2021, tatoué à l’encre noire, juste au creux de son poignet. Ce motif, Fanny Clavien l’arbore pour ne pas oublier. «C’était l’année du tournant», commence-t-elle. L’athlète valaisanne nous a donné rendez-vous au restaurant du Domaine des Iles, à Sion, encore assoupi dans la brume en cette heure matinale. L’eau pour voisine, les montagnes pour horizon. Un lieu qu’elle apprécie, car elle s’y sent «en sécurité». Assez, du moins, pour parler de ce qui heurte. Mais aussi de ce qui libère.
Elle pourrait se blottir dans le canapé moelleux, mais non, elle se tient bien en avant, coudes sur les genoux. Sa voix ne tremble pas. Le temps a fait son œuvre. Par respect pour autrui, Fanny Clavien ne souhaite pas dévoiler explicitement ce qui est arrivé. Disons que la mort l’aura visitée deux fois, de façon très proche, en un laps de temps restreint. Et puis une relation amoureuse qui s’effondre, un projet professionnel aussi. «C’était très violent, on n’est jamais prêt pour ce genre de choses.» Elle marque une pause, reprend, cherche la bonne métaphore. «C’est un peu comme si tout autour de moi était fait de sable et qu’une tempête était passée par là. Tout s’effritait. Alors je me suis un peu laissé aller. Je me disais: «Qui pourrait se relever de ça?»
«J’en avais trop fait»
Mais la jeune femme a été élevée avec l’idée que «rien n’arrive tout à fait par hasard». Et la triple championne d’Europe de karaté et de wakesurf de conter l’époque où deux blessures consécutives au genou l’avaient forcée à s’arrêter. «J’en avais trop fait, mais ces épreuves m’avaient obligée à repenser ma stratégie de karaté, et c’est ce qui a fait la différence ensuite. Bien sûr, ce que j’ai traversé en 2021 n’est pas pareil à une blessure physique, mais je devais comprendre quelque chose.»
Heureusement, dans ces heures sombres, une rencontre intervient. Une femme, celle qui partage sa vie aujourd’hui, a eu les mots justes. «On ne se connaissait pas et elle m’a dit qu’elle avait l’impression que j’étais en train de me perdre. Je me suis dit: «OK, stop! Il me faut un plan d’action.» Fanny Clavien rencontre alors une thérapeute holistique. Ce n’était pas «[s]on truc» mais elle accepte de se laisser aider. Ensemble, elles remontent le fil du passé de la sportive et, surtout, la jeune femme commence à partager son histoire. «J’ai ouvert un canal Telegram privé pour ceux et celles qui voulaient échanger avec moi. Là, plein de gens m’ont parlé de leurs vécus similaires au mien. C’était comme un petit feu auprès duquel je me sentais à nouveau bien. Les réseaux sociaux, ce n’est pas que faire voir du beau, c’est aussi intéressant pour ce genre de choses.»
Justement, le rapport à sa communauté de près de 15 000 followers change. Fanny Clavien interpelle, partage des contenus destinés à motiver, à donner confiance et à prendre soin de sa santé mentale. «Ça ne sert à rien de poster 1000 fois une photo prise à l’entraînement avec en légende «NO PAIN, NO GAIN» (rires). C’est vrai, mais il faut aller plus loin. Maintenant, ce sont des échanges, un partage d’expériences bienveillant.» Ses publications donnent des coups de pied à certaines idées reçues. Par exemple, celle qui voudrait que la persévérance soit un don ou que notre «capital énergie» soit intarissable.
La jeune femme a d’ailleurs créé un programme de coaching mental pour athlètes. «J’aide surtout des jeunes qui n’ont pas encore les codes, les normes des adultes. Donc les échanges sont plus francs, plus purs, c’est très intéressant», s’enthousiasme-t-elle. Fanny Clavien partage donc son temps entre cette activité et une autre, qui revient à ses premières amours médiatiques: elle est chargée de projet pour l’humoriste Sandrine Viglino. Elle intervient aussi à la demande d’entreprises pour parler de résilience, de résolution de conflit.
Mais une question brûle les lèvres: et la compétition de bodybuilding dans tout ça? C’était la discipline dans laquelle Fanny Clavien s’était lancée en 2016, qu’elle avait adoptée et maîtrisée au point de décrocher le titre de Miss Univers IFBA deux ans plus tard. «En 2021, je me suis mise en pause. Et j’ai décidé que je ne retournerais plus dans le sport à haut niveau.» C’est dit, posément, les yeux dans les yeux. Sacré virage.
«J’ai revu mes priorités, je me suis rendu compte que le sport avait toujours fait partie de ma vie, dès mes 5 ans. C’était une passion dévorante et je me suis conditionnée à vivre avec l’objectif d’être toujours la meilleure, de me dépasser. J’ai continué à m’imposer ce mode de vie alors qu’il ne me correspondait plus. Maintenant, la femme que je suis aspire à d’autres choses.» Qui est la Fanny Clavien de 2022, alors? Cette question, elle se l’est vu poser récemment et n’a pas su quoi répondre. Elle y a pensé. Maintenant, elle sait: une personne ultra-motivée, ambitieuse, solaire. «Ce n’est pas ce qu’on fait qui nous définit», affirme-t-elle.
Un bonus inédit de curiosité
Pour autant, on n’efface pas d’un revers de main une ardoise de près de trente ans et un amour profond de l’activité physique. La Valaisanne continue donc à chausser ses baskets chaque jour pour aller à la salle et à sauter sur un wakesurf ou des skis dès que la bonne saison s’annonce. Son rapport au sport semble effectivement plus détendu. Et lorsqu’on lui demande quelles sont ses petites joies, au-delà du travail, des vagues et des pentes blanches, elle répond: «Quand tout a changé, j’ai décidé que tout dans ma vie devait me mettre en joie. Je suis contente de tout ce que je fais, que ce soit le job, le sport, etc. Je m’essaie aussi plus facilement à des activités sur lesquelles j’avais des a priori. Et c’est pareil dans mes relations!»
Dehors, le soleil a chassé le nuage épais qui engourdissait le paysage et les yeux. Le lac se découvre, avec une panoplie de nuances dorées, rousses, ocre. Fanny Clavien marche au soleil, joue avec l’objectif, les ombres étirées des arbres sur la pelouse. Souriante, fière, solide. Elle revit.
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