Elle est arrivée dans les locaux de L’illustré la tête couverte d’un foulard et d’un chapeau. Longue silhouette élégante, la chanteuse Fanny Leeb, 33 ans, a des allures de mannequin. Si elle est venue témoigner à propos du combat qui la mobilise depuis décembre dernier, un cancer du sein, elle reste elle-même avant tout joyeuse, combative et lucide. Une artiste tombée dans la marmite du spectacle en voyant son père, l’humoriste, comédien et chanteur Michel Leeb, alors qu’elle n’avait pas 6 ans.
De scène en scène, elle tourne notamment en Suisse romande. En 2016, elle a sorti «Heroes», son deuxième album pop, rock, soul et trip-hop. Depuis dix ans, elle vit à Montreux. En 2014, Quincy Jones, qui l’écoute lors d’une jam-session pendant le festival, la complimente et l’invite à Los Angeles. «Il a été comme un mentor», dit-elle. L’année précédente, Fanny tentait l’aventure The Voice sur TF1.
Pudeur
Sur son compte Instagram, elle poste des photos de sa vie côté soleil. Le 9 février, ses followers la découvrent plus grave, la tête rasée. Fanny annonce publiquement et pudiquement sa maladie alors qu’elle vient de signer avec le prestigieux label Universal. De chimios à Lausanne en séances d’enregistrement à Berne, elle témoigne pour la première fois, l’optimisme chevillé au corps. Elle délivre un message d’espoir pour toutes celles et tous ceux qui, comme elle, traversent cette épreuve et se battent.
- Comment avez-vous découvert que vous aviez un cancer du sein?
- Fanny Leeb: En décembre, j’enregistrais au studio B-Note à Berne. J’étais allée me chercher un peu d’eau chaude pour me faire un thé à la station-service en face. En revenant, la porte étant très lourde, j’ai donné un grand coup. Le gobelet n’avait pas de couvercle. Le liquide bouillant a giclé et m’a brûlée à la hauteur de la poitrine. Les jours suivants, j’y ai fait un peu plus attention. Et c’est en touchant cette zone que j’ai découvert une petite boule.
- Vous avez consulté?
- Immédiatement. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai eu une chance incroyable.
- Vous avez moins de 35 ans. C’est un cancer du sein dit «de la femme jeune», plus difficile à détecter à cause de la densité des tissus. Comment avez-vous réagi?
- J’ai pris un coup sur la tête. Il m’a fallu un temps d’acceptation de trois ou quatre jours.
- Un premier conseil à partager?
- J’ai envie de dire: «Les filles, palpez vos seins.» Sans cela, à la vitesse à laquelle peut progresser un cancer, il est parfois trop tard lorsqu’on le détecte.
- Vous êtes très famille. Comment ont réagi vos proches?
- La maladie a resserré nos liens. Pour des parents, ce n’est pas logique qu’un enfant soit malade, avec les risques que cela comporte de partir avant eux, ça les affecte. Comme je rassurais tout le monde, ils ont abordé les choses comme moi avec une certaine légèreté et le sourire. Je veux sortir de là. Je me bats, je rigole. Personne ne pensait que je prendrais les choses ainsi.
- Vous paraissez très optimiste.
- Je ne me suis jamais dit: «Je suis malade.» Comme je n’avais pas de symptômes, je me considère en bonne santé et je ne doute pas que ça va aller. Pour moi, c’est un «pépin». Ce côté positif est très important. Beaucoup de médecins le disent. J’y crois.
- De quel type de cancer souffrez-vous?
- C’est un cancer dit «triple négatif», très agressif. Sa vitesse de prolifération est très rapide.
- Après le diagnostic, que se passe-t-il?
- J’ai réagi comme un petit soldat en suivant à la lettre le programme des médecins du CHUV. Je suis devenue soudain très pragmatique, alors que je suis plutôt une «petite folle» dans la vie (rires). Il existe plusieurs cancers du sein. Chacun est unique, chaque personne est différente, chaque traitement individuel. Pour moi, c’est une chimiothérapie sur plusieurs mois. J’ai eu confiance dès le début. A Lausanne, le personnel soignant – médecins et infirmières – est formidable, souriant, rassurant.
- Comment se passe la chimio?
- Nous sommes quatre dans une même pièce, séparés par un paravent. Cela dure plusieurs heures. Des amis passent me voir, parfois mon frère Tom ou ma sœur Elsa font des allers-retours de Paris. On dédramatise. On déconne beaucoup dans la famille. C’est une de nos caractéristiques…
- Il vous arrive d’échanger avec les autres patients?
- Oui. Lorsque je sens que mon vis-à-vis le souhaite, on se parle. Certains sont très seuls dans cette épreuve, je pense souvent à eux. Sinon je lis un livre, je regarde un film. Après, on est exténué. Il y a les nausées très fortes, les effets secondaires. L’acupuncture les atténue. Je mange beaucoup de légumes, peu de sucres. La tête et le corps sont comme séparés. Le traitement est lourd. Lorsque l’esprit veut faire une chose, le corps ne suit pas forcément. Il faut se reposer. Je pleure aussi, c’est un besoin. Il faut savoir lâcher prise.
- Qu’avez-vous fait sachant que vous alliez perdre vos cheveux?
- Ils étaient longs. On m’avait prévenue et j’ai anticipé. Ma coiffeuse m’a fait une coupe au carré. Un changement de look un peu branché. J’avais besoin de passer par ces étapes, progressivement, avant qu’ils ne tombent.
