C’est une exquise petite dame qui descend du train à Lausanne. Sur le quai, l’attendant, Fanny Smith est là, pimpante, un soleil de printemps.
La dame est sa grand-maman, qui arrive de son village d’Ollon (VD). Elles se retrouvent, s’embrassent, se glissent des petits mots.
Elles ont leurs valises, elles se préparent à partir ensemble pour une semaine de vacances en Crète, en copines. «Mammy Betty» a 88 ans, Fanny 25. Elles s’adorent. Il y a un mois, quand la championne de skicross a gagné sa médaille de bronze aux Jeux olympiques de Pyeongchang, c’est à sa Mammy qu’elle l’a dédiée: «C’est venu comme ça, sur le moment.» Dans son appartement chablaisien, au milieu de la nuit, Betty a été un peu étonnée. Pas tant que cela, tant elle sait que sa Fanny pense à elle.
Maintenant, gaies comme des rossignols, elles boivent un thé dans un restaurant du bord du lac. Fanny remet une mèche de cheveux de sa lady en place, la prend par l’épaule. «C’est autant une amie qu’une grand-maman. Elle a toujours été très présente, elle m’a donné plein de force. Et puis j’adore l’écouter. Quand quelqu’un est capable de te raconter des histoires fantastiques sur ta propre famille, c’est magnifique.»
Des histoires, Mammy Betty, mémoire d’acier et delicious accent British, en possède tant. «J’ai eu une enfance difficile et une vie mouvementée, cela forge le caractère.» Intarissable, elle dit sa jeunesse à Manchester, la Seconde Guerre passée sous les bombes, parce que leur maison se situait près d’une entreprise qui servait de cible. Elle dit ces héros que furent son père et son grand-père; ils ont traversé les deux conflits mondiaux et le grand-père, capitaine de marine, a osé moult allers-retours en bateau jusqu’en France, au péril de sa vie. Frondeuse, elle se souvient aussi que «nous, les enfants, nous prenions nos vélos, nous allions chercher les plus beaux éclats d’obus et nous faisions des expositions». Elle dit aussi son père mort à 48 ans et sa mère à 52. A 25 ans, elle s’est retrouvée à la rue et sans parents, à devoir gagner sa vie. Fanny acquiesce: «C’est une femme forte, nous sommes toutes les deux des fonceuses.» Attention, la grand-maman a ses fidélités. Si elle vit depuis plus de soixante ans en Suisse, avec une douzaine de déménagements, pas question de vouloir la nationalité helvétique: «Oh no, jamais! Ce serait trahir mes parents.»
Jeune fille au pair à Fribourg
La Suisse, elle y est arrivée dans les années 60, à Genève, pour un emploi de secrétaire dans l’agence Thomas Cook puis chez Air India. Au sol, car elle était trop petite pour devenir hôtesse de l’air. «J’avais un léger pécule. Avec cela, je n’achèterais pas un frigidaire aujourd’hui.» Elle a travaillé jusqu’à 76 ans, a même été jeune fille au pair dans la famille Joye, à Fribourg. «Je me suis ainsi occupée du futur conseiller d’Etat genevois Philippe Joye et de son frère (ndlr: un fait divers célèbre: ces jumeaux furent d’abord séparés à la naissance à la suite d’une méprise). La famille m’avait choisie parce que je dansais à pieds nus sur une photo.» Elle a son caractère: zut, il ne fallait pas dire qu’elle était secrétaire… «Oh, j’ai détesté cela. Si mes parents avaient vécu plus longtemps et eu plus d’argent, j’aurais fait une école d’art et du tennis comme loisir.»
Fanny écoute avec attendrissement ces histoires qu’elle connaît déjà. Elle a commencé à rendre visite à sa grand-maman vers l’âge de 13 ans, quand elle allait à l’école à Ollon. «J’aime le thé, j’aime papoter. Une année, je suis restée tout un été. Avec elle, je partageais beaucoup de secrets de ma vie privée. Nous avons le même caractère. Le goût pour le risque et la compétition, j’ai pris cela d’elle. Et puis on discute de trucs de filles, on aime les belles choses, le shopping, les bijoux.» La première fois que Fanny a été invitée aux Swiss Awards, sa grand-mère a été passionnée: «Si tu y retournes, j’ai vu la robe qu’il te faut!» Betty ponctue: «Chez Fanny, tout me plaît. Elle est belle, généreuse, peut-être un peu naïve. Moi, je n’ai confiance en personne, même pas en vous, journaliste…»
Pendant les courses de Fanny, Betty est si nerveuse qu’elle éteint souvent son poste de télévision et marche en long et en large dans son appartement, puis elle envoie un message, toujours. Mais la finale des Jeux, elle l’a vue quatre fois. Avec joie, même si elle ne cache pas une belle rogne envers les skieuses canadiennes. Fanny rigole, tempère. «Ça, on ne dit pas, Mammy…»
Alors elles rient, fort et longtemps. Et se réjouissent de leurs vacances. La grand-maman: «J’ai pris un sac à dos, des baskets, quatre costumes de bain mais aucune robe. Pas question de s’allonger sur des chaises longues: on va bouger, visiter, faire du training. Si vous voyiez comme Fanny fait tout à toute vitesse! Avec elle, une tasse de thé est prête en un clin d’œil, avant que j’aie commencé à réfléchir.» Puis, sur un ton plus doux: «Vous savez, mes trois petits-enfants, Lou, Fanny et Thibault, sont ma raison de vivre.»
Presque oubliés, le sport et les médailles. L’histoire raconte le lien qu’une grand-maman peut entretenir. Le regard d’amour inconditionnel porté sur sa famille. Une façon de dire: chérissez vos grands-parents, ils sont ultra precious. Bonnes vacances, Betty et Fanny.