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Société

Féminicide de Courfaivre: encore un drame qui aurait pu être évité 

Mélanie Keller, maman de trois enfants, a été tuée par son mari en octobre 2019 dans le Jura. Sa sœur, qui se bat désormais pour une meilleure protection des femmes de ce pays, raconte la femme qu’elle a été avec ses rêves et ses espoirs. Brisés par la folie d’un homme. 

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Mélanie Keller

Mélanie Keller adorait les animaux. Elle avait repris avec son mari en 2014 le zoo de Crémines, dans le Jura bernois. Elle se produisait devant le public lors de démonstrations de fauconnerie. Un an avant sa mort, elle avait encore adopté une fouine.

Facebook Fauconnerie Keller

C’était une belle femme solaire de 38 ans, une maman de trois enfants qui avait une vie avant le drame, des projets, qui adorait la fête, danser, les rires, Kendji Girac et Jennifer Lopez. «Tout ce qui ramène à la vie», confie Géraldine Marquis, sa sœur, qui nous a reçus chez elle pour honorer la mémoire de cette petite sœur aimée. Mélanie a été retrouvée morte le 21 octobre 2019 dans la maison familiale de Courfaivre, dans le Jura. Son mari l’a égorgée avec un couteau de chasse avant de se donner la mort. Une des nombreuses femmes victimes de la folie d’un homme, et les récents drames survenus en Suisse romande témoignent que la liste ne s’est malheureusement pas arrêtée avec la mort de Mélanie. C’est une des raisons qui poussent aujourd’hui Géraldine à témoigner depuis son domicile lyonnais, où la Jurassienne vit depuis peu.

Dans le salon, la photo de Mélanie est toujours en bonne place. La ressemblance entre les deux sœurs est frappante. Mélanie était la dernière de quatre filles. Chouchoutée par ses aînées. Géraldine se souviendra toujours de ce coup de téléphone au matin lui annonçant l’impensable. Et ce qui ajoute encore à l’horreur d’un tel drame, c’est que c’est Kylian, le fils de Mélanie, qui a découvert les corps avec une de ses tantes. «Comment un père peut-il faire cela? Il savait que son fils allait rentrer à la maison. On n’enlève pas une vie. Je ne pourrai jamais lui pardonner. Pourtant je l’ai aimé et soutenu. Mais c’était un homme qui décidait de tout; le jour où il a perdu le contrôle sur Mélanie, il l’a tuée!» 

Mélanie allait justement informer ses enfants qu’elle allait se séparer de leur père après vingt ans de mariage. Une femme de caractère, oui, mais sous emprise. D’un homme qui ne se gênait pas pour la dénigrer souvent en public. Notamment en se moquant de sa dyslexie.

Géraldine Marquis, soeur de Mélanie Keller et fondatrice de l'association Mel

Géraldine Marquis, une des trois sœurs de Mélanie, se bat aujourd’hui avec l’association Mel, qu’elle a créée, entièrement financée par des dons privés, pour que la loi suisse soit plus sévère envers les auteurs de violences conjugales.

Karine Bauzin

Jeune épouse sous influence


La jeune femme avait rencontré son futur mari très jeune. Ouvrière à l’usine de montres de Glovelier, elle a passé en somme du domicile familial à celui de son mari. Elle a 19 ans à la naissance de Kylian, son premier enfant, puis Léna et Tycia suivront en 2002 et en 2006.«Les cinq dernières années de son mariage, elle avait commencé à se rebeller, confie Géraldine. A lui rentrer dans le cadre.» Elle décrit avec émotion une petite sœur particulièrement solaire mais à laquelle une ombre était toujours accrochée, celle de Christophe. 

Au printemps 2014, le couple s’était pourtant offert un nouveau défi professionnel et familial. Reprendre le Siky Ranch de Crémines, dans le Jura bernois. «Chic, on s’est payé un zoo», pouvait-on lire dans un article du «Matin» qui avait interviewé les nouveaux propriétaires. Mélanie Keller adorait les animaux. Un an avant sa mort, elle avait adopté une fouine et s’était prise de passion pour le travail de fauconnière, lors de shows qu’elle présentait en public avec son mari. Jusqu’à la faillite de l’établissement. Qui a certainement pesé également sur l’ego de Christophe Keller. Les repreneurs ont gardé Mélanie. Pas lui.

La crainte de ne pas être entendue


Les photos de sa sœur défilent sur le portable de Géraldine. Elle-même a travaillé au restaurant du zoo avec sa sœur. Sa voix tremble un peu, car «c’est encore présent trois ans et demi après, et ce sera toujours là. Je ne voudrais pas, d’ailleurs, qu’on m’enlève ce chagrin, car j’aurais peur qu’on m’enlève Mélanie. Cette douleur, c’est la preuve qu’elle est encore là!» 

L’aide-soignante en reste persuadée: ce drame aurait pu être évité. Si on avait pris au sérieux la menace qui pesait sur sa sœur. Une semaine avant sa mort, Christophe lui avait fait croire qu’une de leurs filles avait besoin d’aide. Mélanie était montée confiante dans la voiture. Il la violera deux fois en bordure de forêt sous la menace d’une arme factice. «T’inquiète pas, on va pas se séparer», lui dira Mélanie pour qu’il la relâche. Elle filera se réfugier chez sa voisine avec ses enfants et déposera plainte pour menaces, séquestration et viol. 