- Vous avez laissé faire ensuite?
- Non. J’étais avec Olivier, mon amoureux, et mon frère. Tom a pris la tondeuse et, à ma demande, il m’a rasé la tête. Ma sœur, qui est très féminine, m’a donné des conseils. On a essayé des foulards, un chapeau, des créoles. C’est devenu mon nouveau style.
- Vous n’avez pas hésité à vous montrer tête nue sur Instagram en février. Pourquoi?
- Pourquoi me cacher? Ce n’est pas tabou. Des millions de gens sont atteints dans le monde. J’en découvre tous les jours dans mon entourage. Une femme sur huit risque de développer un cancer du sein.
- Avez-vous des antécédents familiaux?
- Non. Comme il y a un doute à cause du type de cancer et de mon âge, les médecins m’ont fait passer un test génétique. Angelina Jolie, dont la mère était malade, est porteuse d’un gène qui peut muter (ndlr: BRCA 1 et 2). Elle a anticipé un cancer par une double mastectomie et une ablation de l’utérus. Une intervention préventive. Sinon, c’est un contrôle régulier, et il faut rester sur le qui-vive toute sa vie.
- Qu’envisagez-vous?
- Il y aura de toute façon une chirurgie dans mon cas. Pour ce qui est de l’ablation préventive, cela vous épargne un stress. Il est difficile de se séparer d’une partie de soi, surtout chez une femme. En même temps, la chirurgie reconstructrice a fait d’immenses progrès.
- Les causes d’un cancer sont multiples. Quelque chose a-t-il prédisposé à son développement?
- Dans la famille, je suis «Fanny l’ultrasensible». La moindre séparation amoureuse m’anéantit. Je me dis que cette maladie n’est peut-être pas venue par hasard. Depuis un an et demi, je me sentais un peu perdue, j’avais perdu confiance en moi par rapport à la musique. Je doutais.
- Vous y avez repensé depuis?
- Le cancer a agi comme un "warning". Rien n’arrive par hasard. J’avais besoin d’être secouée. Je n’allais pas dans la bonne direction. Je n’avais pas le moral. Cela peut paraître paradoxal, mais ce cancer me booste, me donne la niaque. C’est un coup de pied au cul qui me permet d’aller plus loin, de me dépasser.
- Votre vision de la vie a changé?
- Je profite de chaque instant. J’apprends à me connaître. Je suis devenue plus relax. Je relativise. On parle de la maladie du siècle. Sa seule évocation fait peur. Or je me sens plus forte, plus sereine, plus mature.
- Qu’est-ce qui vous stressait?
- Les choses du quotidien. Je vis à Montreux depuis dix ans. Je règle mes factures grâce à mes petits concerts. Si jamais je devais avoir un gros problème, je pourrais compter sur mes parents. Mais je ne veux pas avoir sur le front à vie l’étiquette «fille de Michel Leeb».
«La musique, l’idée de chanter, me donnent des ailes. Et j’oublie tout.»
- Vous semblez davantage vous-même que vous ne l’étiez il y a trois ans.
- La maladie agit comme un révélateur. Je prends ça comme une renaissance. L’autre jour, je devais me rendre au studio, or j’avais la grippe. En temps normal, je serais restée chez moi à me plaindre. J’y suis allée. La musique, l’idée de chanter, me donnent des ailes. Et j’oublie tout.
- C’est un dépassement?
- C’est une épreuve. Une façon de se tester. Ma relation à la fatigue a changé. En phase ascendante, après une chimio, je profite à fond. En revanche, à chaque traitement, on est dans le creux de la vague, c’est plus dur. Mais on sait pourquoi on le fait. Et on retourne au combat.
- Comment vous ressourcez-vous?
- Il est important de se retrouver, d’être seul. Je marche avec mon chien à Villars. J’ai le sentiment que chaque molécule d’air pur combat les cellules cancéreuses. On respire en se disant: «Je suis en train de les ratatiner.»
- Votre chien Lennon a-t-il senti quelque chose?
- Il se blottissait contre moi de façon inhabituelle sans que je comprenne pourquoi. Certains chiens ont la capacité de flairer les tumeurs à travers les composés organiques volatils dans l’air. Notamment les malinois. Bizarrement, Lennon a développé un eczéma avant que l’on ne détecte mon cancer. Un stress. Par la suite, j’allais au CHUV et lui chez le vétérinaire. Très vite, il s’est senti mieux et il a guéri.
- Et vous?
- Les médecins hallucinent. Ils me disent que les résultats sont très bons. Je suis persuadée que le moral joue un rôle. Je crois à l’intelligence du corps.
- Et il y a la musique…
- J’ai la chance d’avoir signé avec Universal, qui m’accorde le temps nécessaire. La maladie et mon contrat sont arrivés en même temps. J’évolue depuis des années dans le monde de la musique. J’ai failli baisser les bras plusieurs fois. Mais sur scène, je suis à ma place.
- Cette épreuve a-t-elle des effets sur votre façon de travailler?
- Oui. L’album, qui sortira en janvier prochain, sera marqué par cette épreuve. Depuis l’âge de 6 ans, j’ai la musique dans le sang. Maintenant, c’est la chimio (sourire). La musique est ma drogue, ma thérapie. Elle sera plus forte!