naranzul, la larme à l’œil. «Nos enfants sont très chanceux et nous consentirons les sacrifices qu’il faut pour qu’ils réussissent en 2020 et après. Pascal va faire d’eux des champions», enchaîne Dulamkhand, sa souriante épouse.

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Pascal Gertsch a procédé à la distribution du matériel sur le terrain de foot du centre sportif du Sentier. Trois paires de skis et deux paires de chaussures par personne.

Jean Revillard / Rezo

Idéaliste ascendant utopiste

A la caserne, le colonel ne fait pas les choses à moitié. Après un repas d’adieu bien arrosé, histoire de digérer la marmotte cuite de l’intérieur au moyen de gros galets préalablement chauffés dans la braise, il a rassemblé toute sa garnison pour marquer le départ de Pascal Gertsch et des jeunes. Une cérémonie haute en couleur et en émotion qui a le mérite de réchauffer l’atmosphère glaciale. Avant de prendre congé, nous sommes invités à boire un bol de lait, pour que notre route soit aussi immaculée que sa couleur. Un rituel répété à la sortie du village, repas et vodka en prime, comme il se doit.

C’est dans ce culte de l’authentique, et dans la relation si particulière que les trois millions de Mongols, éparpillés dans un pays grand comme deux fois et demie la France, entretiennent avec leur terre et leurs troupeaux, que Pascal Gertsch dit puiser son énergie et sa foi. Son amour des enfants et sa passion du ski de fond font le reste. Depuis dimanche, ce sacré toubib de bientôt 72 ans, qui se décrit comme un idéaliste ascendant utopiste, écrit une nouvelle page de cette fabuleuse histoire. La suite du conte de fées qui devrait conduire au minimum deux de ses «gamins», et au maximum six, sur ces mêmes pistes de la Thomassette, au Brassus, dans deux ans presque jour pour jour. «On va y arriver», décrète-t-il. A voir la motivation et la volonté d’Otgonbbor, de Dashdondog et de leurs copains, on n’en doute pas une seule seconde.

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Privée d’or blanc et donc d’entraînement de ski – la Mongolie n’est pas épargnée par le réchauffement climatique – la petite équipe a dû trouver d’autres solutions pour rester en forme.

Jean Revillard / Rezo

Par Rappaz Christian publié le 18 janvier 2020 - 02:46, modifié 18 janvier 2021 - 21:07