«J’ai mis du temps à faire le tri, mais l’un des événements qui ont été décisifs pour moi dans ma vie fut un reportage dans la Silicon Valley en l’an 2000. On parlait alors de «nouvelle économie» et c’était clair qu’il se passait là-bas quelque chose de différent. J’ai convaincu mon boss d’alors, Patrick Nussbaum, rédacteur en chef à la RTS radio, de m’envoyer sur place. Il n’y avait pas encore vraiment de grosses boîtes mais surtout une myriade de petits acteurs qui s’agitaient autour de ce truc encore nouveau appelé internet.
Deux choses très originales émergeaient alors dans ce coin de Californie: un nouveau secteur autour du numérique, bien sûr, mais surtout un nouveau type d’entrepreneuriat bâtissant un monde nouveau. Avec des entrepreneurs levant des fonds sans business plan et où une simple idée pouvait valoir des millions. C’est par exemple Pets.com, qui avait suffisamment de moyens pour devenir sponsor principal du Super Bowl alors que ce site d’e-commerce n’avait pas encore vendu la moindre laisse ou le moindre collier de chien. J’ai réalisé un reportage et rapidement la bulle internet a éclaté en mars 2000. J’y étais un mois avant le déclin, qui n’a été qu’un épiphénomène, au final. On se demandait alors comment Google et les autres feraient de l’argent! Il a fallu être patient: des boîtes comme Amazon ont mis presque vingt ans à être bénéficiaires.
Mais j’en avais trop vu pour me rendre compte que ce n’était pas juste un feu de paille. Approcher cet écosystème m’a guidé professionnellement les vingt années qui ont suivi. Ma carrière de conseiller national était directement liée à ça. J’avais parlé avec Patrick Aebischer, alors président de l’EPFL, avant de me lancer en politique. Il m’avait encouragé à sensibiliser les parlementaires à la révolution fondamentale en cours.
Comme conseiller national de 2011 à 2019, j’ai voulu faire intégrer cette révolution numérique dans les plans de la Confédération. Et depuis mon premier reportage de 2000, je suis retourné chaque année en Californie, hors de la période de covid. Comme en 2008, au début de la crise des subprimes, nous avons réalisé une émission autant dans leur représentation numérique que physique. J’étais avec ma fille à New York cet été et là, elle était proche de ses copines pendant tout le voyage par ses réseaux sociaux. J’aurais pu lui dire qu’à mon époque, on coupait vraiment avec ses amis pendant l’été et qu’une carte postale alors suffisait... Mais pour être parfaitement honnête avec elle, il aurait fallu rajouter qu’à l’époque, loin des potes tout l’été, qu’est-ce qu’on s’emmerdait quand même!»
Son actu
Fathi Derder est directeur exécutif de la Swiss Digital Initiative, anime chaque mercredi «Drôle d’époque» sur La Première et produit tous les mois des portraits d’entrepreneurs en vidéo pour le magazine «PME».