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Faillite de Crédit Suisse: «La Commission d’enquête doit cibler les coupables»

La directrice de l’Association suisse des employés de banque, la Tessinoise Natalia Ferrara, se bat depuis bientôt un an pour défendre les intérêts des 37 000 salariés suisses d’UBS et de feu Credit Suisse (CS). Chronique d’une mission herculéenne. 

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Le bonnet estampillé Credit Suisse datant de l’hiver 1977

Culte: le bonnet estampillé CS datant de l’hiver 1977 est devenu un objet de collection, qui s’arrache sur les sites de ventes aux enchères.

Nik Hunger, Paul Seewer

- En mai dernier, vous disiez avoir reçu 300 demandes d’interview à la suite de la faillite de Credit Suisse. Les choses se sont calmées depuis?
- Natalia Ferrara: Oui, heureusement. Mais à chaque publication de résultats d’UBS, à chaque communication de la banque ou après un article révélant un nouvel élément, le feu reprend. Le processus de fusion est très, très compliqué et il faudra au minimum cinq ans et peut-être plus pour le mener à bien. 

- A l’époque, vous disiez qu’il y avait plus de questions que de réponses. Et aujourd’hui?
- Il y a encore pas mal de questions en suspens, mais des acquis aussi. Alors que l’institut économique BAK prévoyait 10 000 à 12 000 licenciements en Suisse entre les deux banques, ceux-ci ne dépasseront finalement pas 3000 et s’échelonneront durant plusieurs années. Ce qui permet potentiellement aux employés de se perfectionner ou à certains d’arriver à l’âge de la retraite. Autre avancée significative, grâce aux mesures d’économies d’UBS, qui ont passé de 8 à 10 milliards de francs, le plan social des deux sociétés est meilleur que le précédent. 

- On parle de 8000 départs volontaires aussi…
- Ce chiffre concerne les deux banques dans le monde entier, parmi leurs 120 000 collaborateurs. En Suisse, on estime entre 1000 et 1500 les départs depuis la faillite.

- Vous êtes au front depuis le premier jour, comment se passent les négociations avec UBS?
- Ce n’est jamais facile avec une banque et UBS n’échappe pas à la règle. Cela a été particulièrement difficile entre mars et juillet parce que le politique mettait la pression pour conserver l’entité suisse de Credit Suisse. Nous savions que c’était impossible puisque CS continuait à perdre de l’argent. 

Natalia Ferrara, directrice de l’Association suisse des employés de banques

Natalia Ferrara est directrice de l’Association suisse des employés de banques.

Nik Hunger

- On disait pourtant que CS suisse était bénéficiaire…
- C’est juste. De plus, il y avait énormément de PME qui souhaitaient lui rester fidèles. Mais les erreurs commises à l’étranger ont également fait perdre la confiance de milliers de clients dans notre pays. Quand on a compris que même l’entité suisse disparaîtrait, on s’est concentrés sur ce qu’on pouvait faire pour le personnel. J’ai été soulagée de voir l’engagement qu’UBS prenait envers la Suisse. En août, elle avait déjà remboursé avec les intérêts les garanties reçues du Conseil fédéral, ce qui rendait à nouveau la banque totalement indépendante. Monsieur Parmelin nous a complimentés pour notre travail, pour avoir agi directement auprès de la banque.

- Avez-vous souvent rencontré Sergio Ermotti, le CEO d’UBS, Tessinois comme vous?
- Non. Je négocie directement avec la direction des ressources humaines. Mais j’ignore ce qui se passe en coulisses. Quand M. Ermotti a repris la direction, tout le monde m’a demandé si j’étais contente. Je répondrai à cette question dans cinq ans, quand je verrai que la nouvelle UBS a sauvé des places de travail en Suisse et que notre place financière s’est renforcée en tirant les leçons de ce qui s’est passé. Sergio Ermotti, qui est un ancien apprenti de la Cornèr Bank, à Lugano, a l’avantage de bien connaître le pays, sa culture et son fonctionnement. C’est un atout indéniable. 

- Il martèle que le processus de fusion se passe bien alors que, à l’interne, on fait état d’une mauvaise ambiance, d’une inégalité de traitement entre les employés et même entre les apprentis des deux banques... 
- Ce n’est pas la réalité. En mars déjà, nous avons obtenu l’assurance que tout le monde serait traité sur un pied d’égalité et la question des apprentis a été traitée en priorité dès l’arrivée de Sergio Ermotti. Il faut savoir qu’entre les deux banques il y en a plus de mille. Tous les postes ont été maintenus et, à la fin de leur cursus, les apprentis issus de CS ont les mêmes chances d’être engagés que leurs collègues d’UBS. Cela étant, il est vrai que certains collaborateurs d’UBS se sentent en danger, craignent de se faire piquer leur place par quelqu’un venu de CS. C’est humain. Raison pour laquelle nous organisons des rencontres avec les commissions du personnel pour expliquer que, au lieu de se disputer ou d’entretenir des tensions, il vaut mieux collaborer. D’autres fusions ont montré qu’une mauvaise concurrence provoque plus de licenciements que la collaboration.

