Elles vont toujours par trois, comme les mousquetaires ou les petits cochons. Sauf qu’avec elles, le grand méchant loup du conte n’a qu’à bien se tenir. Elles vous saisiraient la bestiole en un «tour de hanche», lui appliqueraient un bon «stöckli», ou une «coquille», quand ce ne serait pas un «brienz» ou un «stich debout». Autant de passes (il en existe une centaine) de la lutte à la culotte, une discipline qui est au sport ce que le cor des Alpes est à la musique: typiquement suisse.
Si elle était pratiquée aux origines par de musculeux paysans ou bergers aux mollets saillants, aujourd’hui, les femmes réclament leur droit à se rouler dans la sciure. Il suffit de rencontrer les sœurs Foulk pour s’en assurer.
Devenir reine
La «prise de tête», c’est la passe favorite de Yolanda, qui a fêté ses 20 ans le 17 septembre. C’est aujourd’hui la mieux classée des trois pour espérer devenir reine à la prochaine Fête fédérale de lutte féminine le 29 septembre à Menznau (LU). «C’est mon rêve, mais je ne veux pas trop y penser», confie celle qui se destine à devenir infirmière. Pour poser sur sa tête la couronne de feuilles d’or et gagner un magnifique toupin (ou encore une vache), Yolanda devra battre plusieurs adversaires, dont la tenante du titre, Diana Fankhauser. «Je l’ai déjà battue, mais c’était à l’entraînement», confie Yolanda, qui pointe actuellement en 6e position au classement annuel.
Pour gagner, il va falloir intensifier ses attaques. «L’attaque, c’est souvent ce qui manque aux filles, relève Brigitte, 22 ans, couturière de son état quand elle enlève sa culotte de toile. Au club d’Estavayer-le-Lac, où on s’entraîne, nous sommes les seules filles, c’est une chance, car on lutte contre les garçons, qui sont plus agressifs.»
Brigitte, avec son mètre 73 et demi et ses 60 kg, est la plus frêle des trois. Les gabarits ne sont pas pris en compte dans la lutte suisse, contrairement au judo ou à la boxe. Même si les rois et reines de cette discipline n’ont généralement pas des morphologies de sauterelles, des différences existent. Il est arrivé à Yolanda de lutter contre une fille de 1 m 93. Difficile de faire un jeté de hanche avec une géante, il faut s’adapter, trouver une autre passe.
Peu de Romandes
Lynda, bientôt 19 ans et future cuisinière, se targue d’avoir déjà battu des garçons en compétition. Elle aimerait promouvoir son sport auprès des jeunes; sur 200 lutteuses aujourd’hui, il n’y a qu’une vingtaine de Romandes.
Et quand on demande aux trois jeunes femmes si la rivalité existe entre elles, la réponse ne se fait pas attendre. «Aucune», affirment Brigitte et Lynda, alors que Yolanda avoue pour sa part détester perdre, même contre ses sœurs.
Il est très rare néanmoins que les trois sportives s’affrontent en compétition, les joutes étant interclubs. «Mais c’est arrivé dans un combat au Val-de-Travers. J’avais fait mal à Lynda, qui s’est mise à pleurer. Du coup, j’étais en panique totale et j’ai aussi pleuré», se souvient Yolanda.
Affaire de famille
On les regarde poser la tête sur la sciure puis basculer vers l’avant, ce qui dénote une sacrée souplesse. C’est leur frère qui a pratiqué en premier ce sport. Elles ont suivi. Leur père est également directeur technique de l’association féminine de lutte et le compagnon de Brigitte est un ex-lutteur. On reste en famille. «Quand on passe une bonne partie de son temps libre à sillonner la Suisse pour participer à des compétitions, ceci explique cela», sourit Brigitte.
Qu’elles gagnent ou pas dans les prochaines compétitions, elles ne vont pas raccrocher leur culotte de sitôt. «Quand on ne lutte pas pendant deux ou trois semaines, ça nous manque!»