S’il fallait trouver une image pour raconter Fanny Smith, elle serait champagne. Un pschit prometteur, dynamique et rapide comme un bouchon qui saute, rire cristallin et léger, intelligence subtile, humour pétillant. Tel un bon vin, la Vaudoise n’a pas besoin de se faire mousser: les faits sont là, sa saison 2018-2019 fut triomphante, spectaculaire, magistrale.
C’est le printemps, et voilà maintenant deux semaines que Fanny Smith a terminé sa saison. Côté moisson de ce dixième hiver de professionnelle du skicross, l’enfant de Villars a fait fort: quelque part chez elle, dans une mallette argentée, un globe de cristal, le deuxième de sa carrière, vient récompenser ses 7 podiums en Coupe du monde cette année.
Oubli
A l’heure de nous rencontrer pour une interview, avant un passage sur un plateau de télévision, le trophée est pourtant resté à la maison. Cruellement délaissé dans le hall. «Je ne sais pas ce qui s’est passé, je l’avais exprès mis dans l’entrée, avec mon sac à main posé dessus, mais j’ai quand même réussi à l’oublier. Mon agent va me tuer!»
Si elle a la tête à l’envers, Fanny, c’est peut-être parce que, après ces dix semaines intensives de courses, après la grande finale à Veysonnaz, le 15 mars dernier, la voilà enfin de retour au pays. Une pause, une respiration, et puis c’est reparti: l’entraînement et la préparation sportive, le labeur, squats, équilibre sur un ballon, vitesse, précision et force.
Pas de place pour la paresse
Depuis deux semaines, Fanny partage son temps entre son pied-à-terre dans la campagne vaudoise et son petit chalet aux volets rouges à Villars, avec vue sur les Dents-du-Midi, «le plus beau panorama du monde».
«Quand la saison se termine, j’en profite pour enchaîner directement avec les tests de matériel, et aussi le retour à la dure réalité de la gestion de mon administratif, puisque pendant la saison je mets tout de côté», grimace-t-elle.
Ces jours, la jeune femme jongle avec les demandes des médias, la soirée avec son fan-club dans la station de son cœur, les allers-retours entre plaine et montagne, des coucous aux copines, quelques descentes à skis «pour le plaisir» et une virée en stand-up paddle sur le Léman pourtant encore frais. Fanny Smith n’est pas du genre à paresser sur son canapé. «Je suis devenue professionnelle en skicross à 16 ans. Je vis seule depuis mes 18 ans. Pendant longtemps, j’ai eu l’habitude de tout gérer par moi-même.»
En 2017, la skieuse a rejoint le management de Swiss-Ski. Le travail en équipe, avec toujours une bonne dose d’indépendance, voilà peut-être l’une des raisons du succès de sa saison. «Il a fallu trouver un équilibre, une manière de fonctionner ensemble. Aujourd’hui, je travaille avec deux préparateurs physiques, un agent et un responsable de communication et, en hiver, je profite de la présence d’un skiman et des trois entraîneurs de la fédération de ski. Je me sens très épaulée et soutenue.»
«Tant que je ne me blesse pas…»
Fanny l’athlète est aussi patronne de PME. «Bien sûr, il y a des salaires et des factures à payer, un revenu à gagner. Je vis du ski, mais je n’ai pas de salaire au mois: tout dépend des sponsors et des résultats, des mécènes, amis de la famille, qui nous aident, aussi. Mais je n’ai pas de gros besoins personnels et tant que je ne me blesse pas, tout va bien.»
Le skicross n’est pas un sport de moineaux délicats, pourtant Fanny Smith n’estime pas faire un métier à risques. «Je ne pense jamais aux blessures. On se prépare pour être en forme et éviter les chutes.» Un entraînement individualisé lui a justement permis d’écouter son corps, le tempo de son métabolisme. «A partir d’un certain niveau, il faut construire sa préparation autour de ses propres besoins.» Il y a deux ans, «c’est arrivé d’un coup», la skieuse éprouve des vertiges et de fortes baisses de tension à l’entraînement. «J’ai consulté plein de médecins, fait une batterie d’examens, mais rien n’expliquait ces sensations.»
Stop à la salade
La médecine chinoise propose une solution: «J’ai complètement revu mon alimentation, raconte la championne. En hiver, je bannis le sucre de mon régime alimentaire et la salade: le sucre pour éviter les coups de boost et l’hypoglycémie et la salade parce que mon organisme met trop d’énergie à la digérer.»
A seulement 26 ans, 27 le 20 mai prochain, Fanny Smith, autrefois bébé du skicross, a déjà un parcours de vétéran, dont trois participations aux Jeux olympiques. La jeune fille est devenue une femme. «Mon corps est mon outil de travail: en prendre soin, c’est nécessaire. Je ne sais pas ce que j’aurais fait si je n’avais pas fait du ski mon métier. Contrairement aux difficultés que j’ai pu rencontrer à l’école, avec ma dyslexie, dans le sport, quand je travaille, c’est payant.» Et la passion, le plaisir et la motivation sont toujours là. «J’adore toujours autant ce que je fais. Mais après dix ans, une certaine routine s’installe. J’ai un peu perdu la folie des débuts, le côté insouciant. Après les Jeux de Sotchi, j’ai eu besoin de temps pour moi, d’un peu d’oxygène pour que l’entraînement soit plus ludique.»
Nouveau programme
Avec ses préparateurs sportifs, Fanny a conçu un nouveau programme d’entraînement avec un voyage toutes les quatre semaines, pour travailler son corps ailleurs, dans d’autres contrées, avec des amis athlètes. «Il y a eu la Corse, la Pologne, et Fuerte Ventura, énumère-t-elle. J’ai fait de la course, du surf, du vélo, du paddle. Ce n’était pas des vacances, mais c’était top!» Dans la recette du succès, l’air du large et la diversité ont compté comme ingrédients indispensables.
Pour la saison à venir, Fanny compte bien remettre cela. «Je me vois tout à fait continuer au moins jusqu’aux JO de 2022 en Chine.» L’âge est une vue de l’esprit et Fanny a de qui tenir: sa grand-mère Betty, 90 printemps, est un modèle. «J’oublie qu’elle est si âgée. On part bientôt les deux en vacances en Espagne et j’ai dit à mon copain que je prendrai les raquettes de tennis de plage. Ça l’a bien fait rigoler!»
Après l’Espagne, la sportive s’envolera pour Tahiti, un voyage en amoureux sous les tropiques. La suite, l’après-ski, il n’en est pas question. «Ou alors c’est qu’on parle d’apéro», pouffe-t-elle. Le globe de cristal pourrait bien alors se transformer en flûte à champagne XXL.