- On peut donc dire que M. Ermotti est plutôt de bonne foi…
- Tout à fait. Surtout, il sait que pour réussir une fusion, il ne suffit pas de liquider une des deux entités. Chaque collaborateur a ses clients et en conserver un maximum fera peu à peu revenir la confiance non seulement auprès de la clientèle mais aussi entre les collaborateurs eux-mêmes. L’existence d’une banque repose essentiellement sur la confiance, on l’a vu d’ailleurs. Ainsi, on peut espérer que l’argent va peu à peu revenir. Toutes celles et ceux qui ont retiré leurs capitaux n’ont pas forcément bouclé leurs comptes. 

- Lors de vos premières négociations, UBS s’est engagée à protéger les personnes de 55 ans et plus. Cette clause est-elle respectée?
- Cette clause figurait déjà dans le plan social de la banque. A la fin août, celle-ci s’est engagée à l’étendre aux employés de CS, qui sont beaucoup plus nombreux que leurs collègues dans la tranche d’âge 55-59 ans. Il y a pas mal de départs à la retraite anticipée, possible dès 58 ans. Pour les personnes âgées de 56 ans, elles ont la garantie d’avoir encore un an d’emploi puis de profiter d’un pont qui les mènera à la retraite anticipée. Personne ne restera sur le bord de la route et, si nécessaire, une solution sera trouvée au cas par cas. C’est ce que nous avons demandé et nous contrôlerons au fil du temps que cela soit réalisé.

- Quelles relations avez-vous avec la Commission d’enquête parlementaire et sa présidente, Isabelle Chassot?
- Nous lui avons écrit ainsi qu’à tous les présidents des partis politiques pour leur dire que nous souhaitons être entendus. Nous savons que la commission travaille mais nous voulons être sûrs qu’elle analyse ce qui s’est passé en éclaircissant les faits. Elle doit identifier les coupables de la débâcle. Sans cela, tout le monde se sentira un peu coupable et les responsabilités seront diluées, ce qui aura des conséquences négatives sur le personnel. Je pense notamment à Ueli Maurer, notre ex-chef des Finances fédérales, et à la Finma. Quand M. Maurer a été rendu attentif aux problèmes que vivait CS, il a dit en substance ceci: «Fichez-leur la paix! Laissez-les travailler.» Cela peut vouloir dire: «Ce n’est pas mes affaires, ça ne relève pas de ma compétence.» Idem pour la Finma et la BNS qui, malgré les nombreux warnings, n’ont pas réagi. Ces deux dernières années, lors de chacun de mes contacts avec CS, j’évoquais les pertes de la banque et les scandales qu’elles déclenchaient en cascade qui, tôt ou tard, allaient nous retomber dessus. On me répondait: «Non, non, ce qui se passe à l’étranger n’impactera jamais la Suisse.»

- Pour vous, Ueli Maurer, la Finma et la BNS sont les coupables?
- On ne peut pas le dire aussi frontalement. Je crois en la bonne foi des gens. Il y a des choses qui sont tellement énormes qu’on n’arrive pas à les percevoir. Mais si tout le monde avait pris conscience de la gravité de la situation en automne 2022, peut-être que l’institution aurait pu être sauvée.

- Comment avez-vous vécu cette folle année?
- En décembre 2022, nous avions déjà des indications de l’interne qu’il y avait une importante fuite de capitaux. J’étais très en souci mais en congé maternité. J’étais tiraillée entre mon devoir de mère d’un bébé de 2 mois et la nécessité d’aller au combat. C’est à ce moment-là qu’Ueli Maurer s’est exprimé. Depuis le mois de mars, j’ai vécu plus souvent à la Paradeplatz, à Zurich, où se trouve le siège de CS, qu’à la maison. Par chance, mon mari travaille dans une banque qui a elle aussi vécu une fusion. Il m’a dit: «Fais ce que tu dois faire. Ce sera un long processus. Je m’occuperai de la maison et des enfants.» Bien que ma mission soit très lourde, seule face à un bataillon d’interlocuteurs, sa solidarité me donne la force de l’assumer. J’ose croire que 2024 sera moins pire que 2023...

Par Christian Rappaz publié le 3 janvier 2024 - 08:38