«Quand elle est sortie du poste de police, raconte Géraldine, Mélanie n’avait pas eu le sentiment qu’on l’avait crue. Tout a été minimisé, nous vivions dans un village où tout le monde se connaît, comme ce policier qui a tapé sur l’épaule de Christophe en lui disant simplement: «Fais pas le con!» 

Une mesure d’éloignement sera néanmoins prise à son encontre, qui va soulager la mère de famille. Mais, le mardi suivant, Mélanie a commencé à avoir peur, car elle avait appris que Christophe venait de demander une arme à ses copains pour aller à la chasse le lendemain. «Protégez ma sœur!» C’est le cri du cœur que Géraldine va lancer plusieurs fois par téléphone au Ministère public. «Il fallait l’incarcérer. Pour moi, il était particulièrement dangereux à ce moment-là, car il avait compris qu’il allait perdre définitivement Mélanie, sans parler de la plainte pour viol qui lui vaudrait à coup sûr la prison.» Un constat qui ne fut pas celui du nouveau procureur chargé de l’affaire. «Votre jugement est faussé, Mme Marquis, lui rétorquera-t-il. S’il avait voulu la tuer, il l’aurait fait samedi dernier!» 

Marche en mémoire de Mélanie Keller, tuée par son conjoint

Le 25 octobre 2019, quatre jours après la mort de Mélanie, une marche blanche a rassemblé les habitants de Courfaivre. Tout le monde se connaissait dans ce village du Jura.

Vincent Donzé/lematin.ch

Une association au nom de Mélanie


L’ordonnance de classement du procureur extraordinaire nommé pour faire la lumière sur les circonstances du drame, qui arguait du caractère imprévisible de l’homicide et du fait que l’omission d’agir n’est pas fautive, reste toujours en travers de la gorge de la Jurassienne. La famille fera appel mais sera déboutée en 2021. Kylian, le fils de Mélanie, portera l’affaire jusqu’au Tribunal fédéral, mais l’instance suprême lui dénie en septembre 2022 la qualification juridique pour le faire, se prononçant non sur le fond mais sur la forme. «C’est incompréhensible, s’insurge Géraldine avec une mimique véhémente, quel lien faut-il avoir pour être légitime?» Un couperet juridique vécu, assure-t-elle, «comme un deuxième assassinat». Aujourd’hui, Kylian Keller a porté l’affaire au civil. Lui-même ne tient plus à s’exprimer sur ce drame qui a fait couler beaucoup d’encre. «Je veux me concentrer sur mon futur et mes études», nous a-t-il fait savoir par e-mail. 

Le bien-être de leurs neveux, âgés aujourd’hui de 22, 20 et 17 ans, c’est bien sûr le plus important pour Géraldine et ses deux sœurs. «Après la mort de leurs parents, ils sont allés vivre chez ma sœur aînée. Ils vont bien et tous ont une formation professionnelle. Bien sûr, c’est difficile d’imaginer qu’ils devront dire un jour à leurs enfants: «Grand-papa a tué grand-maman.» Mais ils sont forts, ils vont de l’avant, Mélanie leur a transmis sa force. Je lui dis souvent là où elle est: «Tu peux être fière d’eux!» 

Et puis, pour que la mort de Mélanie ne soit pas vaine, Géraldine a fondé l’association Mel. Pour aider les femmes victimes de violences conjugales, pour contribuer à ce que les choses changent sur le plan judiciaire et politique. Une centaine de personnes ont déjà fait appel à elle et, tout récemment, une femme dont le mari est en préventive, mais va bientôt sortir, l’a contactée. Trois femmes ont déjà un système d’alarme relié à une agence de sécurité à la maison. «Vous ne pouvez pas imaginer le soulagement que cela représente de ne plus avoir peur quand on est chez soi. Je me souviens que Mélanie m’avait dit un jour que son souhait le plus cher était de contempler un coucher de soleil sans avoir peur.» L’association Mel se bat aussi pour que la Suisse prenne exemple sur l’Espagne, qui a beaucoup investi pour la protection des femmes. Notamment avec l’obligation pour les hommes de porter un bracelet électronique qui permet aux femmes, munies d’un boîtier, d’être alertées s’ils s’approchent d’elles. «Deux mille cinq cents femmes en sont équipées en Espagne et elles sont toujours vivantes!» Aux yeux de Géraldine, l’avant-projet de loi du canton du Jura sur ce thème aurait dû inclure ce système. «La peur doit changer de camp, un type qui bat sa femme doit savoir qu’il sera mis en prison.» 

Mémorial en hommage à Mélanie Keller

Le 25 octobre 2019, quatre jours après la mort de Mélanie, une marche blanche a rassemblé les habitants de Courfaivre.

Vincent Donzé/lematin.ch

Jules, le chien de Géraldine, fait soudain irruption dans le jardin attenant à son appartement. Un bouledogue anglais adoré de Mélanie. Et qui a beaucoup contribué à aider sa maîtresse à se reconstruire après ce deuil. Géraldine a gardé sa foi en Dieu et même en l’humain. Elle croit aussi en une force supérieure, en quelque chose qui continue à vivre après la mort. A l’heure de celle de Mélanie, et le jour de l’enterrement, alors qu’elle écrivait le discours d’hommage à sa sœur, Jules a eu un comportement pour le moins atypique. «Il a levé les yeux vers le ciel et s’est mis à pleurer. Pour moi, ce sont des signes, Mélanie est encore quelque part avec nous!»

>> Pour soutenir l’association Mel: IBAN CH3980808008388725660

Par Patrick Baumann publié le 19 juillet 2023 - 09:29